Médias
(5 juillet 2012)
Facebook, un ami qui vous veut du bien ?
Un surfeur averti... |
> L’ordinateur est chronophage. Attention au temps passé sur le Net.
>
S’exposer sur la Toile est une arme à double tranchant.
> Les éléments en
ligne (vidéos, photos, commentaires…) s’effacent difficilement. Des années
après, il est encore possible de les retrouver.
> L’identité que donnent les
internautes n’est pas toujours vérité.
> La réalité décrite sur les réseaux
sociaux est souvent tronquée.
> Des paramètres de confidentialité existent
sur les réseaux sociaux. Ils permettent de gérer l’accès aux données
personnelles :
www.jedecide.be
http://fr-fr.facebook.com/help/privacy
>
Internet est soumis à des lois : droits d’auteur, droit à l’image, droit au
respect de la personne, de la vie privée, loi Moureaux (contre le racisme)… |
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© Reporters/DesignPics |
“La dépression Facebook”, l’expression est lâchée ! L’American academy of
pediatrics l’a évoquée pour parler d’un nouveau mal du siècle qui guette
petits et grands surfeurs. Ce réseau social où chacun se montre sous son
plus beau jour, suscite des sentiments et états d’âme exacerbés chez ses
utilisateurs: jalousie, voyeurisme, passion, tristesse…
Les
vacances d’été battent leur plein. Les utilisateurs du réseau social
mondialement connu, Facebook, se déchaînent : les uns postent leurs photos
de vacances les plus belles et les plus ensoleillées, les autres mentionnent
dans leur statut les activités les plus folles qu’ils sont en train de
réaliser, d’autres encore s’identifient à tel ou tel autre endroit (insolite
et au bout du monde, bien entendu!). Car Facebook fonctionne de cette
manière : on s’y montre… et pas n’importe comment, ni n’importe où ! Sur le
réseau social, la mise en scène du réel s’impose en maître. Pas question d’y
afficher des moments inintéressants de sa vie privée. Si quelques-uns y
décrivent le déroulé de leur simple quotidien, souvent, la plupart des
Facebookers ne montrent que le plus positif de leur vie.
Se valoriser
Des
applications Facebook sont créées régulièrement pour rendre possible la
valorisation de sa propre personne. Par exemple, s’enregistrer visitant
l’Empire State Building de New York ou se reposant sur la plage de
Copacabana à Rio de Jainero… Les utilisateurs de Facebook sont très friands
de cette “géolocalisation sociale” qui permet d’indiquer fièrement à son
réseau où l’on se trouve. Agrémentés souvent de photos, les profils
rivalisent les uns avec les autres. Qui, cette année, sera en vacances dans
l’endroit le plus paradisiaque ? Qui affiche les enfants les plus mignons?
Qui montre le mariage le plus extraordinaire? Les difficultés de la vie,
pourtant réelles, sont bien loin de cet univers doré.
“Moi je…”
S’inscrire sur Facebook, c’est “une manière de dire ‘j’existe’, de se
rassurer sur soi-même”, expliquent Thérèse Jeunejean et Gilles Ernoux,
auteurs des Carnets citoyens : Facebook et les réseaux sociaux(1).
“De
nombreuses études ont démontré que les utilisateurs de Facebook au profil
fortement complété sont généralement plus narcissiques. Ils sont également
souvent plus extravertis, souligne Michel Hansenne, professeur en
psychologie (ULg). Mais Facebook n’est que le prolongement de la vie réelle.
Dans tout contexte d’interactions sociales, certaines personnes se mettront
toujours plus en avant que d’autres. Le narcissisme se rencontre partout et
pas uniquement sur les réseaux sociaux.”
Une arme à double tranchant
Les
internautes étalant des bribes de leur vie sur Facebook attendent souvent
les réactions des autres. Une sorte d’approbation par la communauté… Les
fonctions “j’aime (like)” ou “commentaires” ont été développées dans ce sens
par le géant américain. Quelle déception, pour certains, de voir que leurs
statuts, photos… ne suscitent guère de commentaires ou de “like”.
“Pour les
personnes plus fragiles au niveau émotionnel, précise le professeur de l’ULg,
le fait de ne pas recevoir l’engouement de sa ‘communauté’ pourra être vécu
comme un échec. Si une demande d’amitié* est rejetée ou que des commentaires
cyniques sont postés sur son mur**, cette personne plus vulnérable peut
ruminer longuement ces actions. ‘Qu’ai-je fait pour mériter ça? Je ne suis
pas assez intéressante…’ Toutes ces réflexions l’amèneront peut-être à un
état mélancolique. Les personnes plus ‘instables’ auront tendance à moins
bien les digérer et à les envisager plus négativement.”
D’un autre côté,
recevoir un vif engouement de la part des ses amis sur le réseau booste
l’ego, procure la satisfaction de se sentir accepté, approuvé par ses pairs.
Yves Collard, formateur en éducation aux médias chez Média Animation ajoute
: “Sur les réseaux sociaux, la culture du don et du contre-don s'impose. Si
je reçois un commentaire positif, je vais y répondre de la même manière. Si
ce n'est pas le cas, il peut y avoir une rupture dans l’amitié réelle ou
virtuelle.”
Jalousie quand tu nous tiens
Observer la “si belle” vie de ses
contacts peut susciter la jalousie ou entraîner une dévalorisation de sa
propre existence. Voir que ses amis passent leur été sur les plages de
Thaïlande, que les uns achètent une maison, que les autres accueillent un
nouvel enfant dans leur famille… fait naître chez certains internautes un
sentiment d’infériorité. Facebook incite à une comparaison permanente entre
soi et les autres.
