Seniors
(18 septembre 2008)
Tenter de
partir plus vite
Tenter
de mettre fin à ses jours n’est pas qu’une affaire de jeunes. Le suicide aux
grands âges est même loin d’être exceptionnel. Globalement, en Belgique, le
risque suicidaire augmente avec l’âge, particulièrement à partir de 75 ans.
Le
suicide des personnes âgées, bouscule les idées reçues, soulève nombre de
questions quant à la place des aînés notamment, laisse entrevoir des
souffrances devenues clandestines faute de considération.
Perdre son conjoint,
s’éloigner de ses amis, quitter sa maison, sentir le poids de la maladie…
Avec l’âge, il arrive que les deuils ne semblent plus suffisamment
contrebalancés par d’autres moments heureux. “La souffrance face à la vie
prend le dessus”, explique Axel Geeraerts du Centre de prévention du
suicide.
Vieillir...
Puis, dans nos
conceptions, vieillir rime davantage avec déficit, avec perte, plus qu’avec
abondance et gain. Avancer en âge s’apparente à décliner, à s’altérer. Le
mythe de l’éternelle jeunesse nous encercle. L’image que l’on véhicule du
grand âge n’est pas glorieuse… Comme le remarque le psychiatre français Jean
Maisondieu, notre culture occidentale pratique l’apartheid de la vieillesse
avec une férocité d’autant plus redoutable qu’elle est inconsciente, y
compris chez ceux qui en sont victimes.
Il ne fait pas
vraiment bon
prendre de l’âge,
au regard
de certains.
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D’“âgisme” -
c’est-à-dire de discrimination, de ségrégation ou de mépris en raison de
l’âge - il sera question aussi pour les aînés. Si l’on compte parmi les
stéréotypes généralisants et caricaturaux relatifs à l’âge: “les jeunes sont
tous violents...”, “les jeunes sont inconstants...”, on entendra aussi que
“les plus âgés sont technophobes...”; que “les vieux sont tous
conservateurs...”; qu’“avec le temps, on perd la boule”; que “l’âge rend
acariâtre et blasé”, comme cette fameuse Tatie Danielle balayant à l’écran
les modèles de douces mamies. Autant dire qu’il ne fait pas vraiment bon
prendre de l’âge, au regard de certains, surtout si les pertes
“s’additionnent” inéluctablement au fil du temps… On peut toutefois agir
sur le regard porté à la vieillesse, considérer la souffrance, ne pas nier
le mal-être dont nos aînés peuvent faire part, ne pas laisser à sa solitude,
à son angoisse, celui qui exprime sa grande fatigue de vivre.
Une
période de fragilités accrues
“Si on analyse les taux
de suicide par groupe d’âge, remarque-t-on du côté du Centre de prévention
du suicide, ce sont les personnes de plus de 70 ans qui sont les plus
touchées. Globalement, en Belgique le risque suicidaire augmente avec l’âge,
avec un premier pic aux alentours de 45 ans et un deuxième pic important à
partir de 75 ans” (1). De quoi alerter. En somme, les
extrémités de la vie apparaissent comme les périodes les plus fragilisées eu
égard au phénomène du suicide. Ce qui distingue les aînés des adolescents
sera le fait que les jeunes essayent certes plus fréquemment de mettre fin à
leurs jours, mais que les aînés y arrivent plus souvent. Chez les moins de
25 ans, un suicide sur 100 à 200 tentatives aboutira; tandis que pour les
plus de 65 ans, l’estimation est de 1 sur 2 ou 3. Pour l’ensemble de la
population, on évalue à 1 sur 14 le nombre de tentatives fatales.
En outre, on acceptera
plus facilement le suicide du “vieillard” dont la mort prochaine est
prévisible et qui le soulage peut-être de la maladie ou d’une douloureuse
perte d’autonomie que le suicide toujours bouleversant d’un adolescent.
La question du suicide
des personnes âgées est comme éclipsée par celle du suicide des jeunes. Et
sa condamnation par la société, empreinte d’un héritage chrétien, évolue
vers plus d’indulgence, plus de tolérance parce que parfois considéré comme
une liberté de choix exécutée au nom de la dignité. Le suicide serait alors
cet acte de dignité qui permet d’éviter les souffrances vécues comme
insupportables dans un environnement souvent peu soutenant, voire
dévalorisant, relève Anne Lahaye, psychologue aux Cliniques universitaires
de Mont-Godinne. Quand l’acte suicidaire touche la personne âgée, “plus
qu’une expression de la souffrance, on y voit un acte salvateur”, remarque
Michel Pozo, gérontologue.
La majorité des patients
âgés consulte un médecin dans la semaine ou le mois qui précède leur
suicide, relève le docteur Christian Gilles (3). Ainsi, y
aurait-il lieu d’insister sur la formation des professionnels de la santé à
la détection des facteurs de risques dont certaines maladies loin d’être
inéluctables comme la dépression par exemple.
Le
reconnaissance
de la souffrance
“Quand nous entendons
‘l’année prochaine, je ne serais plus là’ ou ‘je suis fatiguée, le mieux
serait que cela se termine’, n’avons-nous pas tendance à vite trouver des
échappatoires?”, interrogent les auteurs de la brochure “Auprès des
personnes âgées. La problématique du suicide chez les personnes âgées”(2).
