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Social  (16 octobre 2014)

Un toit et des murs, sans attendre

© BELGA/AFP

Une partie des personnes vivant à la rue n’a qu’un faible espoir de revivre un jour dans un logement et de s'y reconstruire. "Housing First", en cours d'expérimentation dans les grandes villes belges, a l'ambition de renverser la vapeur. Le concours des propriétaires, grands ou petits, est indispensable.

Housing First est un laboratoire social qui, lentement mais sûrement, se met en place dans les grandes vil - les du pays où (sur)vivent un nombre croissant de Sans domicile fixe (SDF) : Bruxelles, Liège, Charleroi, Anvers et Gand. À l'heure où ces lignes sont écrites, 92 hommes et femmes en sont les acteurs et bénéficiaires principaux. Leur point commun : avoir vécu de longues années à la rue et, pour une grande partie, avoir connu un lourd parcours d'assuétudes conjuguées à une pathologie mentale. Quinze mois après le début de l'expérimentation, toutes ces personnes vivent sous un toit, gage de sécurité et – c'est le but – promesse d'une stabilisation psychique et sociale devant mener à la formulation d'un nouveau projet de vie.

D'origine américaine, Housing First dit bien ce qu'il veut dire : "le logement d'abord". "Il faut oser le logement, même - et surtout - avec les publics les plus déracinés", explique Coralie Buxant, sa coordinatrice. L'originalité est qu’au lieu d'envisager le retour du sans-abri dans un logement au terme d'un parcours progressif de resocialisation, on le lui offre directement, sans attendre. Enfin… "offrir" n'est pas le bon mot : le bénéficiaire signe le contrat de bail et paie le loyer lui-même. Il doit donc bénéficier d'une allocation ou du revenu d'intégration. Pas d'autre condition, si ce n'est la motivation.

"Même si ce n'est pas toujours formalisé ni conscientisé comme tel, beaucoup d'intervenants sociaux chargés des sans-abri procèdent par étapes, explique Coralie Buxant. Avant de pouvoir vivre sous un toit à lui, le SDF doit en quelque sorte faire ses preuves : être hébergé sans heurt dans un abri de nuit, puis un abri de jour, puis en maison d'accueil, ensuite dans un logement de transit supervisé, etc. Ce modèle assez cloisonné, (à chaque étape, un intervenant social différent) repose sur des habitats collectifs. Il convient très bien à certains publics. Mais d'autres, au parcours de vie sévèrement chahuté, n'ont aucune chance d'aller jusqu'au stade du logement et d’une vraie remise en projet."

Une solitude étouffante

Dans la "philosophie" de Housing First, déjà pratiquée ici et là informellement, le logement n'est plus une fin, mais un moyen d'intégration. Cela passe, une fois le sans-abri relogé, par un accompagnement pyscho- social rapproché. "Après des années entières passées à la rue, la solitude ou le simple fait de vivre dans le silence peuvent être de terribles facteurs d'angoisse, constate Arnaud Jacquinet, assistant social et 'capteur de logement' (ci-dessous) au Relais social de Liège. Il faut souvent des mois pour se sentir bien dans son logement et se l'approprier réellement. Cela peut passer, paradoxalement, par un stade de résurgence de la maladie mentale."

Cet accompagnement dépasse largement la gestion des relations – parfois difficiles – entre le propriétaire et son nouveau locataire. Il se réalise en étroite collaboration avec les services spécialisés présents dans chaque ville concernée. Grâce à leur présence sur le terrain, ceux-ci con naissent généralement certains bénéficiaires avant même qu’un logement leur ait été trouvé. Bref, un travail de réseau et de partenariat.

Et ça marche ? "Moins de 5 % des bénéficiaires refusent l'accompagnement psychosocial, se réjouit Coralie Buxant. Après environ six mois de vie sous un toit, la plupart prennent en charge leur santé physique et mentale. Des problèmes graves restés non soignés pendant des années, diabète, troubles respiratoires chroniques, etc. trouvent une solution ou sont enfin traités médicalement." Quant à la toxicomanie, il est encore trop tôt pour l'évaluation. Normal : on n'enraye pas une assuétude en quelques mois. "Notre but n'est pas de l'arrêter à tout prix : ce serait illusoire. Mais, au moins, nous diminuons les risques liés à la consommation du produit (NDLR: infections, maladies sexuellement transmissibles, délinquance, etc.)."

Manque de logements Autre critère d'évaluation : le paiement du loyer. La grande majorité des locataires ex-SDF s'en acquittent, malgré le poids énorme dans leur budget. La grande difficulté se situe plutôt en amont : trouver des logements salubres à un prix acceptable. Du côté du marché public, les solutions se négocient au cas par cas selon les villes concernées.

En Flandre, le Code du logement prévoit des facilités pour les initiatives Housing First si elles se mènent avec les CPAS. À Charleroi, par exemple, la société locale de logement sociaux a mis les gouttes d'huile nécessaires pour accélérer la mise à disposition de logements adéquats. Il faut dire que les pouvoirs publics sont plutôt confiants : le "labo" Housing First fait l'objet d'un protocole d'expérimentation scientifique qui, supervisé par le Secrétariat d’État à la Pauvreté, doit voir à quelles conditions ce modèle made in USA peut se développer chez nous. Un suivi comparatif est réalisé avec deux groupes de contrôle. Evaluation finale : août 2015.

