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Social  (4 septembre 2014)

"Les enfants méritent mieux que des mouchoirs"

© Belgaimage

La pauvreté infantile, en Belgique, progresse. Elle est pourtant loin d'être une fatalité. Les pistes pour en venir à bout sont complexes mais nombreuses. Elles exigent des politiques publiques visionnaires sur le long terme. Et si la sixième réforme de l’Etat était l'occasion idéale ?

La Belgique a beau avoir une tradition sociale forte, elle fait assez piètre figure en matière de lutte contre la pauvreté infantile. Près de 420.000 enfants de moins de 18 ans, chez nous, vivent sous le seuil de pauvreté(1). Cette situation est préoccupante à double titre. D'abord parce que la plupart des pays européens font mieux que nous ou, en tout cas, mieux que la Wallonie et surtout Bruxelles, où le risque de basculer dans la pauvreté frappe carrément 40% des enfants (ils sont près de 25% dans ce cas en Wallonie, mais à peine 10% en Flandre). Ensuite parce que la situation semble se détériorer au fil du temps.

Ainsi, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le nombre d'enfants et d'adolescents vivant en Belgique sous le seuil de pauvreté est passé, sur un laps de temps assez court (entre 2007 et 2010), de 10 à 12,8%. Or, la littérature scientifique est unanime : ceux qui ont vécu leur enfance dans la pauvreté ont plus de risques que les autres de la connaître encore à l'âge adulte. La menace de cercle vicieux est donc bien là.

Vivre dans la pauvreté, pour un enfant, cela signifie bien davantage que vivre avec des parents qui ont un revenu faible ou insuffisant. C'est, concrètement, vivre dans une habitation où la température est trop basse, ne pas disposer d'un endroit adéquat pour faire le travail scolaire, ne pas avoir accès à Internet, ne jamais pouvoir inviter de copains à la maison (plus de 10% des enfants bruxellois, près de 5% des Wallons), ne jamais partir en vacances ou vivre dans un logement dont les meubles endommagés ne sont pas remplacés (plus de 40% des jeunes Bruxellois sont dans ce cas). C'est aussi, dans une moindre mesure, être privé de loisirs réguliers. Au total, 18 critères de ce type ont été définis par une équipe de chercheurs flamands et francophones afin d’objectiver au mieux la situation de pauvreté dans le pays. Pour les plus extrêmes, ces critères allaient jusqu’à refléter des situations où les enfants ne disposent pas de jeux d'intérieur ou s'alimentent moins d'une fois par jour avec des protéines ou des fruits et légumes. Le résultat, là aussi, est édifiant en termes de disparités régionales : si seulement 12% des enfants flamands cumulent trois problèmes de ce genre (ou plus), ils sont 22% dans ce cas en Wallonie et 39% à Bruxelles(2).

Des stress quotidiens

Voilà pour les chiffres, parmi bien d'autres cités lors d’un colloque organisé en juin dernier par la Fondation Roi Baudouin(3). Mais la pauvreté se mesure également grâce aux témoignages des travailleurs sociaux. Divers experts ont, par exemple, rappelé la hantise quotidienne des familles les plus pauvres face à l'éventualité du placement de leurs enfants en institution, ou leur stress face à la menace d’une expulsion du logement, faute d'avoir pu payer le loyer. "Vivre pour ‘tenir’, à la longue, c'est inhumain, se désole Christine Mahy, Secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Les parents qui vivent dans la privation constante font ce qu'ils peuvent pour leurs enfants. Ce n'est pas forcément le plus souhaitable pour ces derniers, et ils le savent bien". Mais voilà : ces parents ont-ils réellement le choix alors que les moyens leur manquent - financiers, mais aussi éducatifs au sens large - et que, par ailleurs, ils doivent également subir le regard social, stigmatisant ? L’un de ces acteurs de terrain cite le cas de ces parents, dont le nom était affiché en grosses lettres sur la porte de la classe de leur enfant, parce qu'ils n'avaient pu régler le montant de l'excursion scolaire…

Comment inverser la vapeur ? Comment venir à bout d'un phénomène qui n'a certes rien de neuf mais qui semble s'aggraver à la faveur des cri ses économiques et de l'écart croissant des richesses ? Venus tant du monde académique que de la société civile, les nombreux experts invités par la Fondation ne se sont pas privés de faire des propositions concrètes (lire ci-dessous). Celles-ci englobent tant le renforcement des services spécifiquement axés sur l’enfance qu’une batterie de mesures plus structurelles, destinées à soutenir le pouvoir d'achat des familles à bas revenus. Le moment pour les mettre sur la table est idéal : les divers gouvernements sont en cours de formation ou d’installation et, de surcroît, les entités fédérées héritent de pans importants de la sécurité sociale, dont les allocations familiales. "Si nous mettons l'accent sur l'insécurité d'existence des familles, ce n'est pas pour que les gens sortent leur mouchoirs, explique Frank Vandenbroucke, ex-ministre (SP.A) des Affaires sociales et des pensions et aujourd'hui chercheur à la KU Leuven. C'est parce que notre Etat providence donne des signes de défaillance".

