Jeunes
(4 mars 2010)
Les jeunes
marionnettes
des cigarettiers
Les jeunes fument beaucoup plus de
cigarettes qu’avant, bien que le nombre de fumeurs ait diminué.
Pourtant, nombreuses sont les campagnes de prévention destinés aux
adolescents et montrant les effets néfastes de la cigarette.
Seraient-elles vaines ?
L’argument «santé»: insuffisant
pour convaincre les jeunes de
ne pas fumer
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© FASD |
«Il
fallait que je fume, affirme Julia, une adolescente de 18 ans qui a
décidé d’arrêter de fumer. C’était important pour mon image. Dans les
vieux films américains, les acteurs avec une cigarette, comme Humphrey
Bogart, c’est joli. Ca leur donne un genre» (1)
Pour beaucoup de jeunes, fumer fait partie de l’apparence : paraître
cool, dans le vent, mature ou encore rebelle. Ils feignent d’ignorer
complètement les effets néfastes du tabac. «Il faut bien mourir de
quelque chose» ou «le cancer, on l’a quand on devient vieux»
se fait entendre souvent auprès des fumeurs de la jeune génération.
«A 20 ans, on ne se sent pas mortel», confie Lucie, ancienne fumeuse
de 33 ans (1). Se sentant invincibles, trop jeunes
pour décéder ou capables d’arrêter à temps, les adolescents sont une
cible parfaite des cigarettiers.
Libres mais manipulés
Consommer
des cigarettes, pour les jeunes, est signe de liberté. Monique Osman,
tabacologue précise : «Commencer à fumer quand on est jeune, c’est
pratiquement toujours désobéir à ses parents. (…) Vous montrez ainsi que
vous vous êtes libéré de leurs règles de conduite» (2).
Pourtant, ces ados en soif de liberté deviennent la proie des
industriels du tabac qui les manipulent pour en faire des consommateurs
réguliers. Des cigarettiers affirmaient déjà en 1975 que «pour assurer
la croissance de l’entreprise, la marque doit accroître sa part du
marché des 14-24 ans (…) qui représentent l’avenir des cigarettiers.»(2)
Packaging attirant, nouveaux goûts dans les cigarettes : les industries
regorgent d’idées pour toucher les jeunes. Elles parviennent également à
placer leurs produits dans des médias en vogue auprès des adolescents,
tels qu’au cinéma, dans les jeux vidéo (malgré les interdictions dans
certains pays, comme en France ou aux USA, de laisser des cigarettes sur
des affiches de cinéma). Sans oublier qu’elles créent de nombreux
produits dérivés (par exemple, des vêtements)… La cigarette devient donc
une tentation omniprésente dans la vie des adolescents.
Avec le
bannissement de la publicité autour des marques de cigarettes, loi en
vigueur en Belgique depuis 1999, ces industries ont dû trouver de
nouveaux moyens d’atteindre les jeunes. Détournées mais bien réfléchies,
ces annonces masquées jouent sur l’inconscient des jeunes. Au cinéma,
par exemple, la plupart des acteurs apparaissent cigarette aux lèvres.
«Dans les films, on fume trois fois plus que dans la réalité !»,
observe le Docteur Abdennbi, cardiologue et tabacologue (1). Modèles
pour beaucoup d’adolescents, ces stars passent des contrats avec les
cigarettiers. Ils s’engagent à figurer avec leur produit dans les longs
métrages. A titre d’exemple, en 1983, Sylvester Stallone recevait
500.000 dollars pour utiliser des cigarettes dans cinq de ses films.
Ces
pratiques seraient-elles encore utilisées ? En tout cas, le nombre de
films mettant en scène la cigarette reste impressionnant, associée à la
séduction (comme dans Titanic dans les mains de Leonard Di Caprio),
et à la réussite (comme dans Independance Day avec Will Smith)…
La liste est longue, tant dans le palmarès américain qu’européen.
Les
industries du tabac se moquent du coût que ces apparitions
cinématographiques engendrent. Elles sont largement gagnantes dans ce
processus : plus vite un enfant ou un ado aura une cigarette en main,
plus il en deviendra accro. On sait en effet que la nicotine crée une
dépendance. Les industries cigarettières ont également introduit de
nombreuses autres substances nocives dans leurs produits afin
d’entretenir cette situation addictive.
