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Médias (10 janvier 2013)

Le mirage de l’immersion virtuelle

© Philippe Turpin/Belpress

Saint Nicolas et Père Noël ont rangé leurs hottes. Les publicités, les maisons… sont envahies de jeux et jouets. Les jeux vidéo comptent parmi les préférés. Petits et grands les privilégient comme objets de détente, de stratégie, d’évasion ou encore de motivation sportive. Un engouement qui effraie parfois l’entourage et certains spécialistes.

Des heures passées devant l’ordinateur ou la console, voilà le quotidien de nombreux amateurs, jeunes et moins jeunes. D’après une récente étude européenne(1), trois quarts des amateurs de jeux vidéo ont plus de 25 ans. Ceux-ci attirent surtout les 25-34 ans, la génération qui a grandi avec eux. “Ça me permet de me vider la tête”, lance ce jeune adulte qui peut consacrer de longues heures à son hobby sans même s’en rendre compte, même s’il ne se dit pas accro. Souvent diabolisés, taxés de violents et d’addictifs, ces jeux séduisent nombre d’entre nous.

Le jeu, un plaisir

Jouer n’a pas d’âge. Dès la naissance jusqu’à l’âge adulte, chacun se délectera de parties de jeu, avec ou sans support “jouet”. “Jouer sert, normalement, les trois grands domaines du développement humain: moteur, cognitif et enfin, social et affectif, précise Isabelle Roskam, professeur au Psychological Sciences Research Institute (IPSY–UCL). Pourtant, les jeux vidéo n’opèrent pas sur ces trois champs. Ils développent surtout le niveau cognitif, avec les stratégies à mettre en place pour réussir… La motricité fine est aussi sollicitée. Par contre, le social et l’affectif sont délaissés. Par exemple, certains parents se dédouanent de jouer avec leurs enfants en leur donnant un jeu vidéo. Ceux-ci seront alors seuls, enfermés sur eux-mêmes.

Seul ? Pas tout à fait

Pourtant, les jeux vidéo se jouent désormais aussi en famille. La récente étude déjà citée relève qu’un tiers des parents y jouent avec leurs enfants. Les moments passés autour d’un plateau de jeu se muent en activités autour d’un écran. Exercices sportifs, chorégraphies, jeux d’action ou cérébraux …, chacun y trouvera son bonheur.

Par ailleurs, notamment avec l’avènement d’Internet et des Smart TV, certains jeux vidéo se pratiquent avec d’autres, connectés en ligne. “Ce n’est pas une activité solitaire. Je me crée un réseau de partenaires de jeu : des Français, des Canadiens…, explique ce joueur invétéré. On s’entraide pour la même cause: tuer des zombies, sauver une ville aux mains de gangs... On réfléchit ensemble aux meilleures stratégies à adopter.” Munis d’un casque, ils communiquent entre eux dans un langage très technique. Mais ces relations virtuelles ont leurs limites et s’arrêtent, pour la plupart, à celles du jeu.

Les motivations des joueurs en ligne sont nombreuses. Joël Billieux, professeur à l’IPSY (UCL), a interrogé des milliers de participants à World of Warcraft, un jeu de rôle sur Internet qui évolue en permanence et qui rallie douze millions de joueurs de par le monde. Ce jeu permet de s’immerger totalement dans l’irréel, ce que recherchent de nombreux joueurs pour échapper au quotidien. Ils peuvent également acquérir un statut de prestige et dicter à leur groupe de participants les actions à mener, la manière de jouer… “Ce sont des vraies stars du jeu!”, souligne Joël Billieux.

Le pouvoir des écrans

Une des grandes préoccupations de l’entourage est le temps que le joueur passe devant sa console ou son ordinateur. L’écran a cette capacité de capter toute l’attention du spectateur, de l’absorber au point que les repères de temps disparaissent. Couleurs chatoyantes, images animées, suspense…: tout est conçu pour renforcer ce pouvoir attractif. De nombreuses études ont démontré la capacité chronophage des jeux vidéo et, d’une manière plus générale, des écrans.

En ce qui concerne les enfants et adolescents, Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste français, invite à replacer la question du temps passé devant des jeux vidéo dans le cadre de l’organisation familiale : “Bien souvent, c’est parce qu’un enfant souffre d’un défaut de communication dans sa famille ou avec ses amis qu’il s’y adonne, et pas le contraire. Son isolement est alors révélateur d’une souffrance psychique personnelle ou d’un dysfonctionnement familial.(2) Il cite ces enfants à la recherche de repères dans un monde mouvant : déménagements à répétition suite au divorce des parents, changements d’école… Le monde virtuel se présente alors “comme un havre de paix et l’écran devient leur vraie maison qu’ils peuvent retrouver à tout moment, où qu’ils soient, sans crainte qu’elle ne bouge.(3)

Addiction : oui ou non

Tous les joueurs vidéo ne sont pas des accros maladifs, tempère Joël Billieux. La société en a souvent une image stéréotypée.” Un joueur ne devient pas forcément un “no life” (ndlr : dans le jargon, ce terme désigne une personne complètement dévouée à sa passion, au détriment de sa vie sociale). La situation devient alarmante quand le joueur présente certains troubles sur le long terme : troubles du sommeil ou de l’alimentation, absentéisme ou échec scolaire, retrait social, diminution des autres activités (familiales, sportives ou culturelles)...(4). Serge Tisseron rappelle qu’un jeune peut être accaparé par un jeu vidéo à un moment précis de sa vie parce qu’il fait face à une déception sentimentale, à un échec scolaire… Et qu’une fois son problème résolu, sa passion démesurée pour le jeu s’en ira aussi vite qu’elle était venue.

