L'hosto sur un plateau TV
Grey's anatomy, Urgences, Docteur House…: les séries médicales
envahissent le petit écran. En “prime time”, l'hôpital s'invite dans les
salons avec son lot de diagnostics, d'opérations… mais aussi de romances et
de moments de la vie quotidienne des médecins, infirmier(e)s. Chaque
diffusion rassemble des milliers de téléspectateurs. La médecine mise en
scène reflète-t-elle la réalité?
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© AP-Reporters |
La
série Grey’s anatomy est filmée dans
les
studios de la télévision américaine ABC
et
non, en milieu hospitalier.
Le
charme insolent de Dr Gregory House ou les rebondissements de la vie
sentimentale de l'équipe d'internes en formation dans Grey's anatomy
tiennent en
haleine de nombreux téléspectateurs. “Ce succès s'explique par le fait
que la maladie touche tout le monde”, affirme Marjolaine Boutet,
spécialiste en séries télévisées (1). Selon l'analyse des
audiences des émissions diffusées en Belgique francophone (2),
les séries médicales ont la cote. Dr House arrive en troisième
position des séries les plus regardées en 2009, devançant Desperate
Housewives. “Il n'y a pas seulement les histoires médicales qui sont au
centre de ces séries, explique le Docteur Alexandre Ghuysen, urgentiste
au CHU du Sart Tilman (Liège). Tout est romancé, notamment dans Grey's
anatomy où les histoires de cœur prennent le pas sur la médecine.”
Fiction ou réalité?
Des patientes enceintes
et atteintes du sida, des bébés qui s'étouffent à cause d'un cintre coincé
dans la gorge, des voyous blessés par balle…, les exemples de pathologies à
soigner dans les séries médicales sont souvent spectaculaires. “Beaucoup
de situations y sont extrapolées, exagérées, précise Aline Agneessens,
étudiante en médecine (UCL). Souvent, les médecins des séries font
l'impasse sur l'examen clinique, la base de la médecine, le premier geste à
effectuer quand arrive un patient. Les cas cliniques présentés sont extrêmes
alors qu'en réalité, c'est souvent moins excitant ou moins dangereux.”
Effervescence dans les
couloirs de l'hôpital, des dizaines de personnes qui attendent un médecin
pour s'occuper d'eux, ce sont des images typiques d'Urgences, Grey's
anatomy… Mais est-ce représentatif du monde médical en Belgique?
“Sûrement pas, infirme le Dr. Ghuysen. Ces séries proviennent des
Etats-Unis où le fonctionnement de la prise en charge du patient est
totalement différent de celui pratiqué chez nous. Contrairement à notre
système, aux USA, les médecins ne sortent pas de l'hôpital pour les
urgences. Chez nous, le SMUR (service mobile d'urgence et de
réanimation) se déplace au chevet du patient et lui donne les premiers
secours sur place. De l'autre côté de l'Atlantique, cette démarche n'existe
pas. Il n'est donc pas étonnant de voir arriver aux urgences des patients en
état précaire et qui n'ont reçu qu'une prise en charge paramédicale.
On
comprend mieux alors l'effervescence qui règne dans ces services américains.
Mais l'agitation est poussée à l'extrême. Il ne faut pas oublier que
l'histoire racontée doit accrocher le téléspectateur.”
La frontière entre le
réel et la fiction dans les séries médicales varie fortement de l'une à
l'autre. “Grey's anatomy n'a rien à voir avec Urgences, poursuit le
Dr.Ghuysen. Si on devait les catégoriser, Urgences pourrait se rapprocher
du ‘documentaire médical’ tant les diagnostics et gestes médicaux semblent
réels même s'il reste quand même des petites entorses à la réalité. Par
contre, Dr. House ou Grey's anatomy en sont bien loin. Elles restent très
éloignées de l'aspect scientifique. House est un médecin cynique dépourvu de
tout sens éthique. Ses diagnostics sont trop rapides ou faux. Dans ces deux
séries, les histoires sont souvent spectaculaires, frôlant même parfois le
ridicule et le sensationnel, bien éloignées du monde plus sérieux de la
médecine.” Ces différences tiennent entre autres au fait que, par
exemple, le scénario d'Urgences est écrit par des urgentistes, des
personnes qui connaissent la réalité du métier. La production a également
recours à de vrais médecins et infirmiers en tant que figurants, notamment
pour les scènes les plus “médicalisées”.
Plus tard, je serai Dr. House
Les séries médicales
lèvent le voile sur un monde très spécifique. Perfusions, trachéotomies,
scanners... sont le quotidien des acteurs. “Montrer un service comme
celui des urgences dans les séries permet de découvrir une spécialisation de
la médecine, autrefois méconnue, explique le Dr. Ghuysen. Avant, on
ne pouvait pas, en tant que médecin, se spécialiser dans les urgences.
Aujourd'hui, le parcours a changé et cette filière à part entière est
possible.” Mais loin d'être destinées à susciter des vocations, ces
séries sont conçues pour distraire, faire de l'audience et n'ont pas de but
pédagogique. “Les gestes que pratiquent les médecins des séries ne sont
pas expliqués. Il n'y a rien de pédagogique dans ces histoires”,
confirme Yves Collard, formateur en éducation aux médias à l'asbl Média
Animation et auteur de La réalité si je mens (3).