Sans parler de la jalousie que le réseau social peut
créer dans les relations amoureuses. Suspicion, espionnage…, Facebook est le
terrain rêvé pour observer les moindres faits et gestes de son partenaire à
son insu. “Pourquoi ce cher et tendre tarde-t-il à afficher sur son profil
qu’il est en couple? Qui est ce garçon qui invite ma copine à une soirée? Et
cette fille sur cette photo qui enlace mon copain?” Le réseau laisse libre
cours à l’imagination, aux interprétations et aux fantasmes. Protéger une
certaine vie privée relève du défi.
Virtuel et réel
Facebook fait aussi
couler beaucoup d’encre sur d’autres méfaits. Ses détracteurs disent qu’il
isole socialement ses utilisateurs, qu’il corrompt la jeunesse, qu’il
véhicule des contenus violents ou à caractère sexuel… Mais le bannir
totalement serait-il la solution miracle? Non, répondront les plus nuancés.
Yves Collard avance : “Des études ont montré que les jeunes de 12-18 ans qui
fréquentent beaucoup les réseaux sociaux ont généralement une vie sociale
réelle bien remplie et une vie culturelle riche.”
Facebook ne serait donc
pas cet outil hypnotisant qui coupe ses utilisateurs de tout autre contact.
Le psychologue Michel Hansenne rappelle que “c'est le prolongement de la vie
réelle. Comme les Facebookers y vendent leur vie de manière attrayante, il
faut que des événements s'y passent réellement. Une personne qui n'aurait
aucune vie sociale ne serait pas considérée comme intéressante sur
Facebook.”
Mais le pouvoir chronophage des écrans est connu. On peut
s'inquiéter d'une dépendance chez un utilisateur quand il va passer de
nombreuses heures de son temps libre sur le web. Pour garder une vie
sociale, tout est une question de dosage... Qui, pour les plus jeunes, devra
peut-être s'évaluer avec l'aide d'un adulte.
// VIRGINIE TIBERGHIEN
* La
demande d’amitié permet d’ajouter des personnes (connaissance ou amis) à son
réseau. Elle requiert l’approbation de l’autre.
** Le mur est la page
visible du profil qui présente l’utilisateur. Ses contacts peuvent interagir
sur cette interface.
(1) “Facebook et les réseaux sociaux, Carnets citoyens”, de Thérèse Jeunejean et Gilles Ernoux, Editions De Boeck, 2012, p.16. Pour aller plus
loin lire aussi : “Qui a peur du grand méchant web”, de Pascal Minotte,
Editions Fabert et Yakapa.be. Téléchargeable en PDF sur
www.yakapa.be
Dérapages web incontrôlés
Sur les réseaux sociaux, comme sur d’autres sites internet, n’importe quelle
personne est à même de mettre en ligne des textes, audios ou vidéos... pour
peu qu’elle en maîtrise la technique. A vouloir trop se mettre sur le devant
de la scène, on peut s'y brûler les ailes.
Une photo prise lors d’une soirée bien arrosée ou une vidéo de soi un peu
dénudé qui se retrouvent sur la toile, voilà qui est souvent gênant. Et il
est difficile de faire disparaître ces images à jamais. Yves Collard,
formateur en éducation aux médias (Média Animation) rappelle : “Quand
quelqu'un met en ligne quelque chose, il ne pense pas forcément à l’ensemble
des personnes qui y auront accès. Il existe des observateurs muets sur le
Net. La Toile permet de pister les gens, d'investiguer sur eux. Tout ce qui
est sur le web peut être reproduit en étant sorti de son contexte et donc,
prendre un autre sens que celui de départ.”
Le fait que tous les internautes
puissent réagir aux contenus peut aussi être néfaste. Par exemple, les
moqueries fusent quand une adolescente se photographie en sous-vêtement et
s’affiche ainsi sur son blog. Ou qu’un garçon montre son torse musclé. Les
attaques sont faciles via le Net, sans “victime” en face à face. Rappelons
le cas plus médiatisé de Jessi Slaughter, cette jeune américaine de 11 ans.
En juillet 2010, elle jouait l'effrontée sur Internet. Nombrilisme,
vantardise..., tout était réuni dans une vidéo d'elle qu'elle postait sur
Youtube. “Je suis plus jolie que vous, j'ai plus d'amis, j'ai plus de
fans...” scandait-elle aux internautes. Qui, eux, ne se sont pas privés de
la remettre à sa place. Sans prendre de gants... Au vu de l'ampleur que
l'affaire a prise, Youtube a supprimé le compte de la gamine, harcelée par
des commentaires online. Mais aussi dans sa vie réelle. En effet, son
adresse et son numéro de téléphone se trouvaient sur la toile.
De nombreux
jeunes oublient de limiter l’accès à leur profil. De plus, comme rien ne
disparaît jamais vraiment du web, les vidéos de Jessi sont encore visibles
aujourd'hui, deux ans plus tard. L’oubli numérique pose question et en
mobilise d’ailleurs plus d’un. Le cyber-harcèlement peut être une
conséquence de cette surexposition sur le web. Rester maître des contenus
qui concernent sa propre personne est difficile quand ceux-ci peuvent être
reproduits et commentés facilement.
Cyber-harcèlement, rencontres de
personnes malhonnêtes, arnaques en tous genres… “Les personnes les plus
fragiles face à ces risques ne sont pas toujours ceux qu’on pense. Les
jeunes qui ont grandi avec ce média s’y connaissent souvent davantage que
leurs aînés.”, observe Yves Collard. L’éducation aux médias s’impose pour
tous. Connaître les règles du jeu du Net évite les déboires. A l'heure où
l'intimité s’étale, parfois contre son gré, il faut se souvenir que garder
des secrets ne peut pas faire de mal. Ne dit-on pas : “Pour vivre heureux,
vivons cachés”?
// VT
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