Médias
( 19 avril 2007)
Presse
de service et presse
d'opinion
Cent millions de
militants et d’adhérents associatifs, cent millions de mutualistes dans les
secteurs de la santé, de l’assurance et de la prévoyance, plus de 30 millions de
sociétaires des banques coopératives, des millions de syndicalistes, constituent
plus de 30 % des Européens acteurs de l’économie sociale… Tel est le constat du
Syndicat français de la Presse Sociale (SPS) qui organisait l'automne dernier à
Paris la première rencontre européenne de la presse sociale (1).
La
presse sociale doit contribuer à donner
une conception plus positive du social
_____________
Certes, cette première rencontre fut
très franco-française. Mais les 200 participants représentant cette presse
"qui ne se vend pas en kiosque", et dont on mésestime généralement l’impact,
ont échangé leurs expériences sur l’état de l’information sociale et tenté de
provoquer une ouverture européenne (2). Mais voilà, la presse
sociale européenne n’échange guère alors qu’elle pourrait participer plus
activement à la construction de l’Europe sociale, dépassée aujourd’hui par
l’Europe de la concurrence. Cela pourrait être un beau projet, mais est-il
possible de donner à la presse sociale une dimension européenne alors qu'elle
est généralement le produit d’une culture spécifiquement nationale? Pour Daniel
Retureau, membre du Comité économique et social européen,
«il appartient à la
presse sociale elle-même en fonction de sa volonté à s’organiser au niveau
européen afin de défendre ses intérêts et ses spécificités... Cela est dans son
intérêt, dans la mesure où la législation européenne s’oriente davantage en
direction des marchés et de la concurrence.»
Une presse
appréciée
Selon un sondage
réalisé par l’Institut de sondage français CSA en septembre 2006 par téléphone
auprès d’un millier de personnes, il apparaît que 77% des personnes interrogées
(soit 18 millions de foyers français) adhèrent a au moins un type d’organisme
social, dont 75% à un organisme mutualiste, 13 % à un syndicat, une fédération
ou une organisation professionnelle ou étudiante, et 8 % à une association de
défense des droits sociaux, des malades, des consommateurs ou des citoyens. 54%
d’entre eux affirment recevoir des publications des organismes auxquels ils
adhèrent. Quant à la manière dont ils lisent habituellement ces publications :
8% ne les lisent pas du tout, 36 % les lisent superficiellement et 76% plus ou
moins attentivement. D’un point de vue qualitatif, les points forts qui se
dégagent de cette enquête sont que les informations sont considérées comme
«sérieuses et dignes de confiance», «utiles» et «proches des gens». Enfin,
58 % des personnes interrogées pensent que les publications sociales peuvent
jouer un rôle dans le débat sur les questions sociales en France, et 50 % au
niveau européen (3).
«L’étude réalisée
par le CSA constitue une promesse intéressante, affirme Stéphane Rozès,
directeur à l’Institut CSA, elle révèle une connaissance et une pratique massive
de la presse sociale par les Français et leur satisfaction à l’égard de cette
presse.»
Ce qui est étonnant,
c’est que ces bons résultats semblent avoir été une surprise pour de nombreux
participants pourtant… responsables de journaux ou de magazines à caractère
social! Cet étonnement, commente Stéphane Rozès, n’est sans doute que le reflet
de la dévalorisation que subit le secteur social ces dernières années.
Au quotidien, se
développe en effet le sentiment que nous maîtrisons de moins en moins notre
devenir social. Au mieux, le social «accompagne» les effets d'évolutions
économiques et technologiques dont profitent des citoyens-consommateurs… mais
dont souffrent nombre de citoyens dans leur vie de travail (ou de non-travail).
Au pire, le social est parfois considéré comme «la voiture-balai des dégâts
sociaux» induits par ces évolutions économiques et technologiques.
Il nous faut donc
défendre une vision positive de l’action sociale, affirme Stéphane Rozès.
L’information sociale,
c’est bien plus que de parler des moments conflictuels! Séparer, comme on a
tendance à le faire, progrès économique, progrès technologique et progrès social
«induit une représentation du social en tant que secteur difficile. En
conséquence, l’imaginaire porté par le social est quelque peu déstabilisant et
stigmatisant...» La presse sociale doit
contribuer à donner une conception plus positive du social:
«Des facteurs
tels que la formation, le capital humain, l’enrichissement personnel, l’utilité
sociale constituent des éléments positifs. Il s’agit donc d’une reconquête
permettant de montrer au-delà des dysfonctionnements sociaux, également la
production positive du domaine social en termes de création de richesse et de
valeur qui, tout en n’étant pas comptabilisée d’un point de vue économique,
permet à la collectivité de se projeter à moyen et long terme. Cela permettra de
considérer la dépense sociale comme un investissement économique de moyen et
long terme…Il s’agit à la fois de sortir du bois et de donner du sens, et de
voir la face vertueuse du social et non exclusivement réparatrice.»
Un “contrat
de lecture”
Un des points les plus
souvent relevés par les intervenants de cette première rencontre européenne de
la presse sociale fut celui du rapport au lecteur. Gérard Quittard, de la
Mutuelle de l’industrie du Pétrole, parle de «Contrat de lecture». Si la
communication entre une mutuelle et ses affiliés semble facilitée par la
proximité naturelle qui existe entre l’organisation et ses affiliés, «les
attentes des lecteurs doivent aussi être satisfaites: il ne s’agit donc pas
uniquement de porter les objectifs de la mutuelle avec la meilleure volonté du
monde et le souci de la qualité, encore faut-il rencontrer son public.»