//PHILIPPE LAMOTTE

>> Plus d’infos : www.housingfirstbelgium.be

 "Je veux être utile" 

"Mon cœur va exploser, j'ai si mal..." En pleurs, Wahiba, 52 ans, porte les mains sur ses tempes et ferme les yeux. Depuis dix mois, elle occupe un petit trois pièces dans le quartier du Longdoz (Liège) mis à sa disposition par Housing First. La vie à la rue, cette ancienne infirmière la connaît comme sa poche. Trois ans de galère, blottie dans les recoins de la gare des Guillemins, rackettée par d'autres SDF, agressée sexuellement, réveillée par les chiens du service de sécurité. "L'hiver, c'est abominable…".

De son histoire et de la perte du logis, on ne saura rien. Juste que son mari "ne la respectait pas". Aujourd'hui, elle a enfin son propre toit. Une cuisine, une douche, un lit, une TV… Mais surtout, ce bien inestimable : la sécurité. Elle sait pourtant qu'il est trop tôt pour envisager le moindre projet. Elle dit d'ailleurs être dénuée de la moindre envie. Pire, elle ne fait que broyer du noir. "La rivière (NDLR : la Meuse), là-bas, me regarde et me défie. Et si je m'y jetais ?" Psychotique, plusieurs fois hospitalisée, Wahiba ne tient le coup qu'à force de médicaments et d'injections. Pendant la discussion, elle ne cesse de manipuler des plaquettes de pilules et allume cigarette sur cigarette. "Je ne veux pas voir ma propriétaire. Je ne sais pas communiquer avec elle, ni avec personne : je suis trop agressive. Je dois me protéger".

Heureusement, il y a son "accompagnateur social". Il lui a fourni des tringles et des rideaux. Il l'accompagne à l'hôpital pour les injections. Il prend les contacts avec sa propriétaire et son administrateur de biens. Surtout, il passe régulièrement et prend le temps de l'écouter. Car Wahiba, volontairement recluse, ne fait presque rien de ses journées. Si ! Elle frotte, elle récure, elle asticote son intérieur. Des heures et des heures, de jour comme de nuit. Tard dans la conversation, elle consentira entre ses dents à évoquer son passé. "J'ai été souillée. Et je le resterai à jamais"… De temps à autre, elle fréquente l'abri de jour et ses anciens compagnons. Mais elle sait que cela ne lui apporte rien de bon.

Une situation sans issue ? Pas sûr. Wahiba en a marre de recevoir. Elle veut rendre, "être utile et servir à quelque chose". Elle vient de s'inscrire à une formation aux rudiments de l'informatique. Elle y ré-entraîne sa mémoire. Elle y apprend à respecter un horaire. Elle s'est achetée un maillot, elle qui aimait tant nager autrefois. Bientôt, elle osera peut-être plonger dans une piscine. "J'ai encore de belles jambes… Parfois, j'ai même envie de galipettes…" glisse-t-elle avec un sourire facétieux. Au fond de sa détresse subsistent encore l'humour et une étonnante lucidité qui la fait citer La Fontaine et des personnalités politiques. De précieux moteurs pour redémarrer un jour dans la vie ?

//PHL

 Profession : "capteur" de logements 

Arnaud Jacquinet est assistant social au Relais social de Liège. Sa tâche : trouver des logements salubres à moins de 350 à 400 euros par mois. Et, une fois le contact pris avec le propriétaire, lui parler du candidat locataire et de la démarche Housing First. "Là démarrent les difficultés. Si le candidat est au chômage, passe encore… Mais s’il dépend du CPAS ! Les portes se ferment aussitôt…"

Alors, il faut convaincre, jouer au feeling en fonction de l’interlocuteur. C’est qu’il y a de tout : "le petit propriétaire qui craint pour la sécurité de son unique bien familial en location, comme le multipropriétaire qui perçoit en Provence ses cinquante loyers mensuels. Par respect pour la vie privée du candidat, je ne peux évidemment pas déballer toute son anamnèse. Mais je ne peux pas non plus cacher la nature de son parcours. Certains propriétaires disent 'oui' par philanthropie ou pour 'donner une chance'. D’autres parce qu’ils sont sensibles à l’idée d’une expérimentation soutenue par le gouvernement". Autres tâches d’Arnaud : préparer le candidat — physiquement et mentalement — à la rencontre avec le propriétaire et traquer les clauses abusives dans le contrat de bail ("On voit de tout ! Or nos candidats, impatients, sont souvent prêts à signer les yeux fermés").

Ensuite, assurer la médiation dès qu’un problème survient. "Etre locataire, c’est un métier. Certains doivent tout (ré)apprendre : on ne sonne pas chez son voisin à deux heures du matin ; on n’invite pas d’anciens amis SDF pour faire la fête ; on ne fait pas la manche devant son logis, etc. Parfois, j’ai le rôle du méchant…" Le métier est exigeant, parfois décourageant. Il réclame une grande présence et un sens aigu de la médiation. La récompense suprême ? "Lorsqu’un locataire, satisfait, me contacte pour mettre un deuxième logement à la disposition de Housing First".

//PhL

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