Social
(7 avril 2005)
Cinéma
“Mi
piace lavorare”
ou le harcèlement moral au travail
“Mi piace lavorare” est un
acte d’accusation poignant et courageux contre le harcèlement moral au
travail. Basé sur des faits réels, et tourné principalement avec des acteurs
non professionnels, ce film intimiste de Francesca Comencini n’en est que
plus juste. Sans jamais tomber pourtant dans le cliché ou la propagande.
Tout commence par une
“sympathique” réception. Les nouveaux dirigeants de l’entreprise rachetée
par une multinationale se présentent aux travailleurs rassemblés pour
l’occasion, un verre à la main. Ils saluent chacun, un à un. Mais est-ce un
incident banal ou un oubli, Anna est la seule employée à ne pas être saluée
par le nouveau chef du personnel.
A partir de ce jour-là, lentement
mais inexorablement, la vie professionnelle d’Anna va se transformer en
enfer. Comptable très appréciée de ses collègues et des fournisseurs, elle
est d’abord mutée au service archivage des factures. Il n’y a pas de raisons
précises dans la mise à l’écart d’Anna. Elle est déclarée coupable un beau
matin, elle ne sait pas de quoi, personne ne le sait, mais tous les autres
employés la traitent comme telle. De vexations en ignorements et de
sabotages en exclusions, elle subit la méchanceté, la lâcheté ou le cynisme
de la part de ses supérieurs et collègues. Humiliée par des tâches inutiles
et ingrates, condamnée à ne plus servir à rien, elle descend dans l’échelle
du travail, baisse petit à petit la tête, jusqu’à en être malade.
Anna passe de l’entreprise à son
appartement comme si le monde extérieur n’existait pas. Elle n’est plus
capable d’affronter son quotidien et de s’occuper de sa fille Morgana, la
seule à la soutenir et la réconforter dans cet univers impitoyable…
Lorsque son patron l’invitera à
signer une lettre de démission, en disant cyniquement qu’elle n’a pas saisi
les chances qu’on lui a données, Anna rassemblera son courage pour parler à
quelqu’un de ce qu’elle subit…
Une
fiction documentée
“Me piace lavorare” (“J’aime
travailler”) est le résultat d’une longue recherche sur le harcèlement,
menée par le plus important syndicat italien. La réalisatrice Francesca
Comencini a eu l’idée d’en faire un film de fiction alors qu’au départ, il
était question d’un documentaire à l’usage interne du syndicat. “Lorsque
j’ai interviewé de véritables victimes du harcèlement moral au travail pour
ce documentaire, j’ai pris conscience de toute cette souffrance, de ce
stress, de ce sentiment d’incapacité que le harcèlement peut causer. Ce qui
m’a interpellé, c’est qu’on s’infiltre dans la nature la plus intime d’une
personne, glissant dans son psychisme, chamboulant son équilibre, et tout
cela pour le bien-être d’une mentalité économique et marchande”. Et de
poursuivre: “J’avais les récits de ces gens et leur humanité entre les
mains. Le syndicat a bien voulu m’aider à construire le film. On m’a
introduite auprès d’une vingtaine de travailleurs et de syndicalistes qui
ont accepté d’y participer”.
“Me piace lavorare” fait ainsi
partie de ces films tournés en grande partie avec des acteurs non
professionnels pour leur donner plus de réalisme social. Car en dehors de
Nicoletta Braschi, qui s’est parfaitement fondue dans le personnage d’Anna,
et de Camille Dugay-Comencini, la propre fille de Francesca jouant à
merveille le rôle de Morgana, tous les personnages sont interprétés par de
“vrais” salariés venus apporter leur concours à ce film avec une maîtrise
irréprochable. “Bread and Roses”, l’excellent film de Ken Loach décrivant
l’exploitation du personnel de nettoyage dans une grande entreprise était de
la même veine.
Une société hyperlibérale
“Me piace lavorare” décrit très
bien la manière dont le harcèlement moral débute et se développe
sournoisement pour finir par briser complètement la victime afin de la faire
partir d’elle-même. Ce processus destructeur avait également été bien décrit
dans “Splendeurs et tremblements”, le film tiré du livre autobiographique du
même nom d’Amélie Nothomb. Mais “Me piace lavorare” est plus émouvant, plus
interpellant aussi. Peut-être parce que la PME dans laquelle travaille Anna
est plus proche de notre univers professionnel que l’entreprise et la
culture japonaise dans laquelle l’écrivaine belge a vécu l’enfer. Il
n’empêche. C’est bien la même société hyperlibérale qui produit le
harcèlement moral au travail et qui rend difficile la solidarité entre les
travailleurs, chacun se sentant individuellement menacé…
Joëlle
Delvaux
“Mi piace lavorare” mobbing - un film de Francesca
Comencini avec Nicoletta Braschi (Anna) et Camille Dugay-Comencini
(Morgana). Coproduit par Rai Cinema – Bim Distribuzione – BiancaFilm Italie
- 1h29 - Distribution : Cinéart.
