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Social (17 novembre 2005))

Pourquoi les banlieues s’embrasent

 

Incendies criminels, état d’urgence, couvre-feu. Le zoom télévisuel quotidien sur les cités françaises fait peur. Pourquoi une telle tornade sociale dans les quartiers dits «sensibles» ? Comment interpréter ces cris de colère, sinon comme autant d’appels au secours et de soupapes à l’injustice?

Alors que le phénomène tente de s’exporter en Belgique, «En Marche» a cherché à mieux comprendre la flambée de violence qui secoue les banlieues françaises. Pour «ces jeunes des cités», comme on les nomme souvent avec une once de mépris dans la presse, la rencontre et le dialogue se font le plus souvent par l’intermédiaire de leur éducateur. Philippe a travaillé dans le département de Seine-Saint-Denis en banlieue parisienne. Dans le cadre d’un programme d’insertion en entreprise, il est devenu au fil du temps un interlocuteur privilégié. Pour les avoir côtoyé au quotidien, compris la réalité sur le terrain et recueillis leurs confidences dans la confiance.

En Marche: Des dizaines de bâtiments publics détruits, des milliers de voitures incendiées aux quatre coins de la France: la situation est-elle donc à ce point explosive dans les banlieues?

Déjà à l’époque où l’on a érigé ces cités de béton dans les années ‘60, des mises en garde ont été formulées. Aujourd’hui, avec la poussée du chômage, la situation s’est fortement détériorée. Le terme d’Apartheid social, géographique et ethnique a aussi été émis récemment. Le terme est très fort, mais il illustre bien la fracture béante qui existe entre ces cités dont la plupart sont reprises pudiquement sous l’appellation «Zones Urbaines Sensibles» (voir encadré) et le reste de la ville. Les populations qui vivent en banlieue sont en quelque sorte mises au ban du lieu. Elles vivent dans une France laissée pour compte. Le chômage y est de 20,7 %, soit plus de deux fois la moyenne nationale. Pour les jeunes, il atteint même 40 %. Leur seul prénom s’est mué en véritable handicap social. Quand Ali ou Mahomet répondent à une proposition d’embauche, soudainement, la place est déjà prise. Classique. Des études socio-économiques ont prouvé que lorsqu’un jeune issu de l’immigration postule pour un emploi, il a, à compétence égale, 5 fois moins de chance d’obtenir le job qu’un autre. Et le chiffre augmente quand la personne vient d’un quartier à mauvaise réputation.

EM: Les deux dernières campagnes électorales du Président Chirac étaient basées sur la réduction de la fracture sociale et l’insécurité. La crise des banlieues signe-t-elle l’échec de la politique française?

Ce dont les jeunes ont le plus besoin, c’est de confiance et de respect. Leur demande d’être écouté est immense. Quand la République ne les aime pas ou ne les respecte pas, ils le sentent. Or ici, elle leur a répondu par le mépris, le rejet et l’humiliation. Plus que toute autre personne, un Ministre a un devoir de dignité, de modérer ses propos. Traiter les gens de «racaille», revient à signifier son mépris par excellence. Condamner la violence est une chose, mais il faut le faire tout en respectant les êtres humains. Sinon le gouvernement sape d’un coup tout le travail d’éducation. D’autres erreurs ont encore été accumulées durant ce mandat. Des postes dans l’enseignement ont été supprimés et les subsides aux associations rognés. Quant à la Police de proximité, elle a été supprimée. Cela revient à affaiblir encore le fragile lien qui existe entre ces communautés et les Institutions. Aujourd’hui, on récolte les fruits de cette politique désastreuse.

EM: Avec l’application de la Loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, le nouveau décret permet d’instaurer le couvre-feu…

La mort de deux jeunes électrocutés alors qu’ils étaient poursuivis par la police, a été le détonateur des émeutes. Bien sûr, il faut combattre la violence et elle ne peut rester impunie, mais à cette force, doit se joindre la sagesse. Il aurait d’abord fallu exprimer des regrets par rapport aux événements dramatiques, ensuite, se pencher sur les difficultés des «jeunes des cités». Ici, non seulement le Gouvernement ne reconnaît pas ses erreurs, mais il réitère son mépris. Quant à décréter l’état d’urgence, cela revient à réduire ces «jeunes» au rang d’ennemis de la République. Parce qu’en faisant référence à la Guerre d’Algérie, allusion est faite au passé. Un traumatisme particulièrement douloureux vécu par leurs parents.

EM: L’âge des incendiaires a étonné. Certains n’ont pas 14 ans.

L’inquiétude par rapport à un futur sans avenir semble naître plus tôt qu’auparavant. Ne sort-on pas plus vite de l’enfance quand on vit dans des conditions difficiles et qu’on affronte quotidiennement les inégalités? De manière générale, on a aussi trop tendance à culpabiliser les parents, ce qui décharge une République qui se veut égalitaire et fraternelle, de ses responsabilités. Entre-temps, le constat est sur la table: 22 % des actes de délinquance sont aujourd’hui commis par des mineurs.

EM: Les cibles surprennent tout autant. Des écoles, des crèches, des bibliothèques des quartiers pauvres? Pourquoi pas «uniquement» des mairies et des commissariats?

