Médias
(20 mars 2008)
Bruno Stevens:
“L’histoire au présent”
Le photojournaliste Belge Bruno Stevens nous donne à voir plus de 500
photographies de notre monde secoué de toutes parts par les guerres, les
famines, les tremblements de terre... dans le cadre d’une grande
rétrospective à voir au Botanique à Bruxelles jusqu’au 4 mai. Il nous
raconte le monde tel qu’il est, et comme nous aimerions qu’il ne soit pas!
Cambodge, Siem Reap, décembre 2006.
Ni Sahn Pao, 5 ans, souffre de paralysie cérébrale de niveau 5 d’origine
génétique.
C’est une des victimes de l’Agent Orange déversé par l’armée américaine
durant la guerre du Vietnam
sur les populations civiles. 40 ans plus tard, des milliers d’enfants
naissent avec de graves défauts génétiques.
L’exposition
commence par une image de l’enterrement de Sémira Adamu, une image symbole
dans laquelle se glisse subrepticement un autoportrait du photojournaliste
qui fait ainsi le lien entre la Belgique, son pays qu’il ne photographie
pas, et le monde qu’il veut nous montrer. Un monde qu’il connaît bien pour
l’avoir parcouru en long et en large depuis maintenant 10 ans.
Un de ses
premiers reportages se déroule au Chiapas. En 1998, Bruno Stevens part à la
rencontre des Zapatistes du sous-commandant Marcos qui tentent de résister à
la globalisation et à la destruction de la culture indigène mexicaine par le
gouvernement. Un an plus tard, sur l’île d’Hispaniola, il photographie la
population de République Dominicaine et d’Haïti, victime de la déforestation
incontrôlée qui transforme leur terre en désert aride.
On le
retrouve ensuite en Tchétchénie en 1999. Par une série d’images poignantes,
il nous raconte l’histoire d’Adam, un enfant de 10 ans conduit à l’hôpital
de Shali près de Grozny après avoir reçu un éclat d’une bombe russe dans la
tête alors qu’il jouait près de sa maison. L’enfant est soigné dans des
conditions précaires mais le chirurgien parvient quand même à le sauver.
Un témoin du monde
“Ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’on parle de moi, explique le
photojournaliste, mais que les sujets que je montre soient remis sous la
lumière des projecteurs à l’occasion de cette exposition. Il faut rendre au
sujet l’importance qu’il a. Je suis un témoin, un passeur...”.
Ainsi,
Bruno Stevens témoigne des guerres qui ont traversé et traversent encore et
toujours notre monde (au Kosovo, en Tchétchénie, en Palestine, au Liban, au
Darfour, en Irak). Il nous donne à voir les crises et bouleversements
sociaux (Chiapas, Haïti, Cuba, Inde, Ouganda, Algérie, Congo, Rwanda,
barrage des Trois Gorges en Chine). Il témoigne de plusieurs désastres
naturels qui ont eu lieu ces dernières années: le tsunami au Sri Lanka, le
tremblement de terre au Cachemire, la grande sécheresse dans la corne de
l’Afrique. Il s’inquiète des grandes questions de santé telles la
malnutrition, la tuberculose, le choléra, le Sida, dans des pays comme le
Cambodge, le Laos ou l’Angola. Il n’oublie pas de revenir sur ses pas pour
nous donner sa vision de l’après-guerre.
Un photographe
en colère
Bruno
Stevens suit de près le conflit Israélo-palestinien, en témoigne les
nombreuses images qu’il a prises en Israël, en Palestine, au Liban, en Syrie
entre 2000 et 2005. “Encore et encore... les tensions et les conflits au
Moyen-Orient de Beyrouth à Gaza, du Golan à Jérusalem, des militants du
Hamas aux colons juifs. Des barrières de toutes sortes marquent cette terre,
telles des cicatrices sur un beau visage, barbelés ou cassures
psychologiques et culturelles de ce sanglant maelström levantin”,
écrit-il en légende. Pourquoi plus ce conflit-là? “Parce qu’il me met en
colère. J’ai un dégoût de la guerre où qu’elle soit et c’est pour cela que
je la photographie. Et ma colère est un excellent moteur pour continuer à
témoigner.”
Un regard
très humain
Dans ses
images de guerre justement, on ne voit pas de char, très peu de soldats, pas
de lance rocket… “Cela ne m’intéresse pas!”. Toujours, le photographe
se place au niveau de la population, des gens. C’est le fil rouge de
l’exposition, le fil rouge de son travail aussi. “Je photographie des
gens ordinaires qui font face à des situations extraordinaires qui les
dépassent comme une guerre, une épidémie ou un tremblement de terre. Ils
réagissent, ils ont cette volonté de réagir mais ils n’ont pas de prise sur
l’événement.”
Comme en
Angola où plus de quatre ans après la fin de la guerre civile, des régions
entières sont encore coupées du monde, où 80% de la population vit sous le
seuil de la pauvreté, où la malaria, la tuberculose et le Sida sont
endémiques. En 2006, Bruno Stevens est témoin de la vaste épidémie de
choléra qui a touché plus de 30.000 personnes en quelques mois dans la
capitale Luanda.