Le long terme, un impératif

D’autres motivations, plus pragmatiques, poussent également à agir. Une étude américaine relève que chaque dollar investi dans l'accueil de la petite enfance rapporte plus tard de quatre à onze dollars à la collectivité. Explication : les enfants redoublent moins à l'école, sont en meilleure santé, trouvent plus facilement un emploi à temps plein, sombrent moins dans la délinquance et la dépression, etc.

Tout bénéfice pour l’ensemble du corps social. Plus près de nous, une étude menée par deux universités flamandes (KU Leuven et Antwerpen) aboutit à des conclusions proches. Selon elle, si l'on consacrait 12 millions d'euros supplémentaires à la politique de la petite enfance en Flandre, on pourrait faire passer le taux d'emploi des femmes de 81,5 à 87%, ce qui augmenterait les recettes fiscales de 57 millions d'euros(4). Question : les mandataires politiques, singulièrement les Francophones, auront- ils ce souci de long terme lorsqu’ils mettront leurs programmes en œuvre lors de la prochaine législature ?

//PHILIPPE LAMOTTE

(1) Le seuil de pauvreté est fixé à 2.100 euros nets de revenus mensuels (pour un couple avec deux enfants) et à 1.600 euros pour une famille monoparentale avec deux enfants.

(2) Nuance importante : Bruxelles, en tant que ville, peut difficilement être comparée à deux Régions, forcément plus hétérogènes.

(3) "Agir sur les causes structurelles de la pauvreté des enfants", Colloque organisé à Bruxelles (Bozar) le 12 juin 2014. (4) Lire le Zoom Pauvreté des enfants (sur le site de la FRB : www.kbs-frb.be)

(4) Lire le Zoom Pauvreté des enfants (sur le site de la FRB : www.kbs-frb.be)

 Des chiffres qui interpellent 

> Dans certains quartiers de Charleroi, 10% des femmes enceintes ont moins de 18 ans.

> En Communauté française, à compétences égales, 16% des enfants des milieux les plus déshérités redoublent leur première primaire (pour 6% à peine chez les parents les plus riches).

> Seuls 32,6% des enfants d’origine étrangère, et 21% de ceux qui proviennent d’une famille défavorisée, fréquentent régulièrement un lieu d’accueil.

> En région bruxelloise, environ 1.000 femmes enceintes sont dépourvues de toute couverture en soins de santé.

> En région bruxelloise toujours, il faut dix ans d'attente, en moyenne, avant d'obtenir un logement social muni de trois chambres.

Pistes de solutions

© DPA Reporters
Réunis par la Fondation Roi Baudouin, divers acteurs de terrain et experts universitaires suggèrent de réfléchir et débattre autour de diverses propositions pour lutter contre la pauvreté des enfants. Un combat à engager sur une multitude de terrains :

> Alléger les coûts qui pèsent sur le budget des ménages en matière de santé, logement, accueil des enfants, scolarité, etc. La facture maximale des soins de santé (Maximum à facturer) ou le plafonnement des frais scolaires en Flandre (enseignement primaire) sont, à cet égard, une source d'inspiration. Dispenser ces aides en fonction des ressources des ménages et non au regard du statut des parents en matière d'emploi (RIS, chômeur, etc.)

> Augmenter le "salaire poche" des travailleurs à bas salaire et les allocations sociales. Dans le cadre d’une réforme fiscale, alléger les charges pesant sur les salaires bruts les plus bas en évitant les pièges à l'emploi (qui découragent la recherche d'un job) et les "pièges à la séparation" (rester séparés afin d’avoir un revenu supérieur).

> Maintenir l'universalité des allocations familiales (puissant vecteur de réduction de la pauvreté) mais renforcer leur sélectivité en fonction des réels besoins des enfants (ceux-ci ont plus d'importance que le rang dans la famille). Par exemple, augmenter les AF des familles sous le seuil de pauvreté.

> Mieux cibler géographiquement l'accueil des enfants, particulièrement dans les quartiers où les familles monoparentales sont les plus nombreuses (avec les familles d'origine non européenne, elles sont très fragiles) et où des formations professionnelles sont organisées.

> Agir le plus tôt possible sur les déterminants de santé (logement, éducation, alimentation, etc.). Les enfants prématurés, par exemple, semblent plus susceptibles que les autres de souffrir d’obésité et de développer diverses maladies.

> Enseignement secondaire : limiter drastiquement les redoublements, retarder l'âge de la première orientation et "masteriser" la formation des enseignants. Veiller à la vraie gratuité scolaire. Mettre fin à l’orientation d’enfants sans handicap dans l'enseignement spécialisé.

> En matière de logement, mieux encadrer les loyers et octroyer un label "habitat solidaire".

> Trouver des instruments efficaces accélérant le paiement des pensions alimentaires non versées.

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