En temps «normal», il n’est pas rare que les «jeunes» s’en prennent aux commissariats. Dans le contexte actuel, c’était plus difficile. Or dans les banlieues, il n’y a pas tellement de cibles possibles. Les casseurs s’en sont pris à ce qui se trouvait sur leur chemin, la voiture d’un voisin, le commerce d’un parent, la crèche des enfants. En Mai ’68, les étudiants s’en étaient pris aux boutiques de luxe. Dans les cités, il n’y en a pas!

EM: La thèse de l’Organisation avec un grand «O» tient-elle la route?

Prétendre qu’il y a derrière ces événements des organisations mafieuses ou des islamistes, revient à rajouter une couche de mépris supplémentaire et enlever définitivement aux jeunes toute crédibilité. Visiblement, on essaie de casser leur message. Le mythe du complot ne tient pas la route. En Mai ’68, les jeunes ont aussi brûlé des voitures et brisé des vitrines. Certains politiciens ont crié au complot contre la République ou ont cru reconnaître la main mise de la CIA. A l’époque, il s’agissait d’étudiants, d’universitaires qui savaient s’exprimer. Ils ont été écoutés. Dans le contexte actuel, même si ces jeunes ont parfois plus difficiles à le faire, ils ont autant le droit d’être entendus.

EM: Que pensez-vous du contrat d’apprentissage à partir de 14 ans?

Le gouvernement français, démuni et maladroit, est tenté de répondre à ces excès de violence par des mesures non réfléchies qui pourraient bien amplifier le phénomène. Remettre en question l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans n’est pas le genre de mesure à prendre dans la précipitation. C’est un choix de société. Cette option sous-entend aussi que les «jeunes des cités» ne sont pas bons pour l’école et qu’il faut les mettre au travail plus tôt. Alors même que tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut plus d’éducation. Il y a là un discours paradoxal, une démission de l’Etat.

EM: Quelles solutions pour les quartiers à problèmes? En fait-on assez pour les banlieues?

Jusqu’ici, les gouvernements ont beaucoup misé sur la rénovation urbaine, notamment lors du lancement du «Grand Projet de Ville». Il s’agissait de «casser les ghettos». Tout cela est très bien, mais n’est pas suffisant. Il est tout aussi important de recréer des liens sociaux. Or, cela a été négligé. Ces cités doivent devenir autre chose que de simples cités dortoirs flanquées de grandes surfaces. Il faut miser davantage sur les activités culturelles, le secteur associatif, l’enseignement, bref le secteur non-marchand. Espérons qu’à la lumière de ces événements il puisse y avoir une réflexion en profondeur. En attendant, la priorité des priorités reste évidemment l’emploi.

EM: Justement, en matière d’emploi, est-ce qu’on a vraiment tout essayé?

On pense toujours que ces jeunes sont très matérialistes. Ils le sont certes, mais par nécessité. Parce qu’ils n’ont pas la possibilité d’accéder à autre chose. Quand on les interroge, on s’aperçoit que beaucoup rêvent en réalité de carrières dans le secteur social, humanitaire, carrières auxquelles ils ne peuvent que très difficilement accéder. Pour ce qui est des métiers qui créent des liens, très peu sont occupés par des jeunes issus de l’immigration. De manière plus générale, on ne mise pas assez sur les bons gisements d’emploi. L’industrie vers laquelle on les pousse, offre - on le sait - de moins en moins de possibilités. Dans les cités, il y a pourtant un potentiel extraordinaire. Notamment dans ce qui est souvent dénoncé comme un handicap: le multiculturalisme. Quand les médias parlent des cités, ils ne soulignent que les aspects négatifs: le deal, l’insécurité… Par contre quand les jeunes parlent des côtés positifs de leur cité, ils citent toujours cet aspect…

EM: L’exportation du phénomène est-il possible en Belgique ou sommes-nous «immunisés»?

La situation en Belgique est quelque peu différente. Chez nous, il y a des représentants de différentes communautés immigrées dans le monde politique, ce qui est très rare en France. Et quand représentation il y a, elle n’est en tout cas pas proportionnelle et le sentiment d’exclusion est fortement ressenti. Nous vivons toutefois des problèmes similaires et ce serait une erreur de ne pas tirer les conclusions de se qui se passe en France.

EM: En terme d’image, ni les banlieues ni les jeunes ne sortent gagnants. La situation risque-t-elle d’empirer? Et l’extrême droite de gagner du terrain?

Le danger ne vient pas tellement de l’extrême droite, mais de la droite traditionnelle dite «modérée» et de la surenchère sécuritaire. Même le PS se lance actuellement dans ce genre de discours. En fait, personne n’ose le discours social…

Entretien: Marc Fasol

 

Zones urbaines sensibles (ZUS)

Depuis plus de 20 ans, la France s’enfonce dans une «ghettoïsation» de son territoire. Quelques chiffres pour saisir l’ampleur du phénomène. En 1984, la liste des quartiers devant bénéficier d’un soutien spécifique, comptait 184 «Zones urbaines sensibles», des quartiers très défavorisés. Aujourd’hui, «la Politique de la Ville», dénombre pas moins de 752 «ZUS». Elles sont réparties dans toute la France sur quelque 800 communes. Seuls 9 départements français en sont épargnés. Les «ZUS» sont caractérisés notamment par de graves problèmes d’emploi, des revenus annuels par ménage plus faibles, une proportion de jeunes importante, un niveau d’éducation bas, des familles plus nombreuses pour des logements plus exigus, un nombre inférieur de propriétaires, des établissements de santé moins nombreux… Ces territoires abritent actuellement près de 5 millions de personnes.

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