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Social (15 juin 2006)

 

Les 70 ans des congés payés

Il y a 70 ans, le 27 juin 1936, la loi instituant les congés payés en Belgique est votée à l’unanimité par la Chambre des Représentants (1). Les premiers congés payés marquent une étape décisive dans la conquête du temps libéré.

 

 

Cette conquête extrêmement importante est obtenue dans une période, certes riche en acquis sociaux, mais également troublée par la montée des totalitarismes, la dérégularisation des systèmes démocratiques et des marchés économiques. Elle est également à resituer dans l’histoire de la réduction du temps de travail.

Jusqu’alors réservée à la noblesse puis, à la fin du XIXème siècle, à la bourgeoisie commerciale et industrielle, la quête de loisirs et de divertissements, de voyages touristiques va s’élargir progressivement à de nouveaux publics alors que l’idée que tous les travailleurs ont droit à un temps de repos fait également son chemin.

 

Éviter l'usure des jours de labeur

Une première étape est franchie en 1905, lorsqu’est promulguée la loi du 26 juillet portant sur le repos dominical. En 1921, c’est au tour de la loi limitant le travail à 8 heures par jour et à 48 heures semaines d’être votée. Ce temps libéré enfin obtenu devient un formidable enjeu pour les organisations ouvrières qui vont tout faire pour le valoriser alors que déjà se pose la question de savoir comment l’ouvrier va occuper ses loisirs : «Il ne suffit pas de donner des vacances aux travailleurs : il importe que le jour où il en aura, il sache s’en servir. Il importe aussi que le jour où il voudra et pourra s’en servir, il ne trouve pas des contingences économiques telles, que toute utilisation pratique de la réforme lui soit impossible. Certes, en réclamant les vacances, comme en exigeant les huit heures, nous avons songé à la santé physique des laborieux ; nous avons voulu du repos après la journée, pour éviter l’usure des jours de labeur se succédant sans interruption pour qu’ils puissent profiter de la vie familiale, y goûter toutes les joies en même temps qu’en remplissant tous leurs devoirs. Nous voulons aujourd’hui les vacances, pour que, l’année achevée, il se produise une détente de l’organisme qui retarde l’usure que produit l’accumulation de la fatigue. Nous voulons aussi, comme pour les huit heures, que ces loisirs profitent tant au corps qu’à l’esprit» défend M. Decourcelles dans son rapport sur la santé des travailleurs et les congés payés présenté au congrès de la CSC en 1930.

 

Mouvement de grève des travailleurs

Le 2 juin 1936, les dockers du port d’Anvers arrêtent le travail et réclament une augmentation de 14 francs par jour alors que le patronat qualifiant la grève d’illégale refuse toute négociation. Cette grève déclenchée spontanément met le feu aux poudres dans les milieux ouvriers qui au cours des années 30’ ont été particulièrement frappés par la crise économique. Chômage en hausse, fermetures d’entreprises, blocage des salaires, diminution du pouvoir d’achat… rien n’aura été épargné aux travailleurs et encore moins aux travailleuses et aux étrangers victimes de mesures antisociales prises par le gouvernement. Même si la conjoncture s’améliore et qu’un nouveau gouvernement, cette fois tripartite, se met en place afin de redresser la situation, il faut aussi faire face à la montée de l’extrême droite dont le Parti Rex, mené par Léon Degrelle, obtient 21 sièges au Parlement .

La victoire du Front Populaire en France et l’obtention d’une semaine de congés payés et des 40 heures en mai 1936 stimulent sans nul doute le mouvement de revendications en Belgique.

Rapidement la grève va se propager à l’ensemble des secteurs et à travers tout le pays. Toutes les organisations ouvrières se mobilisent pour clamer leur solidarité avec les 600.000 travailleurs (ouvriers et employés) en grève.

Pour la première fois, les organisations socialistes et chrétiennes qui encadrent le mouvement rédigent un programme commun de revendications concernant «la réadaptation générale des salaires, avec fixation d’un minimum de 32 francs par jour et un relèvement important des allocations familiales ; la semaine des 40 heures; l’instauration de mesures légales pour garantir le plein exercice de la liberté ouvrière des vacances payées».

Le 15 juin, un nouveau gouvernement dirigé par Paul Van Zeeland est mis en place. Immédiatement, ce dernier convoque pour le 17 juin la première Conférence nationale du Travail au cours de laquelle Patronat, Syndicats et Gouvernement aboutissent à un accord de principe garantissant aux travailleurs l’introduction de la semaine de 40 heures, l’augmentation du minimum de salaires ainsi que six jours de congés annuels.