Vu à la télé
L'image du médecin,
véhiculée par les séries, est partout la même : un surhomme jeune et beau
qui peut tout guérir. Souvent, il a des problèmes dans sa vie intime. “Ce
sont généralement des ‘losers’, affirme Yves Collard. Ils ne sont pas
adroits avec les filles, n'ont pas de vie hors hôpital, alors que peu de
failles dans leur métier transparaissent”.
“Pourtant, je crois
qu'aucun patient ne souhaiterait être soigné par le cynique Docteur House,
précise avec humour le Dr. Ghuysen. Les téléspectateurs restent
conscients que dans la réalité, le médecin n'est pas un héros surpuissant.
Et surtout dans le service des urgences, le médecin n'a pas l'occasion de
construire une réelle relation avec le patient qu'il ne voit que peu de
temps. Il faut donc gagner leur confiance par notre professionnalisme.”
A force d'être confronté
à des images et des termes médicaux et techniques, le téléspectateur
pose-t-il un autre regard sur la médecine? “Je crois qu'il existe une
formation par l'image, poursuit le Dr.Ghuysen. Lorsqu'on soigne des
patients aux urgences, visuellement, ça peut être violent ou choquer
l'entourage. Un massage cardiaque, ça peut impressionner. Aujourd'hui, avec
la télé et notamment les séries médicales, le public comprend certains
gestes. Les patients sont davantage dans une dynamique participative parce
qu'ils ont déjà vu ça à la télévision.”
Jouer sur l'émotion et
l'impressionnant restent un caractéristique majeure de ces programmes. Les
réalisateurs cherchent ce qui attire le téléspectateur et veulent atteindre
des records d'audience. Ils ne veulent pas à tout prix dépeindre un univers
réel avec le risque qu'il ne soit pas assez palpitant.
// Virginie Tiberghien
(1) “Séries télé : quand l'hôpital fascine le
téléspectateur”, AFP, 1er avril 2010.
(2) Analyse menée par le Centre d'Information sur les médias
: www.cim.be
(3) “La réalité si je mens. Analyse critique de la
télé-réalité” • Média Animation asbl • 116 p. • 14 EUR.
www.media-animation.be
Et
les séries médicales françaises? |
Moins populaires
que les séries médicales américaines, les productions françaises sur
le milieu médical existent bel et bien. Le second degré est même au
rendez-vous avec H, une série avec les humoristes Eric, Ramzy et
Jamel Debbouzze. Complètement loufoque, elle balade le
téléspectateur dans les couloirs d'un hôpital où des médecins et
infirmiers n'ont aucune compétence médicale et passent leurs temps à
faire des blagues et à enchaîner les fautes professionnelles. |
Dans un genre moins comique, L'Hôpital n'a pas rencontré le
succès escompté. Cette série se rapprochait de son homologue
américain, Grey's anatomy mais n'en était qu'un mauvais plagiat.
Elle a vite été retirée de la programmation des chaînes. Equipe
médicale d'urgences a davantage séduit le public. En réalisant
une série sur le SAMU, les Français innovaient par rapport aux
Américains chez qui ce genre de service n'existe pas (cfr. article
ci-contre). |
Des maladies spectaculaires font le show
Les
romances dans les hôpitaux, ça marche! “Le public de ce genre de séries
est principalement jeune, observe Yves Collard, formateur à Média
Animation. Ce
spectateur est cantonné dans un rôle d'observateur. Il est comme dans un
zoo: même s'il ne comprend pas tout ce que les personnages se disent, il
regarde attentivement un monde sécurisant. Malgré le climat de stress qui
règne et les maladies graves traitées, le milieu hospitalier est présenté
comme un cocon où l'on est en sécurité. Dehors, c'est toujours le chaos, y
compris au point de vue météorologique. Les jeunes téléspectateurs se voient
alors rassurés et peuvent faire un parallélisme avec les remous de leur vie.
Les équipes médicales, héroïnes des séries sont très ‘adolescentes’ dans
leur vie sentimentale, leurs relations et réactions…” Les personnages
ont les mêmes préoccupations que leur public: les tensions amoureuses,
l'apprentissage du métier… Les jeunes s’identifient donc à leurs héros.
“Le succès est moindre chez les plus âgés, continue Yves Collard. Car eux se
reconnaissent dans les personnes malades sur les lits d'hôpitaux.”
Le formateur rapproche
également la construction de ces séries de celle des émissions de
téléréalité. “Ces histoires montrent ce qu'un œil ne pourrait pas voir.
Le téléspectateur se sent alors tout puissant dans un monde qu'il connait
peu. Et nous retrouvons aussi les éléments qui font une bonne téléréalité :
un bon casting, une bonne mise en scène, des maladies télégéniques,
extraordinaires et impressionnantes… On se rend compte qu'on est loin de la
vraie vie des urgences car en réalité, beaucoup de cas qui arrivent dans ce
service chez nous ne sont pas de 'vraies' urgences”.