Médias
(3 avril 2008)
Tous journalistes,
vraiment?
Grâce à Internet et aux nouvelles technologies, tout le monde est devenu un
capteur et diffuseur potentiel d’informations. Une évolution positive, mais
qui doit encore trouver ses marques et éviter certains écueils. Petit tour
de ce que l’on appelle le journalisme citoyen.
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Le journalisme citoyen clame clairement sa volonté de s’éloigner des
médias traditionnels et de débusquer et traiter des informations
cachées, mal ou peu traitées |
Beaucoup
de personnes s’expriment sur internet pour faire connaître des
choses intéressantes ou défendre des causes militantes.
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Le
tsunami de décembre 2004, les attentats dans le métro de Londres en 2005,
l’ouragan Katrina la même année… Autant d’événements qui ont marqué la jeune
histoire du journalisme citoyen, également appelé journalisme participatif
ou contenu généré par les utilisateurs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit
: lors de tous ses événements, ce sont les «simples» citoyens, et non des
journalistes professionnels qui ont fourni les images diffusées en boucle
sur les chaînes de télévision du monde entier. Bien sûr, ce n’est pas neuf.
Déjà lors de l’assassinat de Kennedy, c’est un quidam présent sur les lieux
qui a tourné le film des événements. Mais, grâce aux nouvelles technologies,
ce n’est plus un film que les médias ont reçu, mais des centaines, voire des
milliers.
A l’ère du
journalisme citoyen, l’information ne circule plus à sens unique. Et les
médias ont compris qu’ils pouvaient, et qu’ils avaient intérêt, à se servir
du journalisme citoyen, en ouvrant des blogs et des forums sur leurs sites
Internet, entre autres. Et cela va plus loin. Les médias traditionnels
commencent à s’intéresser vraiment au «crowdsourcing», soit la participation
des citoyens à la production de contenus. Par exemple, CNN a lancé en
juillet 2006 CNN Exchange, un espace qui permet aux internautes de poster
leurs vidéos, enregistrements et photos d’actualité. En Belgique, l’agence
de presse Belga a récemment lancé une campagne de publicité, invitant la
population à lui envoyer vidéos et photos d’événements dont ils auraient été
témoin.
Un journalisme citoyen militant
Mis à part
ce journalisme participatif, ces dernières années ont vu apparaître les
blogs, permettant à un particulier de diffuser son information ainsi que des
médias alternatifs, plates-formes citoyennes. Au Canada, le site NowPublic
(1), créé en 2005, compte 127.000 reporters originaires de
140 pays. Un million de visiteurs le consultent chaque mois. Ces reporters
sont des journalistes citoyens, non rémunérés (2). Les
contenus sont validés par la communauté, indépendamment de tout pouvoir,
notamment celui des patrons de médias. Car là est bien le but de ces
nouveaux médias : fournir une information différente, indépendante. En
Europe, le premier site de ce genre est apparu en France en 2005 sous le nom
d’Agoravox (3). Il compte 30.000 journalistes citoyens
inscrits. Agoravox, qui qualifie le journalisme citoyen de cinquième
pouvoir, clame clairement sa volonté de s’éloigner des médias traditionnels
et de débusquer et traiter des informations cachées, mal ou peu traitées
(4). «On pourrait presque affirmer que participer au projet
AgoraVox est un devoir citoyen !», peut-on lire sur le site.
Mais
pourquoi de tels médias ont-ils vu le jour et connaissent-ils un tel succès
? «Les médias traditionnels obéissent à une logique de marketing. Il faut
attirer les lecteurs en jouant sur l’émotion, la proximité, en évitant de
les heurter de front, en laissant de côté l’analyse parce que c’est
ennuyeux… C’est donc normal qu’il y ait des réactions et c’est très positif
!», analyse Jean-Jacques Jespers, professeur de journalisme à l’ULB.
Certains ne
se contentent d’ailleurs pas de développer une information parallèle, ils
s’attaquent de front aux médias traditionnels. Ainsi, des bloggers aux
Etats-Unis se sont fait une spécialité de traquer les erreurs commises par
les journalistes. Un présentateur vedette de CBS, Dan Rather, a ainsi été
éjecté de son siège en 2004 après avoir présenté, sans les vérifier, de
(faux) documents compromettants sur George W. Bush.
Parfois trop amateur
Mais si les
médias sont l’objet de critiques, tout n’est pas rose non plus dans le monde
du journalisme citoyen. Ne s’improvise pas journaliste qui veut. «Il manque
à ces journalistes citoyens du savoir-faire : comment recouper les
informations, faire une vraie investigation… Sans parler des problèmes de
déontologie, de respect de la vie privée… Il y a aussi un véritable danger
sur Internet car les jeunes consomment le contenu massivement et sans
discrimination. Ils gobent tout…», alerte Jean-Jacques Jespers.
L’Internet
est un lieu privilégié pour la diffusion de rumeurs et autres manipulations.