Violence, entre réel et irréel

Des faits divers dramatiques placent bien souvent les jeux vidéo au banc des accusés. Les jeux violents incitent- ils à passer à l’acte dans la vie réelle ou, au contraire, servent-ils de catharsis permettant d’évacuer les pulsions violentes refoulées en soi? Au département IPSY de l’UCL, on estime que, même si la violence est banalisée dans le jeu et peut modifier de ce fait l’échelle de référence du joueur, peu d’entre eux opèrent une confusion entre réel et virtuel. Serge Tisseron ajoute que les joueurs peuvent adopter différents profils: l’agresseur, la victime ou le sauveur. “Même si un joueur prend l’agresseur pour modèle, ce n’est pas pour autant qu’il va devenir un assassin ! Les ‘armes’ utilisées dans un jeu ne correspondent à rien qu’il connaisse dans la réalité. Pour lui, tout est virtuel.

Les jeux vidéo prennent de plus en plus d’ampleur. Même le célèbre Musée d’art moderne (Moma) de New York ouvrira, en mars prochain, une section qui leur est entièrement dédiée. Rien ne sert de les fuir à tout prix. Par contre, comme le conclut Serge Tisseron, mieux vaut ne pas oublier qu’ils sont conçus pour être addictifs. On veillera donc à accompagner les plus jeunes dans le jeu, à choisir les jeux adaptés à leur âge, à imposer des règles et des limites de temps… Un conseil qui s’applique même aux plus âgés!

// VIRGINIE TIBERGHIEN

(1) Etude réalisée en 2012 par l’Interactive Software Federation of Europe. www.isfe.eu

(2) Serge Tisseron, Manuel à l’usage des parents dont les enfants regardent trop la télévision, Bayard, 2004.

(3) Serge Tisseron, Qui a peur des jeux vidéo?, Albin Michel, 2008.

(4) Christophe Desagher, Un jeune devant son jeu vidéo. Attention danger?, Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel, juin 2012. 02/527.25.75 – www.fapeo.be

 Une expo
pour aller plus loin 

Le service culturel de l’UCL organise une exposition sur le jeu vidéo “Game over : le jeu vidéo au-delà des clichés”. L’objectif: faire découvrir les richesses de ce monde virtuel à un public non initié ou réfractaire à cette activité. Des tables-rondes et activités ludiques sont également organisées en marge de l’exposition.

>> Infos : du 30 janvier au 1ermars, au Forum des Halles (Inforville) à 1348 Louvainla- Neuve. Entrée gratuite. 010/47.40.30 - www.uclouvain.be/culture

Jouer pour aller mieux

Même si les initiatives ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique, les jeux vidéo ont fait leur apparition dans des lieux thérapeutiques. Appelés “serious game”, ils aideraient certains patients.

En avril 2012, le British medical journal mettait en avant un nouveau “jeu sérieux” néo-zélandais pour ses effets bénéfiques auprès de jeunes dépressifs. Le psychologue et psychanalyste français Michel Stora observe, quant à lui, qu’avancer dans un jeu vidéo procure un sentiment de victoire et peut donner du courage et de la confiance en soi à un patient. D’autres thérapeutes s’intéressent aux effets des serious game sur la motricité de personnes âgées ou la revalidation de patients victimes d’un accident vasculaire cérébral.

L’utilisation de ces jeux fait également l’objet d’expériences menées avec des personnes souffrant de troubles cognitifs (problèmes de concentration, troubles de la mémoire...) au centre d’une réadaptation fonctionnelle neurologique ambulatoire pour adultes à l’hôpital Erasme(1). Ainsi, dans leurs consultations, Catherine Degiorgio et Alexia Watelet, neuropsychologues, ont introduit un jeu vidéo permettant de placer le patient dans une situation similaire à celle de son domicile. “Grâce à un jeu spécialement créé pour notre département, nous pouvons immerger le patient dans un ‘appartement’ qui semble vrai. Il peut ainsi exécuter des tâches quotidiennes, expliquent les deux neuropsychologues. Une caméra posée devant l’écran détecte et capte les mouvements réels qu’ils exécutent et les répercute dans le jeu. Le patient n’utilise ni manette de jeu, ni clavier d’ordinateur.” Sont proposées des mises en situation sollicitant la mémoire, les aptitudes à s’adapter à l’imprévu, au change ment… : des fonctions perdues ou altérées suite à l’accident dont la personne a été victime. Cette recherche en est encore au stade expérimental mais l’outil semble prometteur.

Bien entendu, dans ces différentes expériences, la pratique du jeu vidéo est étroitement accompagnée par un thérapeute qui s’en sert comme outil pour faire parler son patient, mettre à l’épreuve ses facultés, observer ses comportements réel s et la symbolique de son jeu. Catherine Degiorgio conclut : “Le jeu apporte une motivation supplémentaire au patient dans sa thérapie. Le matériel classique de réadaptation travaille souvent avec des stimuli enfantins, non adaptés à l’adulte. Qu’il soit vidéo ou non, le jeu est une activité riche, avec ses règles à comprendre et à respecter.

L’engouement pour ce type d’accompagnement thérapeutique est toutefois tempéré par certains. Isabelle Roskam, professeur au Psychological Sciences Research Institute (IPSY–UCL), met en garde : “L’écran garde un pouvoir d’attraction puissant sur le patient. C’est une qualité utile pour travailler avec des patients atteints de troubles de l’attention, par exemple. Mais il ne faudrait pas que l’écran devienne la solution miracle à tous les maux sans encadrement ni accompagnement d’un professionnel.

// VT

(1) Plus d’infos : www.crfna.be

 


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