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Seniors (19 juin 2014)

Aussi douloureux que des coups

© Gile Michel/SUNSET REPORTERS

Les signalements de faits de maltraitance sur des seniors vont croissant, selon les chiffres. Ces violences se manifestent sous des formes inattendues, émergent dans des contextes insoupçonnés, et les auteurs ne sont pas toujours ceux que l'on pense.

La maltraitance, c'est tout ce qui est ressenti comme faisant mal”, précise Myriam Bodart dès l'entame de la discussion. Celle qui dirige le Service d'écoute pour personnes âgées maltraitées (Sepam), ligne téléphonique ouverte par Infor-homes Bruxelles, commente les chiffres de l'année 2013. Au total, 1.036 appels ont été réceptionnés par son service contre 436 en 2009, année de sa mise en place. “Ce chiffre augmente de 10% pour la deuxième année consécutive.” Un appel égale-t-il une plainte ? Pas si simple… “Deux tiers des appels donnent lieu à l'ouverture d'un dossier. Mais, via ce numéro, nous proposons aussi une écoute, nous donnons des conseils, nous procurons des informations générales au grand public…

En Wallonie, la situation des seniors préoccupe à un point tel que “la Région wallonne organise la lutte contre la maltraitance de la personne âgée à l'aide d'un décret”, dira le Dr Berg. Celui- ci préside le conseil d'administration de Respect seniors, la structure d'écoute, de sensibilisation, de formation et d'échange sur la maltraitance des personnes âgées, mise en place dans la foulée d'un texte de loi par le Parlement wallon en 2008. L'institutionnalisation de la lutte contre les violences faites aux seniors signifie, selon lui, que le gouvernement reconnaît l'ampleur du problème. “Une étude réalisée en Wallonie nous apprend que ±20% des plus de 70 ans se sentent victimes d'une violence.

Des fausses idées

Les deux erreurs communément répétées, ajoute le Dr Berg, c'est de voir avant tout la violence physique et de penser qu'elle survient dans les homes. “La grande majorité des personnes âgées ne vit pas en institution. Le profil-type de la victime est plutôt celui de la personne âgée discrète, isolée, qui subit de la maltraitance venant de la famille.

Quant à la violence physique, elle ne doit pas être minimisée. Elle représente tout de même 8,5% des situations problématiques pour lesquelles Respect seniors est sollicité. Mais le type de maltraitance la plus communément rencontrée lorsque la personne âgée vit à domicile est avant tout psychologique (32% des situations) : les aînés sont infantilisés, tutoyés à tout va, ou encore, leur avis n'est pas pris en compte, les écartant du processus de décision qui les concernent. Ensuite viennent les violences financières. Dans 22% des cas déclarés, raconte le Dr Berg, “les enfants ou les proches de la victime se servent, grossissent la somme qu'il leur est nécessaire pour faire les courses ou, c'est très fréquent, insistent sur l'avantage d'effectuer des dons d'argent 'de leur vivant' pour éviter les frais de succession à leur décès”.

Par contre, en institution, la hiérarchisation des types de violences est quelque peu différente. Selon les chiffres livrés par le Sepam, 27% des personnes se plaignent de violences institutionnelles telles que le manque de personnel, le bruit, des portions de repas trop “chiches”… En seconde position (21%) vient le défaut d'attention caractérisé par un manque d'aide lors des repas, un mauvais suivi des chutes ou carrément l'oubli d'un résident dans sa chambre.

Il faut pouvoir sortir des chiffres, insiste lourdement Myriam Bodart du Sepam. Ce ne sont que des catégories”. Et de rappeler qu'il y a nombre de cas qui ne sont pas signalés auprès du service d'écoute. “Il faut du courage pour pointer une situation problématique dans la sphère la plus intime qu’est la famille. La personne peut facilement se sentir déloyale et éprouver des difficultés pour avouer que ce qu'elle a construit en famille puisse être compliqué.” Pas facile non plus de dénoncer une situation problématique vécue en institution, principalement par crainte de représailles.

Maintenir la confiance

Il arrive également que les cas de maltraitance soient constatés par des personnes extérieures. Laurence Gilon dirige le département “aide à la vie journalière” des Aides et soins à domicile (ASD) dans la région de Namur. Questionnée sur les violences encaissées par certains seniors, elle confirme l'existence du problème : “J'ai évoqué la question avec nos assistantes sociales en réunion. C'est un phénomène connu par chacune d'entre elles”.

Soins infirmiers, aide-ménagère et aide familiale sont les trois principaux services procurés par ASD. Ils sont amenés à agir au plus proche des individus. Observer, contacter, relayer… font d'ailleurs partie de leurs missions. “Les aides à la vie journalière ne sont pas des psychologues, complète Laurence Gilon, mais elles sont sensibilisées aux violences intrafamiliales dans le cadre de la formation continuée. Elles sont formées à les détecter, pas à intervenir.