Lire
"Petit meurtre entre collègues"
En Belgique, près de 10% des
travailleurs se sont déjà sentis victimes de harcèlement moral dans leur
travail. L’acharnement des agresseurs peut même se terminer par un véritable
“meurtre psychologique”. Une conséquence du rythme infernal imposé dans les
entreprises ?
En
1998, le livre de Marie-France Hirigoyen, “Le
harcèlement moral, la violence perverse au quotidien” (1) fait
l’effet d’une bombe. Aussitôt des milliers de personnes qui vivaient l’enfer
sur leur lieu de travail ont pu nommer ce qu’elles étaient en train de
vivre. “Ainsi, être mis à l’écart dans un placard sans aucune tâche à
réaliser, ces regards en coin, ces moqueries, ces critiques sans fondements,
ce cauchemar qui dure depuis des mois n’est pas dû à ma personne mais à une
volonté délibérée de me nuire ! Ainsi je ne suis pas le seul, la seule, à
vivre ou à avoir vécu ce calvaire !”... se disent les victimes. Les
témoignages pleuvent auprès des syndicats, à la télévision, dans la presse.
Les syndicats se mobilisent, informent et forment, le politique met sur pied
une loi, des associations se créent, se mettent à l’écoute des victimes et
les soutiennent… Aujourd’hui, le harcèlement moral est un peu “passé de
mode” dans les médias, mais il n’a pas pour autant quitté le monde de
l’entreprise.
Poussés
à bout
Un nouveau chef, une nouvelle
direction, un conflit larvé, une recrue plus jeune qui fait son apparition
et la vie de Suzanne, Gérard, Nathalie et les autres tourne à la science
fiction. S’en suivent presque systématiquement des arrêts de travail
prolongés. Migraine, insomnies, crise d’angoisses, dépressions qui n’en
finissent pas sont courantes. Dans les cas les plus extrêmes, les personnes
font des tentatives de suicide qui parfois réussissent… Ainsi, David, ce
facteur de Wezembeek-Oppem poussé à bout par ses collègues. Sans toujours en
arriver là, les victimes de harcèlement arrivent rarement à effacer tout à
fait ces années de souffrances violentes. Bien souvent les harcelés voient
leur caractère se modifier. Les traces sont plus ou moins profondes : peurs
injustifiées, réactions excessives face aux manipulations, aux railleries,
sensibilité exacerbée, sentiments de culpabilité ou d’incompétence. De
nombreuses victimes de harcèlement moral au travail craquent et n’ont pas
d’autre choix que de démissionner.
Une
politique d’entreprise
Dans certains cas, les pratiques
de harcèlement sont de véritables stratégies de management de l’entreprise.
Faute de pouvoir licencier à leur gré et/ou pour ne pas devoir payer des
indemnités de licenciement, certaines entreprises tentent sciemment de
pousser à bout leurs collaborateurs devenus indésirables. Seulement, si les
victimes vident leur sac et demandent réparation devant les tribunaux, cela
peut coûter cher à l’entreprise. Il y a bien sûr aussi des cas de
harcèlement moral individuel par exemple d’un petit chef coincé mal dans sa
peau ou d’un collègue jaloux. On constate de toute manière que le contexte
actuel des entreprises favorise les cas de harcèlement moral. Les
travailleurs sont mis sous pression et dans un état de stress qui crée des
conditions de conflit et des besoins d’exutoire. Les contrats précaires qui
fragilisent les personnes, la peur du chômage… obligent au silence les
victimes mais aussi les collègues. Qui aujourd’hui oserait se plaindre des
tourments subis au boulot alors que tant des personnes souffrent d’être au
chômage ? Et les collègues… ils préfèrent ne pas voir, ne pas entendre, ne
pas parler. Dénoncer serait risquer de se faire virer.
Une loi
qui prévient et protège
La loi datant du 11 juin 2002
relative à protection contre la violence et le harcèlement moral et sexuel
au travail a pour objectif de prévenir ces formes de violence au travail et
de protéger l’ensemble des travailleurs victimes de tels actes. La loi
impose à l’employeur de prendre des mesures préventives et réaffirme la
possibilité pour la victime de faire valoir ses droits en justice(2).
Le premier conseil que l’on
pourrait donner aux victimes dans un premier temps est de parler. Ne pas
s’enfermer dans un mutisme pour ne pas rester seul avec son problème…
Françoise
Robert
(1)
Marie-France Hirigoyen, “Le harcèlement moral, la violence perverse au
quotidien”, édition La Découverte et Pocket. L’auteur a également écrit
“Malaise dans le travail : Harcèlement moral, démêler le vrai du faux”, La
Découverte et Pocket.
(2) Des
documents sur le harcèlement moral et sur l’explication de la loi sont
disponibles sur
www.meta.fgov.be
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