ette conquête
extrêmement importante est obtenue dans une période, certes riche en acquis
sociaux, mais également troublée par la montée des totalitarismes, la
dérégularisation des systèmes démocratiques et des marchés économiques. Elle
est également à resituer dans l’histoire de la réduction du temps de
travail.
Jusqu’alors réservée
à la noblesse puis, à la fin du XIXème siècle, à la bourgeoisie commerciale
et industrielle, la quête de loisirs et de divertissements, de voyages
touristiques va s’élargir progressivement à de nouveaux publics alors que
l’idée que tous les travailleurs ont droit à un temps de repos fait
également son chemin.
Éviter l'usure des
jours de labeur
Une première étape
est franchie en 1905, lorsqu’est promulguée la loi du 26 juillet portant sur
le repos dominical. En 1921, c’est au tour de la loi limitant le travail à 8
heures par jour et à 48 heures semaines d’être votée. Ce temps libéré enfin
obtenu devient un formidable enjeu pour les organisations ouvrières qui vont
tout faire pour le valoriser alors que déjà se pose la question de savoir
comment l’ouvrier va occuper ses loisirs : «Il ne suffit pas de donner des
vacances aux travailleurs : il importe que le jour où il en aura, il sache
s’en servir. Il importe aussi que le jour où il voudra et pourra s’en
servir, il ne trouve pas des contingences économiques telles, que toute
utilisation pratique de la réforme lui soit impossible. Certes, en réclamant
les vacances, comme en exigeant les huit heures, nous avons songé à la santé
physique des laborieux ; nous avons voulu du repos après la journée, pour
éviter l’usure des jours de labeur se succédant sans interruption pour
qu’ils puissent profiter de la vie familiale, y goûter toutes les joies en
même temps qu’en remplissant tous leurs devoirs. Nous voulons aujourd’hui
les vacances, pour que, l’année achevée, il se produise une détente de
l’organisme qui retarde l’usure que produit l’accumulation de la fatigue.
Nous voulons aussi, comme pour les huit heures, que ces loisirs profitent
tant au corps qu’à l’esprit» défend M. Decourcelles dans son rapport sur la
santé des travailleurs et les congés payés présenté au congrès de la CSC en
1930.
Mouvement de grève
des travailleurs
Le 2 juin 1936, les
dockers du port d’Anvers arrêtent le travail et réclament une augmentation
de 14 francs par jour alors que le patronat qualifiant la grève d’illégale
refuse toute négociation. Cette grève déclenchée spontanément met le feu aux
poudres dans les milieux ouvriers qui au cours des années 30’ ont été
particulièrement frappés par la crise économique. Chômage en hausse,
fermetures d’entreprises, blocage des salaires, diminution du pouvoir
d’achat… rien n’aura été épargné aux travailleurs et encore moins aux
travailleuses et aux étrangers victimes de mesures antisociales prises par
le gouvernement. Même si la conjoncture s’améliore et qu’un nouveau
gouvernement, cette fois tripartite, se met en place afin de redresser la
situation, il faut aussi faire face à la montée de l’extrême droite dont le
Parti Rex, mené par Léon Degrelle, obtient 21 sièges au Parlement .
La victoire du Front
Populaire en France et l’obtention d’une semaine de congés payés et des 40
heures en mai 1936 stimulent sans nul doute le mouvement de revendications
en Belgique.
Rapidement la grève
va se propager à l’ensemble des secteurs et à travers tout le pays. Toutes
les organisations ouvrières se mobilisent pour clamer leur solidarité avec
les 600.000 travailleurs (ouvriers et employés) en grève.
Pour la première
fois, les organisations socialistes et chrétiennes qui encadrent le
mouvement rédigent un programme commun de revendications concernant «la
réadaptation générale des salaires, avec fixation d’un minimum de 32 francs
par jour et un relèvement important des allocations familiales ; la semaine
des 40 heures; l’instauration de mesures légales pour garantir le plein
exercice de la liberté ouvrière des vacances payées».
Le 15 juin, un
nouveau gouvernement dirigé par Paul Van Zeeland est mis en place.
Immédiatement, ce dernier convoque pour le 17 juin la première Conférence
nationale du Travail au cours de laquelle Patronat, Syndicats et
Gouvernement aboutissent à un accord de principe garantissant aux
travailleurs l’introduction de la semaine de 40 heures, l’augmentation du
minimum de salaires ainsi que six jours de congés annuels.
Ils ont remporté la victoire !
Immédiatement les
commissions paritaires se mirent au travail afin d’étudier l’application des
mesures dans leur secteur et rendre leurs conclusions.
