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Médias (21 avril 2011)

 

Des histoires pour convaincre

Des histoires, des histoires et encore des histoires. Pour nous faire acheter, travailler, élire. Cet art d’utiliser le récit à des fins commerciales, managériales ou politiques porte le nom de “storytelling”. Cette technique peut-elle être mise au service du secteur non-marchand, de la promotion de la santé par exemple, sans qu’il y perdre son âme? Réflexions croisées.

Le storytelling est né aux Etats-Unis dans le champ du marketing. Certains citent Edward Bernays comme l’initiateur du courant, dans les années 1920. L’intuition de cet homme, neveu de Freud : il faut, pour convaincre quelqu’un, s’adresser non pas à sa conscience mais à son inconscient. E. Bernays jette ainsi les bases d’un système de captation de la libido des consommateurs. Ce serait lui qui aurait incité les femmes à fumer aux USA en s’adressant à leur inconscient (leur désir d’émancipation, de liberté). Ce serait lui aussi qui aurait fait de la voiture un symbole de virilité.

 

Le terme de storytelling est, quant à lui, apparu dans les années 1990. Fini le règne des logos et des slogans. Désormais les publicitaires misent sur l’identification aux marques et à des valeurs qu’elles prétendent véhiculer, par l’intermédiaire de personnages et d’histoires – réelles ou fictives – mises en scène. On en vient notamment à mythifier les fondateurs des marques. S’adonnant au storytelling, Apple va par exemple renvoyer à la success-story de l’entreprise et de son charismatique leader, Steve Jobs. Son fonds de commerce sera son histoire vue comme un roman d’apprentissage exemplaire. Autre exemple: le whisky Chivas, connaîtra un regain de ses ventes avec l’engagement d’ambassadeurs de la marque, chargés de raconter l’histoire romancée des frères Chivas …en discothèques! Les mêmes cartouches de la success-story seront utilisées par les créateurs de Yahoo, Google et Facebook, pour ne citer qu’eux.

Quant au monde politique, certains ont aussi cédé aux sirènes du storytelling, en ne vendant plus un programme mais en jouant de leurs histoires personnelles et sur les émotions des citoyens-électeurs.

 

Pourquoi ça marche

Le storytelling fait mouche. Pourquoi? Parce que notre vie a commencé par des histoires racontées par nos parents. Et c’est bien utile. Les héros, les personnages, le suspens, les désirs mis en récit, les “happy-end”: tout cela contribue à la construction de notre imaginaire. Ancrées dans notre vie personnelle, les histoires nous aident à nous projeter dans le futur et à nous identifier à autrui. Nous sommes donc très réceptifs à ce mode de communication. Qu’il s’agisse d’images publicitaires, de spots ou de sites internet, les marques n’ont pas leur pareil pour nous entraîner dans l’histoire qu’elles veulent bien nous raconter. Des enfants qui dégustent leur pâte à tartiner au petit-déjeuner à l’éclat du pare-brise qui peut être évité, en passant par la liberté et la séduction offertes par une voiture ou encore par la tornade blanche qui peut envahir miraculeusement nos domiciles, les histoires sont omniprésentes dans le monde de la publicité.

François Meuleman, polytechnicien belge formé à la psychologie et aux sciences commerciales et auteur d’un récent ouvrage consacré au storytelling(1) retient également d’autres exemples, plus édifiants. Parce qu’ils jouent à fond la carte du suspens, des peurs, des pulsions. Et de citer deux spots publicitaires concernant chacun une chaîne de fast-food. Dans le premier, des silhouettes d’enfants se découpent sur des vélos à la tombée de la nuit. “La virée se déroule à l’heure où les enfants devraient être près de leurs parents, commente François Meuleman. Dans l’inconscient, c’est l’heure où l’on sort faire des bêtises. Où vont ces enfants? Pourquoi? Ces questions induisent la construction d’une histoire. En fait, ces enfants vont manger. Ouf. Il n’y a pas de danger”. Dans le second spot, un groupe d’enfants semble seul avec un clown sur une plage. Les habits du clown sont visibles mais il n’est pas clair que les enfants sont habillés. “Heureusement, le clown est celui de la marque bien connue. Raisonnement: ne confions plus nos enfants à d’autres fast foods, celui-ci est bien plus rassurant”, interprète François Meuleman.

 

Ringard le non-marchand?

“Pourquoi le non-marchand n’utiliserait-il pas les armes du storytelling?”, s’interroge François Meuleman qui estime ce secteur bien trop frileux par rapport au marketing en général et au storytelling en particulier. Pourquoi donc ce secteur n’ose-t-il pas miser sur ses propres modèles d’identification? Si tous n’osent pas, certains ont pourtant franchi le pas, ouvert la voie. “Les ‘marques’ du non-marchand ont, elles aussi, une vie, explique-t-il. Et cette vie pourrait nous raconter de belles histoires porteuses de vraies valeurs et de rêves véritables. L’Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Coluche l’ont bien fait”.

L’identification, on en est bien loin parfois. Par exemple quand on en appelle aux dons en recourant à l’image d’un enfant affamé. Le storytelling préférera jouer sur la visibilité du héros. Et le héros, c’est le donateur. “Dans votre quotidien, vous serez plus réceptif à un message qui vous positionne comme le sauveur d’un enfant qu’à celui qui vous culpabilise d’être le nanti”, commente François Meuleman. C’est l’option adoptée par Médecins sans frontières, qui ne culpabilise pas mais en appelle à l’action. “Pour changer un comportement, affirme l’auteur, il faut ouvrir un sésame neuronal: l’affectif. La zone de l’action est entourée par celle de l’émotion. Il ne faut pas vouloir changer un comportement par le négatif. La culpabilisation ou l’interdit se révèlent inefficaces”. Parmi les associations qui ont compris les enjeux d’une approche positive, François Meuleman cite l’Unicef, qui ne focalise pas sur le problème mais sur la solution, ou encore Handicap International qui, avec ses lacets bleus, utilise des symboles forts, comme la fraternité, le lien, la vie.