 

Ils ont remporté la victoire !

Immédiatement les commissions paritaires se mirent au travail afin d’étudier l’application des mesures dans leur secteur et rendre leurs conclusions.

Les projets de loi ayant été déposés au Parlement, dont celui d’une loi cadre sur les 40 heures, les organisations syndicales appellent à la fin de la grève en lisant devant les micros de l’INR, un texte commun : «Travailleurs! la Commission Syndicale socialiste et la Confédération des Syndicats Chrétiens ont dans le conflit mené une action convergente avec la classe ouvrière. Ils ont remporté la victoire! Vous avez été dignes dans la bataille; vous vous montrerez dignes dans le succès. Vous serez disciplinés; vous suivrez le mot d’ordre de vos organisations. La Commission Syndicale socialiste et la Confédération des Syndicats Chrétiens ont décidé que le travail serait repris demain mercredi 24 juin, dans toutes les industries où satisfaction est obtenue. Elles assurent les travailleurs qui se heurtent encore à la résistance injuste des patrons, notamment pour l’adaptation des salaires, de leur appui complet». Fin juin, la reprise était générale.

 

Des vacances ouvrières déjà organisées avant 36'

La revendication des vacances payées était toutefois antérieure à l’année 1936 qui la consacra. Déjà évoquée en 1919 lors de la Conférence Internationale du Travail de Washington, certains pays ont déjà apporté un certain nombre de réponses à la problématique soit en inscrivant les jours de congés payés pour les ouvriers dans le cadre de conventions collectives comme ce fut le cas pour la Grande-Bretagne à partir de 1901, l’Allemagne, le Danemark, l’Afrique du Sud… soit en instaurant un régime légal de vacances annuelles payées comme en Autriche dès 1919.

En Belgique, les vacances ouvrières sont déjà organisées bien avant 1914 pour le personnel de certaines administrations communales et de coopératives mais également dans l’industrie de la fourrure ainsi que dans le secteur des banques et des assurances...

Observant les tendances, la Commission syndicale belge et la CSC se penchent sur la question en 1925 dans le cadre de leurs congrès respectifs. Pour les socialistes «tous les salariés ont le droit de jouir d’un congé annuel avec salaire payé, droit qui se justifie d’autant plus que la plupart des travailleurs intellectuels jouissent, depuis longtemps déjà, de vacances annuelles» tandis que, du côté chrétien, «la revendication des vacances pour les ouvriers d’industries et de commerce n’a rien de déraisonnable ni d’impossible, et peut être réalisée sans entraîner pour les industriels le moindre danger».

La même année, la JOC, revendiquait également «que des vacances payées de deux ou trois semaines soient accordées à tous les adolescents salariés, de préférence en été ou en automne».

La revendication des congés payés est donc bien inscrite au programme du mouvement ouvrier et même si elle n’est tout d’abord pas considérée comme prioritaire, elle sera progressivement considérée comme le couronnement de la lutte pour la réduction du temps de travail malgré une hostilité patronale très forte qui préfère stigmatiser les loisirs des ouvriers «qui cherchent surtout le plaisir et dépensent ostensiblement» et dont les sports auxquels ils s’adonnent «contribuent fort peu à améliorer la race»!

En vertu de la loi du 8 juillet 1936, la grande majorité des salariés bénéficieront d’un minimum de six jours de congés annuels payés tandis que la loi du 20 août 1938 prononce l’extension du droit aux congés à tous, ainsi que le doublement de la durée du congé légal en faveur des moins de 18 ans et institue la Caisse auxiliaire nationale des congés payés afin d’assurer le paiement des allocations.

Quoiqu’il en soit l’obtention de cette première semaine de congé va bouleverser la vie quotidienne des familles ouvrières. Une seconde semaine sera obtenue en 1952, une troisième en 1967, une quatrième en 1975.

Florence Loriaux

(Carhop)

 

(1) Le Sénat approuvera à son tour, également à l’unanimité, le texte le 3 juillet.

 

Témoignage

«Je me rappelle de ma première semaine de vacances, quand je me suis marié. On avait conquis cette semaine de vacances à la grève de 36' et c'étaient mes premiers six jours. Nous sommes allés à la mer du Nord à Blankenberghe, chez des connaissances de mes beaux-parents. Ces personnes nous avaient offert l'appartement gratuitement, pour notre voyage de noces. Et nous sommes partis. C'était extraordinaire.
En général, les ouvriers ne partaient pas même quand ils se mariaient. Encore maintenant d'ailleurs, il y a un grand pourcentage de gens qui ne partent pas.»