Les projets de loi
ayant été déposés au Parlement, dont celui d’une loi cadre sur les 40
heures, les organisations syndicales appellent à la fin de la grève en
lisant devant les micros de l’INR, un texte commun : «Travailleurs! la
Commission Syndicale socialiste et la Confédération des Syndicats Chrétiens
ont dans le conflit mené une action convergente avec la classe ouvrière. Ils
ont remporté la victoire! Vous avez été dignes dans la bataille; vous vous
montrerez dignes dans le succès. Vous serez disciplinés; vous suivrez le mot
d’ordre de vos organisations. La Commission Syndicale socialiste et la
Confédération des Syndicats Chrétiens ont décidé que le travail serait
repris demain mercredi 24 juin, dans toutes les industries où satisfaction
est obtenue. Elles assurent les travailleurs qui se heurtent encore à la
résistance injuste des patrons, notamment pour l’adaptation des salaires, de
leur appui complet». Fin juin, la reprise était générale.
Des vacances
ouvrières déjà organisées avant 36'
La revendication des
vacances payées était toutefois antérieure à l’année 1936 qui la consacra.
Déjà évoquée en 1919 lors de la Conférence Internationale du Travail de
Washington, certains pays ont déjà apporté un certain nombre de réponses à
la problématique soit en inscrivant les jours de congés payés pour les
ouvriers dans le cadre de conventions collectives comme ce fut le cas pour
la Grande-Bretagne à partir de 1901, l’Allemagne, le Danemark, l’Afrique du
Sud… soit en instaurant un régime légal de vacances annuelles payées comme
en Autriche dès 1919.
En Belgique, les
vacances ouvrières sont déjà organisées bien avant 1914 pour le personnel de
certaines administrations communales et de coopératives mais également dans
l’industrie de la fourrure ainsi que dans le secteur des banques et des
assurances...
Observant les
tendances, la Commission syndicale belge et la CSC se penchent sur la
question en 1925 dans le cadre de leurs congrès respectifs. Pour les
socialistes «tous les salariés ont le droit de jouir d’un congé annuel avec
salaire payé, droit qui se justifie d’autant plus que la plupart des
travailleurs intellectuels jouissent, depuis longtemps déjà, de vacances
annuelles» tandis que, du côté chrétien, «la revendication des vacances pour
les ouvriers d’industries et de commerce n’a rien de déraisonnable ni
d’impossible, et peut être réalisée sans entraîner pour les industriels le
moindre danger».
La même année, la
JOC, revendiquait également «que des vacances payées de deux ou trois
semaines soient accordées à tous les adolescents salariés, de préférence en
été ou en automne».
La revendication des
congés payés est donc bien inscrite au programme du mouvement ouvrier et
même si elle n’est tout d’abord pas considérée comme prioritaire, elle sera
progressivement considérée comme le couronnement de la lutte pour la
réduction du temps de travail malgré une hostilité patronale très forte qui
préfère stigmatiser les loisirs des ouvriers «qui cherchent surtout le
plaisir et dépensent ostensiblement» et dont les sports auxquels ils
s’adonnent «contribuent fort peu à améliorer la race»!
En vertu de la loi
du 8 juillet 1936, la grande majorité des salariés bénéficieront d’un
minimum de six jours de congés annuels payés tandis que la loi du 20 août
1938 prononce l’extension du droit aux congés à tous, ainsi que le
doublement de la durée du congé légal en faveur des moins de 18 ans et
institue la Caisse auxiliaire nationale des congés payés afin d’assurer le
paiement des allocations.
Quoiqu’il en soit
l’obtention de cette première semaine de congé va bouleverser la vie
quotidienne des familles ouvrières. Une seconde semaine sera obtenue en
1952, une troisième en 1967, une quatrième en 1975.
Florence Loriaux
(Carhop)
(1)
Le Sénat approuvera à son tour, également à l’unanimité, le texte le 3
juillet.
Témoignage
|
«Je me rappelle de ma première semaine de
vacances, quand je me suis marié. On avait conquis cette semaine de
vacances à la grève de 36' et c'étaient mes premiers six jours. Nous
sommes allés à la mer du Nord à Blankenberghe, chez des connaissances
de mes beaux-parents. Ces personnes nous avaient offert l'appartement
gratuitement, pour notre voyage de noces. Et nous sommes partis.
C'était extraordinaire.
En général, les ouvriers ne partaient pas même
quand ils se mariaient. Encore maintenant d'ailleurs, il y a un grand
pourcentage de gens qui ne partent pas.»
Maurice Jaminou,
sidérurgiste à Seraing |
Témoignage
|
«En 1957, on a
eu une grande grève pour le double pécule de vacances. Les 21 jours de
grève ont été 21 jours de soleil. Quand nous sommes sortis de la
Populaire, après avoir obtenu les résultats désirés, il s'est mis à
pleuvoir. On nous avait donc accordé 2% de plus, premiers pas vers le
doublement du pécule. Quand on parle du double pécule, il faut bien
comprendre. C'était le doublement du congé existant mais seule la
première semaine et une partie de la seconde semaine était conditionné
par l'ancienneté dans l'entreprise. Je crois que tous les ouvriers
n'avaient pas le même nombre de jours.»