 

Se raconter

“Se raconter, se présenter à travers ce que l’on vit, c’est très important, relève Sabine Henry, Présidente de la Ligue Alzheimer. Quand je rencontre des familles confrontées à la maladie, je leur raconte des fragments d’histoires vécues par d’autres qui vivent la même chose. Ces récits trouvent écho en elles et les aident beaucoup”. La plate-forme francophone pour le volontariat a pris, elle aussi, la mesure de l’importance du témoignage de volontaires pour motiver des personnes à s’engager à leurs côtés. Pour preuve: la mise sur pied, en cette année européenne du volontariat, d’une exposition itinérante baptisée “Toi + Moi + Nous”. Soit 52 portraits de citoyens qui, à travers leurs actes, leurs sourires et leurs paroles agissent pour une société plus solidaire.

 

Des histoires pour promouvoir la santé?

Le storytelling reste un sujet polémique. Pour Christian De Bock, rédacteur en chef de la revue Education Santé, pas question de recourir à ce qu’il qualifie de techniques de manipulation. “Dans le domaine de l’éducation à la santé, explique-t-il, nous sommes dans le registre de l’éducation permanente. Nous devons fournir aux gens des outils de compréhension. Ne pas arracher une quelconque adhésion par de l’émotion. Tous les moyens ne sont pas éthiquement acceptables pour faire passer un message”.

Le discours est un peu différent du côté de l’Observatoire de la Santé du Hainaut. Depuis 2002, l’institution provinciale de promotion de la santé mène des campagnes de prévention des maladies cardiovasculaires sous forme de spots télé et radio. Les téléspectateurs et auditeurs sont invités à s’identifier, ici à Gérard qui pratique trente minutes d’activité physique pas jour, là à des fumeurs positionnés à des stades de motivation différents par rapport à l’arrêt tabagique. “Oui, on peut dire qu’on utilise le storytelling”, consent le Dr Berghmans, directeur de l’institution. Mais s’y cantonner serait contraire à la démarche de promotion de la santé qui vise l’appropriation de sa santé. On ne pourra jamais, comme le font les publicitaires, promettre la santé à des personnes sous prétexte qu’elles adoptent des comportements protecteurs. Nous avons mis au point de nombreux outils, plus subtils que le storytelling: des brochures où figurent des témoignages de citoyens sur leur manière de manger, la façon dont ils ont arrêté de fumer. Nous organisons aussi des rencontres-débats, des mobilisations au sein des communes. La simplification outrancière: non merci. Nous sommes favorables à la complémentarité des approches et surtout à la rigueur scientifique”, insiste le Dr Berghmans.

Le service communautaire Question Santé ne rechigne pas non plus à recourir à des histoires pour promouvoir la santé. “Informer en racontant des histoires, pourquoi pas?, lance Patrick Tréfois. Et de belles histoires plaisantes à écouter, c’est encore mieux!” On pense à cette campagne de sensibilisation à la protection solaire. Elle met en scène Palou, un garçonnet qui veut devenir l’ami du soleil et ne comprend pas pourquoi celui-ci est méchant avec les gens de son village. Mais des nuances s’imposent une fois encore. “Tous les sujets ne peuvent être abordés de la même manière, au risque de heurter les personnes concernées, précise Patrick Tréfois. La santé n’est pas un produit commercial qu’il faut vendre à tout prix. L’information et la promotion de la santé visent à ce que nous puissions faire des choix pour agir sur notre santé. Il n’y a pas une seule manière d’être en bonne santé”.

// Véronique Janzyk

(1) François Meuleman, “Storytelling, on va tout vous raconter”, Ed. Edipro, 2009.

 

Dans le monde du travail aussi
Le storytelling est également utilisé dans le monde du travail par les entreprises et les chercheurs d’emploi. Une start-up française, Hélia, a lancé une plate-forme d’échanges entre les employeurs et les candidats potentiels. A travers des blogs, des témoignages, des échanges de mails, des hommes et des femmes se racontent. Par ailleurs, de plus en plus de grandes entreprises – y compris publiques – mettent en scène, dans leurs annonces de recrutement, des travailleurs qui témoignent de leur satisfaction et fierté à y exercer leur métier. Rien de tel en effet pour attirer de nouveaux candidats à l’emploi.

Le néo-management, de son côté, a vite saisi l’intérêt du storytelling pour renforcer la culture d’entreprise. Des études pointent, depuis des années, le rôle négatif du silence dans l’organisation des entreprises. Il serait responsable de la majorité des échecs des projets commerciaux. “Le silence, c’est celui de l’incompréhension face à un mode d’organisation, explique Christian Salmon(1). C’est aussi celui des conflits non réglés. Le silence se révèle une technique de survie individuelle, exacerbée en cas de difficultés économiques. Ainsi, en entreprise, le storytelling prend la forme d’une injonction à raconter, lancée aux travailleurs. Tous les récits ne seront pas valorisés, on l’imagine bien. Certains auront plus de poids: ceux qui permettent de partager des connaissances, des valeurs comme la disponibilité ou l’adaptabilité, ou qui donnent foi dans l’avenir.       

// VJ

(1) Christian Salmon, “Storytelling, la machine à raconter des histoires”, Ed La Découverte, 2007.


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