Ne sommes-nous pas souvent incapables de soutenir une quelconque discussion
au sujet de la fin de vie, de nous confronter à ce “carrefour existentiel”,
incapables d’évoquer la mort, l’angoisse qu’elle génère…? “J’attends la
fin”, “Je veux mourir”, “Donnez-moi un cachet”, n’auront pour toutes
réponses qu’un “regarder comme il fait beau aujourd’hui”. Pourtant ouvrir un
espace d’écoute, quitter les murs du silence et le déni collecif organisé –
comme le nomme Anne Lahaye - est ce que la prévention nous enjoint de
tenter.
Ne sommes-nous pas souvent incapables de soutenir une quelconque
discussion au sujet de la fin de vie? |
Elle passera par
l’attention apportée aux plaintes de nos aînés, par la non-banalisation, par
l’éveil attiré vis-à-vis de certains signes. Sophie Duesberg,
psychothérapeute, formatrice au Cefem, évoque des signes précurseurs.
“Lorsqu’une personne âgée: ...ne tient plus compte de son hygiène physique,
néglige son aspect vestimentaire, ne s’intéresse plus à ses plats préférés,
n’a plus d’appétit ou ne mange plus, se désintéresse de ses enfants et
petits-enfants, consulte un médecin sans raison apparente, abandonne des
activités simples comme regarder la télévision, ne s’occupe plus de son
animal ou le confie à quelqu’un d’autre, s’isole, devient mutique, semble
triste ou déprimée, s’exprime de moins en moins, fait des allusions codées
du type : avoir le sentiment de ne servir à rien ou d’être un poids pour
autrui, ou plus clairement dit qu’elle a envie de partir ou d’en finir...”
Certes, il ne s’agit pas nécessairement de l’annonce d’un suicide, mais quoi
qu’il en soit il y a lieu de prendre en considération ces témoignages de
souffrance.
“L’âgé a besoin d’être
écouté et quel que soit son état psychique, il est important de lui donner
l’opportunité de s’exprimer, de le laisser faire entendre son désir, même
s’il n’est pas réalisable (retourner à la maison, ne pas approuver la
décision de placement...) pour qu’il demeure ce qu’il est en fait : un sujet
qui pense et communique, unique dans sa subjectivité, habité par la somme
des expériences de toute une vie”, indique le Centre de prévention du
suicide comme attitudes de prévention.
Et de ne pouvoir nous
empêcher de penser à la manière dont nous envisageons le vivre ensemble, aux
valeurs que nous pratiquons… “Difficile pour la société d’accepter que
certains de ses membres la quittent en lui signifiant, de la pire des
manières, qu’ils ne s’y sentent pas bien. La mise en cause est radicale,
estime Axel Geeraerts, et d’autant plus brutale qu’elle fracasse une de nos
valeurs essentielles: le caractère sacré de la vie”. Hasardons-nous loin de
l’idée que c’est une fatalité.
Catherine Daloze
(1) Les données remontent à 1997, pour la Communauté
française. Le retard de traitement de l’information statistique en est la
cause. Quoi qu’il en soit de l’ancienneté des données, on estime
généralement que les chiffres sont sous-estimés dans la mesure où certaines
raisons religieuses, économiques… mettent parfois le voile sur une
identification de suicides comme tels.
(2) Brochure d’information et de sensibilisation à la
prévention du suicide à destination des intervenants qui, dans le cadre de
leur travail, côtoient des personnes âgées. Téléchargeable sur le site du
Centre de prévention du suicide :
www.preventionsuicide.be/ ou disponible au 02/650.08.69.
(3) “Le suicide, un enjeu éthique?”, in Ethica Clinica,
revue francophone d’éthique des soins de santé, n°45, 2007.
En
soutien |
Le Centre de prévention
du suicide s’attache à offrir à la personne en crise des possibilités de
communication et d’expression de ses souffrances. De même, il agit pour
soutenir l’entourage; également sensibiliser et former celles et ceux qui se
trouvent confrontés à des “suicidants” et suicidaires dans leur pratique
professionnelle (travailleurs du secteur psycho-médico-social, personnel de
police, employés des pompes funèbres, enseignants…).
Ces accompagnements se
traduisent par:
■
une écoute téléphonique
24h/24, dans l’anonymat, au 0800 32 123 (appel gratuit);
■
un espace de Forum sur
Internet;
■
des entretiens
individuels de crise après une tentative de suicide;
■
un accompagnement du
deuil suite au suicide d’un proche soit en individuel, soit en groupe;
■
des ateliers
d’expression à médiation artistique;
■
des formations pour les
professionnels parmi lesquelles une formation spécifique à la prévention du
suicide chez les personnes âgées, dont l’objectif général sera d’ “être
capable de reconnaître, d’écouter et d’orienter une personne âgée qui
communique des idées suicidaires”;
■
un groupe de parole pour
parents d’ados confrontés aux problématiques du suicide…
D’autres types d’aide
sont proposées par nombre d’institutions psycho-médico-sociales
compétentes.
► Infos :
Centre de
prévention du suicide - 02/650.08.69 -
www.preventionsuicide.be
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