Une situation problématique est identifiée? Le dossier est mis sur la table de la réunion d'équipe mensuelle et différents intervenants échangent à ce sujet. Si tout porte à croire qu'il y a de la maltraitance avérée, un service spécifique en est informé, ainsi que le médecin traitant de la personne en question. “On ne peut pas ne rien dire, termine Laurence Gilon. On donne l'information et on essaie prioritairement de maintenir la confiance avec la personne dont on s’occupe.

Une situation qui dérape

Il n'y a pas de terrain fertile à l'apparition de la maltraitance. “Avec l'expérience, confie Myriam Bodart, on constate qu'il s'agit généralement d'une situation dans laquelle quelque chose dérape”.

L'ASBL Aidants proches connaît bien ce phénomène. Caroline Ducenne, sa coordinatrice, précise que la maltraitance peut survenir de la difficulté d'être aidant proche à long terme. “C'est difficile pour un couple qui se connaît depuis belle lurette. Un jour, l'un doit prendre le rôle d'aidant de l’autre. Tout ce qui a été caché, le poids de l'histoire commune, peut émerger et la fragilité se faire sentir. Dès lors, entrer dans une relation intime d'aidant quand on n'a plus d'affection ou de sentiments pour cette personne peut déboucher sur une difficulté relationnelle et, peut-être, sur de la négligence.

Au sein d'Énéo (le mouvement social des aînés, partenaire de la Mutualité chrétienne), Anne Jaumotte va un cran plus loin dans le raisonnement : “La personne aidée le fait parfois payer à son aidant. Pourquoi? Parce que c'est difficile à assumer d'être assisté dans une société qui prône la compétitivité, l'autonomie…” Elle ajoute que le “faire pour l'autre” peut aussi gommer la relation et provoquer un effritement de celle-ci. “Il faudrait demander plus souvent l'aide de personnes extérieures comme les ASD, les centres de répit, les volontaires…

Autre conseil : “Quand la vieillesse survient, tout se précipite. Il faut anticiper quelques questions pour éviter que les autres décident pour soi, ce qui pourrait être vécu comme une forme de violence.

//MATTHIEU CORNÉLIS

Ces maltraitances qu'on ne voit pas

Il existe un bataclan de moyens d’agir sur les maltraitances visibles, aussi insidieuses soient-elles. À l'occasion d'un colloque organisé par Infor- homes et Home-Info (l'équivalent bruxellois néerlandophone d'Inforhomes), Jean-Michel Longneaux était invité à évoquer la maltraitance qu'on ne voit pas mais qui fait pourtant partie du quotidien. Le philosophe et rédacteur en chef de la revue Ethica clinica en distingue plusieurs.

La première est sans conteste l'idéologie culturelle qui empreint notre société et qui dévalorise la personne âgée. “Beauté, jeunesse, santé. Quand on est vieux, dit-il, on sort du train. En France, on voit naître les ‘métiers de l’autonomie’. Appelés de la sorte, ils insistent sur l'idée qu'il faut être autonome. En réalité, ça ne fait qu'isoler ceux qui ne le sont pas.” Et de se questionner: finalement, la décrépitude n'est-elle pas déjà instaurée rien qu'à la manière de regarder la personne âgée? Un phénomène invisible qui alimente l'exclusion violente vécue par ces personnes.

L'organisation du monde de la santé peut également être source de maltraitance. En cause : trois discours tenus par le secteur. Le premier, scientifique, demande des soignants d'être de bons techniciens. “Du coup, le patient devient un problème à résoudre. On parle de lui à la troisième personne et il n'est plus que l'objet des soins”, indique Jean-Michel Longneaux, y voyant un début de maltraitance. Le second, le discours économique, fait des résidents d’un home ou d'un service hospitalier “un coût à gérer”. “Ils sont les premiers à souffrir d'une réduction de personnel, comme le patient qu'on met en pyjama à 17h avant l'arrivée du personnel de soirée car celui-ci n'aura pas le temps de l’habiller”. Les enjeux économiques font fi du bien-être des personnes à soigner. Enfin, le troisième discours, celui-là juridique, privilégie le respect des procédures et implique une certaine déshumanisation. “C'est une certaine forme de violence de laver le premier patient du couloir à 6h30 tous les matins. Mais c'est le règlement. ‘On est payés pour ça…’ diront certains.

Pour Jean-Michel Longneaux, le déni institutionnel est une autre robe dans laquelle la maltraitance invisible peut se glisser. “Il m'a été rapporté que dans une institution, les couches des personnes âgées étaient changées à la chaîne, derrière un paravent, et dans la chambre d'une personne grabataire. Sous la phrase ‘Pas assez de temps, pas assez de personnel’ se cache une violence institutionnelle terrible !” Pas de mauvaises intentions, pas de méchanceté, juste une organisation institutionnelle qui cache l'horreur des actes posés.

Lutter contre la maltraitance des seniors au profit de la bientraitance suggère de respecter la personne qui se cache derrière les rides. C'est, par exemple, tout faire pour que l'homme ou la femme concernée puisse sortir elle-même de la situation maltraitante. Le “faire à sa place”, c’est une infantilisation violente, même si elle n'est pas toujours volontaire.

//MaC

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