En outre, rares sont les informations exclusives que l’on trouve sur les
blogs et différents médias citoyens. Il s’agit surtout de commentaires et
diverses opinions sur l’actualité. «L’information doit avoir une fonction
sociale, elle doit être significative. On découvre plein de pistes
intéressantes sur la toile ; des personnes l’utilisent pour faire connaître
des choses. Mais il y a aussi beaucoup de «n’importe quoi» avec en toile de
fond une espèce d’idéologie de la libre expression : tout le monde peut dire
ce qu’il veut. Mais tout le monde n’a pas quelque chose d’intéressant à dire
!», regrette-t-il. Agoravox a bien essayé de lancer de grandes
investigations de journalisme citoyen, chapeautées par des professionnels.
Mais ça a été un échec, par manque d’enthousiasme de la communauté.
Jean-Jacques Jespers plaide pour une plus grande implication des
journalistes professionnels dans l’univers du journalisme citoyen. Et cela
évolue d’ailleurs dans ce sens. Ainsi, on parle de plus en plus de médias
«pro-am» (professionnels et amateurs). Le site Rue 89 (5),
fondé par trois anciens journalistes du quotidien français Libération en mai
2007, en est un bon exemple. Tout en mettant les citoyens à contribution,
les journalistes professionnels qui y travaillent gardent le dernier mot et
écrivent eux-mêmes les articles. Mais ils se veulent indépendants et plus
soucieux du citoyen, comme expliqué sur le site : «C'est un site
d'information conçu pour Internet, qui n'est pas adossé à un média
traditionnel. C'est un projet journalistique indépendant, qui ne dépend
d'aucun groupe industriel. C'est une manière d'informer qui repose sur la
coproduction de contenus entre des journalistes, des experts, des
passionnés, des témoins, des blogueurs et tous les visiteurs du site». C’est
Rue 89 qui révéla que Cécilia Sarkozy n’avait pas voté au deuxième tour des
élections présidentielles, après que Le Journal du Dimanche ait censuré
l’information juste avant la publication.
Sans
vraiment de définition, l’expression «journalisme citoyen» recouvre beaucoup
de réalités : de l’apport de témoignages à la diffusion d’une «autre»
information, jusqu’à la traque des erreurs des journalistes. Un point commun
entre elles : une plus grande participation du citoyen à son information et
au monde qui l’entoure. «Le journalisme citoyen, c’est diffuser des contenus
citoyens qui augmentent notre capacité à agir sur ce monde, qui nous rendent
moins bêtes devant la manipulation de la publicité et du pouvoir politique»,
conclut Jean Jacques Jespers. Mais, tout n’est pas bon à prendre sur
Internet, comme, tout n’est pas pourri dans les médias traditionnels…
Julie Calleeuw
(1) www.nowpublic.com
(2) Le succès de Now Public est tel que l’agence de presse
AP (Associated Press) a conclu un accord avec le site pour lui racheter
certains contenus, permettant à certains journalistes citoyens d’être
rémunérés.
(3) www.agoravox.fr
(4) Tous les sites de journalisme citoyen ne sont pas aussi
militants et critiques envers les médias traditionnels. Par exemple, le site
Café Babel ( www.cafébabel.com ) a
pour principal objectif de faire naître une opinion publique européenne.
(5) www.rue89.fr
A Namur, une “autre” télé
va naître
En Belgique aussi, des citoyens ont décidé de faire entendre leur voix. A
Namur, un projet en construction depuis plus d’un an vient de se constituer
en asbl : Télévision du Monde.
A
l’origine,
une phrase malheureuse prononcée par le patron de TF1, Patrick Le Lay : «Le
métier de ma chaîne de télévision est de vendre à Coca-Cola du temps de
cerveau humain disponible». De là, Paul Wattecamps,
réalisateur-producteur de télévision pour les Facultés universitaires de
Namur, imagine une autre télévision, mêlant le savoir-faire des journalistes
et les idées des citoyens et des mondes associatif et éducatif, et qui
traiterait de thèmes peu ou pas abordés ailleurs. «Nous voulons une
production durable, qui a du sens, qui ne travaille pas que sur l’affectif.
Bref, qui œuvre pour un monde plus correct, ce que les autres ne font plus»,
explique Paul Wattecamps. «Mais nous ne nous posons pas en concurrent des
autres médias ; nous avons d’autres objectifs, d’autres valeurs et d’autres
moyens de financement».
Paul
Wattecamps réunit autour de lui, pour signer un texte fondateur, quelques
personnalités comme Julos Beaucarne, Jean-Jacques Jespers ou encore Josy
Dubié. Une petite équipe motivée, qui ne cessera de grandir, se met en place
pour concrétiser le projet… Aujourd’hui dotée d’une personnalité juridique,
Télévision du Monde compte bientôt créer une première émission et négocier
avec de possibles diffuseurs, comme les télévisions locales. Car l’asbl ne
veut pas se limiter à Internet : «Le web n’est qu’un complément pour nous.
Tous les Belges ne sont pas branchés. Nous, nous voulons rentrer dans les
foyers», indique Paul Wattecamps. A terme, l’asbl aimerait créer une
plateforme mondiale de TélévisionS du Monde. «Nous sommes déjà en
négociations avec Paris, l’Afrique, le Vénézuela…».
J.C.
Pour en savoir plus ou s’impliquer :
www.televisiondumonde.be
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