Aussi, l’opposition que certains avancent entre la presse kiosque (marchande) et
la presse sociale (d'opinion) est contestée par Jean-Louis Redon, directeur
général délégué de l’association de l’Union des consommateurs (UFC – éditrice de
Que Choisir?). Cette opposition pourrait en effet suggérer que les valeurs que
défend l’organisation passeraient avant la préoccupation du lecteur:
«Nous
considérons, dit-il, que le lecteur est au centre des préoccupations pour
lesquelles nous nous battons. Nous avons toujours mis la stratégie de la presse
grand public au profit et au bénéfice d’une cause dénuée de tout profit qui est
celle des consommateurs… le problème était de savoir s’il fallait faire du
service (que faut-il acheter?) ou dénoncer des comportements. Aujourd’hui, nous
faisons les deux dans tous les numéros. C’est ce mélange des deux qui assure
notre succès.»
Par ailleurs, un
journal d’organisation sera d’autant plus lu qu’il n’est pas exactement «la voix
de son maître», que la séparation, ou plutôt la collaboration entre la
rédaction, et les «patrons» - qui aimeraient toujours intervenir davantage -
soit subtilement partagée entre autonomie et participation. Il faut encore que
la qualité rédactionnelle, bien évidemment, soit au rendez-vous. Les
organisations sociales ont une expertise, de par l'expérience de leurs nombreux
membres, leurs services techniques et centre d’études. Il revient aux
journalistes d'«exprimer et de mettre en scène» cette expertise.
Il reste qu’un problème
rencontré par toutes les organisations est celui d’attirer un lectorat plus
jeune. On lit en effet davantage la presse sociale lorsqu’on avance en âge.
Information
et nouvelles technologies
Nathalie Brion
(Tendances Institut), déplore l’absence d’efforts faits en direction des jeunes.
Elle parle de l’émergence des nouvelles technologies et constate que
«Internet a déstructuré la relation à la hiérarchie, au preneur de parole»
surtout auprès des plus jeunes qui «se considèrent tout aussi légitimes à
prendre la parole que les journalistes, les hommes politiques ou les syndicats…»
ce qui oblige à reconsidérer la manière de s’adresser à ce nouvel
«individu
média».
Cela foisonne pour une
certaine tranche de la nouvelle génération qui se nourrit de gratuité, d’échange
et de justice sociale: «Les jeunes générations ne peuvent se contenter de
lire un journal. Elles ont des idées sur la mondialisation, le libéralisme;
elles veulent être informées, participer au débat et échanger…. La question de
choisir le support adapté pour diffuser une idée n’est plus pertinente. Les
consommateurs veulent aujourd’hui consommer de l’information où ils veulent,
quand ils veulent, quel que soit le support.» Encourager les blogs, échanger
en réseau, éditer des journaux sur internet …De façon générale, la demande d’une
vraie interactivité, au sens de «créer le débat», est une demande importante du
côté des jeunes. Mais la peur de «la perte de contrôle relative sur ce qu’on
émet est bien réelle [du côté des organisations], dès que la relation verticale
est bousculée».
La place du
social
dans l’information
Dans la plupart des
médias traditionnels, les questions sociales ne sont abordées qu'à l'occasion de
conflits sociaux. Or, le social, notamment par ses liens avec l’économie et la
vie quotidienne des gens, mériterait une attention plus large et permanente.
Voilà pourquoi Alain Guinot, secrétaire confédéral de la CGT «revendique pour
la presse syndicale l’ambition de figurer dans le paysage de l’information au
sens large… Faute de cela, la presse sociale et syndicale risque de se trouver
cantonnée dans un ghetto…» La CGT a donc choisi de conserver une presse
syndicale «sous la forme d’un véritable journal réalisé par des journalistes»
affirme Alain Guinot en précisant qu’ «il ne s’agit pas d’un outil de
communication mais d’un journal d’information. Cela n’est pas toujours compris.
En effet, la tentation d’atteindre une efficacité accrue en procédant plus
rapidement grâce à une meilleure communication peut constituer un raccourci
éloignant une organisation syndicale de l’ambition d’exister dans le paysage
social.»
Christian Van Rompaey
(1)
Le SPS rassemble, représente et défend les intérêts de 130 organismes-éditeurs
(associations, coopératives, mutuelles, syndicats) publiant plus de 165 revues,
s’adressant à quelque 20 millions de lecteurs en France.
(2)
Les interventions de la Rencontre sont disponibles sur le site :
www.lapressesociale.eu
Les SPS a également
pris l’initiative de créer une base de données en ligne sur la presse sociale en
Europe.
(3)
Lire l'intégralité du sondage sur
www.csa-fr.com/dataset/data2006/pressesociale.pdf
Il est intéressant
de rapprocher ces résultats avec ceux de l’enquête réalisée sur le journal En
marche en 2005. Celle-ci avait également mis en évidence l’intérêt des lecteurs
pour le journal et des appréciations très positives sur la proximité, l’utilité
et la qualité d’une information «digne de confiance». Voir sur :
www.enmarche.be/Actualite/A_suivre/2005/En_Marche.htm
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