Maurice Jaminou, sidérurgiste à Seraing

 

Témoignage

«En 1957, on a eu une grande grève pour le double pécule de vacances. Les 21 jours de grève ont été 21 jours de soleil. Quand nous sommes sortis de la Populaire, après avoir obtenu les résultats désirés, il s'est mis à pleuvoir. On nous avait donc accordé 2% de plus, premiers pas vers le doublement du pécule. Quand on parle du double pécule, il faut bien comprendre. C'était le doublement du congé existant mais seule la première semaine et une partie de la seconde semaine était conditionné par l'ancienneté dans l'entreprise. Je crois que tous les ouvriers n'avaient pas le même nombre de jours.»

François Vreven

 

Comment les travailleurs vont-ils occuper leur temps?

Mais comment organiser les congés payés? Comment l’ouvrier va-t-il s’occuper? Cette question n’est pas seulement posée par les industriels dans leur «Bulletin social» dans lequel on peut lire : «Certains ouvriers pourront faire coïncider leurs vacances avec des périodes de fêtes et de kermesses; ils les passeront dans ce cas souvent au café. D’autres songeront à utiliser ce temps pour travailler à leur jardin ou à leur maison» mais également par les organisations qui s’inquiètent que «l’utilisation des vacances ouvrières ne doit pas être laissée au hasard. Elles ne constituent pas matière à rigolade. Le mouvement éducatif n’a pas assez de ressources de tous genres pour faire tout. Ce n’est ni un dénigrement, ni une faiblesse de le reconnaître».

«A notre sens, peut-on également lire dans le journal La Wallonie, la loi des huit heures eût dû être accompagnée ou complétée par une organisation systématique des loisirs et des délassements, soit au service des partis, des syndicats ou par les autorités officielles (…) la création des vacances ouvrières payées peut aussi perdre de sa valeur. Il ne faut pas que le travailleur soit astreint à passer son congé dans le fond des cours, le long des murs des impasses ou au pied des terrils. Il faut qu’il puisse, avec sa famille, quitter son horizon habituel et gagner d’autres paysages. Il faut qu’on l’entraîne et qu’on le guide».

 

Naissance du tourisme social

Pour répondre à ce besoin, une véritable politique de tourisme social se met en place. Une Commission des Vacances ouvrières est créée en novembre 1936 et donnera naissance en 1937 à l’Office national des vacances ouvrières. De leur côté, les organisations développent leurs propres infrastructures comme, par exemple, “les Vacances ouvrières” du côté socialiste, ou “l’Office central des Vacances”, qui deviendra “Loisirs et Vacances” du côté chrétien, qui vont permettre au travailleur de passer «son congé avec sa famille de la façon la plus utile qui soit, aux conditions morales et financières les plus avantageuses».

Excursions d’un jour, séjours à la mer, en Ardenne, sont proposés à des prix démocratiques. Car en effet lors des premiers congés, une grande partie des travailleurs sont restés chez eux faute de moyens.

 

Les vacances, un droit conquis

Les vacances qui apparaissent aujourd’hui comme un droit inaliénable de toute personne ont été, comme c’est souvent le cas, le résultat d’un combat syndical et politique acharné et d’âpres discussions. Bien entendu, c’est la classe ouvrière qui fut la principale bénéficiaire de ces mesures, les autres catégories sociales ayant déjà assimilé la pratique des vacances depuis longtemps. Paradoxalement, on peut s’étonner que même les propagandistes de ce droit aux congés payés avaient une certaine inquiétude quant à la capacité des bénéficiaires d’exercer ce droit nouvellement acquis de façon “intelligente” et la conséquence heureuse de ce questionnement fut que l’on ne se contenta pas de promulguer une loi supplémentaire, mais de mettre aussi en place une série de dispositifs d’accompagnement. Ce fut le point de départ de l’extension d’une certaine forme de tourisme social qui a pris depuis lors une grande extension. Dommage que nos touristes actuels n’aient pas toujours gardé la mémoire de cette conquête sociale, et qu’ils ont un peu trop tendance à considérer ce droit comme définitivement acquis alors que, dans le contexte de libéralisme économique actuel, des remises en cause ou des limitations de ce droit peuvent toujours se concevoir.