François
Vreven |
Comment les travailleurs
vont-ils occuper leur temps?
Mais
comment organiser les congés payés? Comment l’ouvrier va-t-il s’occuper?
Cette question n’est pas seulement posée par les industriels dans leur
«Bulletin social» dans lequel on peut lire : «Certains ouvriers pourront
faire coïncider leurs vacances avec des périodes de fêtes et de kermesses;
ils les passeront dans ce cas souvent au café. D’autres songeront à utiliser
ce temps pour travailler à leur jardin ou à leur maison» mais également par
les organisations qui s’inquiètent que «l’utilisation des vacances ouvrières
ne doit pas être laissée au hasard. Elles ne constituent pas matière à
rigolade. Le mouvement éducatif n’a pas assez de ressources de tous genres
pour faire tout. Ce n’est ni un dénigrement, ni une faiblesse de le
reconnaître».
«A notre sens,
peut-on également lire dans le journal La Wallonie, la loi des huit
heures eût dû être accompagnée ou complétée par une organisation
systématique des loisirs et des délassements, soit au service des partis,
des syndicats ou par les autorités officielles (…) la création des vacances
ouvrières payées peut aussi perdre de sa valeur. Il ne faut pas que le
travailleur soit astreint à passer son congé dans le fond des cours, le long
des murs des impasses ou au pied des terrils. Il faut qu’il puisse, avec sa
famille, quitter son horizon habituel et gagner d’autres paysages. Il faut
qu’on l’entraîne et qu’on le guide».
Naissance du tourisme social
Pour répondre à ce
besoin, une véritable politique de tourisme social se met en place. Une
Commission des Vacances ouvrières est créée en novembre 1936 et donnera
naissance en 1937 à l’Office national des vacances ouvrières. De leur côté,
les organisations développent leurs propres infrastructures comme, par
exemple, “les Vacances ouvrières” du côté socialiste, ou “l’Office central
des Vacances”, qui deviendra “Loisirs et Vacances” du côté chrétien, qui
vont permettre au travailleur de passer «son congé avec sa famille de la
façon la plus utile qui soit, aux conditions morales et financières les plus
avantageuses».
Excursions d’un
jour, séjours à la mer, en Ardenne, sont proposés à des prix démocratiques.
Car en effet lors des premiers congés, une grande partie des travailleurs
sont restés chez eux faute de moyens.
Les vacances, un droit conquis
Les vacances qui
apparaissent aujourd’hui comme un droit inaliénable de toute personne ont
été, comme c’est souvent le cas, le résultat d’un combat syndical et
politique acharné et d’âpres discussions. Bien entendu, c’est la classe
ouvrière qui fut la principale bénéficiaire de ces mesures, les autres
catégories sociales ayant déjà assimilé la pratique des vacances depuis
longtemps. Paradoxalement, on peut s’étonner que même les propagandistes de
ce droit aux congés payés avaient une certaine inquiétude quant à la
capacité des bénéficiaires d’exercer ce droit nouvellement acquis de façon
“intelligente” et la conséquence heureuse de ce questionnement fut que l’on
ne se contenta pas de promulguer une loi supplémentaire, mais de mettre
aussi en place une série de dispositifs d’accompagnement. Ce fut le point de
départ de l’extension d’une certaine forme de tourisme social qui a pris
depuis lors une grande extension. Dommage que nos touristes actuels n’aient
pas toujours gardé la mémoire de cette conquête sociale, et qu’ils ont un
peu trop tendance à considérer ce droit comme définitivement acquis alors
que, dans le contexte de libéralisme économique actuel, des remises en cause
ou des limitations de ce droit peuvent toujours se concevoir.
FL
Témoignage
|
«On
s'est tant battus, on les a enfin ! Avec mon pécule, on a acheté de la
toile. Et nous avons fait une tente qui avait trois mètres sur deux.
Nous ne nous sommes jamais si bien amusés en vacances. Je campais dans
le bois ou dans une ferme. J'avais emporté du lard et des mange-tout.
J'adore les mange-tout. Nous avons fait les sept jours des mange-tout.
Nous étions à Bohan-sur-semois. On passait la frontière, on allait en
France, boire quelques bonnes bouteilles de vin. Les plus belles
vacances que j'ai passées. Et chaque année, on est parti comme ça tant
qu'on a pu. J'étais avec mon frère qui était gendarme. Il aimait bien
aller pêcher. Quand la tente était trop petite, eux, ils dormaient
dans la voiture et nous dans la tente. Mais on avait une vie
indépendante, on ne souhaitait pas beaucoup, on était heureux.»
François
Nizet, ouvrier métallurgiste à Cockerill |
Les cartes postales
Un bonjour de La Panne
Les
cartes postales… ces petits bouts de carton que l’on n’envoie qu’en
vacances.
On y inscrit des choses anodines, sans importance…
Mais rares sont ceux qui dérogent à ce rituel.