Il n’y pas
d’images volées, pas d’images choc qui forcent le regard à se détourner.
“Je veux qu’on regarde mes images, qu’on s’interroge, qu’on soit touché”.
“C’est
un photographe humaniste qui a une véritable empathie pour les gens qu’il
photographie”, explique Georges Vercheval, commissaire de l’exposition
(1).
Les 12
portraits de morts, victimes du conflit Israélo-palestinien exposés en grand
sont impressionnants mais fait avec un tel respect et surtout avec un
objectif avoué dans la légende: “La proportion de décès, depuis le début
de l’Intifada Al Aqsa est d’un Israélien pour quatre Palestiniens.”
Raconter une histoire
“Je ne
cherche pas LA “belle” image, mais bien à raconter une histoire en images,
je fais de la photo documentaire. Ce qui m’importe c’est de créer une
archive dynamique d’images dans laquelle je vais pouvoir puiser en fonction
de l’évolution des sujets”, explique Bruno Stevens.
Il ne court
pas derrière les conflits ou les catastrophes mais produit un travail de
fond sur notre monde. Comme au Cambodge où il photographie en 2006 les
enfants atteints de défauts génétiques graves. Les origines de leurs
malformations proviennent de la guerre du Vietnam… Il y a 40 ans de cela,
l’aviation américaine a déversé des millions de tonnes d’un défoliant
surpuissant à base de dioxine appelé “Agent Orange”. Aujourd’hui, les
enfants payent dans leur chair cet acte inconscient. En une image, celle qui
fait l’affiche de l’exposition, Bruno Stevens résume 40 ans d’histoire.
L’exposition au Museum du Botanique se poursuit dans les serres dans
lesquelles sont suspendues des images prises en Irak. Un fil conducteur
géographique et géopolitique qui nous mène vers la seconde exposition,
“Lettres persanes” consacrée à l’Iran. Dans ce travail tout récent (2007) et
un peu différent, Bruno Stevens nous livre quelques notes visuelles sur la
société iranienne d’aujourd’hui que nous, occidentaux, connaissons
finalement très mal.
“Si les
images ne peuvent tout expliquer – elles doivent être commentées, analysées
– elles nous aident pourtant à comprendre que le nationalisme, le fanatisme,
la guerre, la misère ne se développent pas sans raisons, qu’il y a des
responsables. Si chacun a le droit d’être informé, pour les journalistes et
les photographes, informer est une mission”, considère Georges Vercheval.
Et notre mission, à nous public, est de voir ces images, de continuer à se
tenir informé sur notre monde, notre histoire au présent.
Françoise Robert
(1) Fondateur du Musée de la photographie à Charleroi et
président de Culture et Démocratie.
_____________________
“L’histoire au présent”,
photographies de Bruno Stevens,
à voir au Museum du
Botanique, 236 rue Royale à 1210 Bruxelles, jusqu’au 4 mai.
Prix
plein: 5 EUR.
Ouvert du
mercredi au dimanche de 12 à 20h.
Infos:
02/218.37.32,
www.botanique.be
Pour aller plus loin Cycle de films |
Le jeudi 27 mars:
“Turtles can
fly” de B. Ghobadi. Une communauté d’enfants lutte pour survivre
à la frontière de l’Iran et de la Turquie, à la veille de l’attaque
des Américains.
Le jeudi 3 avril:
“Vie
nouvelles” de L. Weng et O. Meys. Une famille de villageois
menacée par la montée des eaux en raison du barrage de la vallée des
Trois Gorges en Chine.
Le jeudi 10 avril:
“La rue zone
interdite” de G. Duclos. A la suite de la publication de l’image
d’une jeune femme assise sur un trottoir, le photographe Gilbert
Duclos a été entraîné dans une saga judiciaire qui a, au final,
changé les règles de la photographie et du documentaire au Québec.
Ce film sera suivi d’un débat sur le droit à l’image avec Georges
Vercheval.
Projections: salle de cinéma du Botanique à 20h.
Prix: 4 EUR film seul et 2 EUR
sur présentation du ticket d’entrée à l’expo.
Le jeudi 17 avril:
“War
Photographer” de Christian Frei. Un film sur le travail du
photographe de guerre James Nachtwey.
Projection à 10h30. Prix: entrée de l’exposition.
Les dimanches rencontre
Bruno Stevens et/ou Georges Vercheval rencontreront le public dans
l’expo pour échanger différents points de vue sur le
photojournalisme, la place des médias dans la société...
Le 30 mars, 13 avril, 4 mai
à 14h dans la salle du Museum.
A lire
Le
magazine View consacre dans son dernier numéro (n°10, mars-juin
2008) un portfolio à Bruno Stevens accompagné d’une interview du
photojournaliste par Georges Vercheval. Cette très belle revue
trimestrielle trilingue (Fr, Nl, En) est disponible dans le réseau
Press Shop, les Delhaize ainsi que dans les bonnes librairies.
Prix: 7 EUR.
Infos:
info@viewmag.be , fax:
02/648.09.44, www.viewmag.be
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