FL

 

Témoignage

«On s'est tant battus, on les a enfin ! Avec mon pécule, on a acheté de la toile. Et nous avons fait une tente qui avait trois mètres sur deux. Nous ne nous sommes jamais si bien amusés en vacances. Je campais dans le bois ou dans une ferme. J'avais emporté du lard et des mange-tout. J'adore les mange-tout. Nous avons fait les sept jours des mange-tout. Nous étions à Bohan-sur-semois. On passait la frontière, on allait en France, boire quelques bonnes bouteilles de vin. Les plus belles vacances que j'ai passées. Et chaque année, on est parti comme ça tant qu'on a pu. J'étais avec mon frère qui était gendarme. Il aimait bien aller pêcher. Quand la tente était trop petite, eux, ils dormaient dans la voiture et nous dans la tente. Mais on avait une vie indépendante, on ne souhaitait pas beaucoup, on était heureux.»

François Nizet, ouvrier métallurgiste à Cockerill

 

 

Les cartes postales

Un bonjour de La Panne

Les cartes postales… ces petits bouts de carton que l’on n’envoie qu’en vacances.
On y inscrit des choses anodines, sans importance…
Mais rares sont ceux qui dérogent à ce rituel.

 

“Après un long voyage, nous voilà à destination ! Il fait très beau ici. Hier nous avons fait une promenade au bois cueillir des fraises et des framboises. Monique».

«Un bonjour de La Panne de Anna, Mariette, Emile et Antoine.»

«Chère Flore, Je m’amuse bien à la mer. Je me porte bien et on espère autant de vous. Compliments de Maman et Lucienne.»

«Très cher parrain et grand-père. Il fait très beau. Nous nous amusons follement. Il faut absolument venir passer un ou deux jours à La Panne. C’est un ordre de bobonne et de nous tous. Prends vite l’horaire des trains et ton carnet de chèques. Confie le sort des poules et des poussins à Marie et à la grâce de Dieu et celui des souris à l’adresse du chat. Nous viendrons te chercher à la gare au jour que tu fixeras. Nous t’attendons impatiemment. Ta petite-fille Mariette.»

«Bons baisers de Blankenberge. Guillaume.»

 

«Chers Papy et Mamy. Il fait très beau ici. On va à la plage, on joue au ballon. L’eau de la mer est un peu froide mais le sable est très chaud. Gros bisous. Charlotte.»

Chaque année, c’est le même rituel… Il faut acheter des cartes postales… puis les remplir. À défaut de faire des jolies phrases et de la belle prose, on se contente de jeter quelques formulations banales et passe-partout. Chaque année, c’est la même chose… on pense à les envoyer à la fin du séjour, parfois même la veille du départ. Mais quelle importance ! On a écrit. À sa grand-mère qui se sent parfois bien seule. Par le biais de cette photo de plage, de montagne ou d’église, on lui montre qu’on pense à elle. À ses parents, à qui heureusement on a veillé à téléphoner pour dire qu’on est bien arrivé. À quelques amis pour dire qu’on ne les oublie pas et en espérant qu’ils penseront aussi à nous. À ses collègues de bureau qui triment et avec la ferme intention de les faire baver devant ce paysage de cocotiers choisi tout spécialement.

Ces cartes postales de toutes les couleurs, de toutes les destinations, atterrissent ensuite sur le buffet du salon ou sur le frigo, maintenues par des magnets en forme de pommes et de poires. Comme un petit bout de voyage que l’on partage avec l’autre. Robert et Gisèle sont allés à Sainte-Maxime, Paul et Dora en Colombie, Raphaël, toujours baroudeur, a envoyé l’image d’un temple bouddhiste à Borobudur, Joëlle qui aime le soleil, un splendide coucher de soleil de Saint-Domingue, les enfants un paysage ardennais de leur camp scout.

La carte postale est finalement une lettre à laquelle on ne répond pas, un geste gratuit que l’on distille à l’envi. Nombreuses seront jetées une fois la rentrée arrivée. Comme pour mieux symboliser le retour aux choses sérieuses, la fin du rêve. Celles qui seront conservées se transformeront en un petit bout d’histoire familiale. Un remède contre l’oubli.

Françoise Robert

 

Pour en savoir plus

Questions d’histoire sociale, Carhop-Fec, Bruxelles, 2005.

Jean Neuville, La lutte ouvrière pour la maîtrise du temps, Bruxelles, EVO, 1981 (Histoire du Mouvement ouvrier en Belgique), Congés payés 1936. Histoire et idéologie. André Hut (sous la dir.)

Actes du colloque organisé à Bruxelles le 29 novembre 1986 par le mouvement Culture-Tourisme-Loisirs CTL, Bruxelles, Reflet, 1991.

 

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