A côté de
cela, certaines industries essaient de redorer leur image en orchestrant
des campagnes de prétendue prévention. L’une d’entre elles, avec sa
campagne ‘Think, don’t smoke’ (3), a été dénoncée
par plusieurs chercheurs. Elle serait contreproductive par rapport aux
«vraies» campagnes de prévention et aurait même un effet bénéfique pour
les industries du tabac en poussant les jeunes à consommer des
cigarettes. En véhiculant de «supposés» messages santé, les cigarettiers
sèment le trouble : ils paraissent soucieux de la santé publique et
donc, pas si dangereux. Ils associent également au tabac une situation
attrayante pour les jeunes : le mépris des interdits, tout en délaissant
la nocivité et les dangers du tabac.
Campagne
pour sensibiliser les jeunes
A
Louvain-la-Neuve, l’asbl Univers Santé, active dans la promotion de la
santé auprès des jeunes, a mené plusieurs campagnes pour sensibiliser
les étudiants à la consommation de tabac. «Nous concevons toujours
les messages avec les destinataires des campagnes, précise
Anne-Sophie Poncelet, chargée de projet à Univers Santé. Nous avons
associé à nos réflexions des étudiants, eux-mêmes consommateurs de
tabac. Nous leur avons demandé quels messages seraient les plus
percutants, selon eux.» Son collègue, Martin de Duve précise que les
campagnes d’Univers Santé sont axées sur la réflexion des jeunes plutôt
que sur le fait de les bousculer avec des images chocs : «Les
cigarettiers l’ont d’ailleurs bien compris : les photos choquantes de
cancer de la lèvre ou de la langue… apposées sur leur paquet ne
dissuadent pas la jeune génération à fumer. A première vue, elles
peuvent dégoûter mais elles ne font pas réfléchir. Finalement, les
jeunes n’y prêtent même plus attention.» Avec un ton décalé et
humoristique, ces concepteurs de campagnes destinées aux étudiants ne
jouent pas les moralisateurs avec leurs destinataires.
Interdire, la solution ?
Autant les
jeunes ont besoin de préserver leur liberté, autant ils sont favorables
à l’interdiction de l’usage du tabac dans certains endroits. Un peu
paradoxal ? «70 % des jeunes sont partisans de cafés sans tabac»,
observe la Coalition nationale contre le tabac (4).
Et le CRIOC confirme également que 70 % des adolescents sont favorables
à l’interdiction totale du tabac à l’école et plus de la moitié sont
favorables à l’interdiction de vente de tabac aux mineurs d’âge.
L’argument
de la santé en danger ne suffit donc plus à inciter les jeunes à arrêter
de fumer. Cancer du poumon, trachéotomie, perte des dents… laissent
indifférents. Les messages de prévention doivent donc être repensés :
faire comprendre au jeune qu’il peut rester maître de sa propre vie et
ne pas se laisser prendre dans les mailles du filet des industries du
tabac.
// Virginie Tiberghien
(1) Extrait du DVD «La
cigarette, faut qu’on en parle !» • outil réalisé par le Centre régional
de documentation pédagogique de Franche-Comté • 2008 •
http://crdp.ac-besancon.fr • Prix : 29 EUR.
(2) «Pourquoi la
cigarette vous tente ?» • M.Osman • Ed. de La Martinière • 2007 • 107 p.
• Prix : 11 EUR.
(3) Campagne menée par
Philip Morris en 2001.
(4) La Coalition
nationale contre le tabac regroupe, du côté francophone, l’Association
des Pharmaciens belges, la Fondation belge contre le Cancer, le Fonds
des Affections respiratoires, l’Observatoire de la Mortalité infantile,
l’Observatoire de la Santé du Hainaut, la Société scientifique de
médecine générale.
Des arguments de poids
pour les jeunes ?
Dans
l’outil pédagogique déjà cité «La cigarette, faut qu’on en parle»,
Julia, 18 ans, explique qu’elle essaie d’arrêter de fumer, suite à
l’alerte de son médecin. Après avoir détecté des kystes sur ses cordes
vocales, il l’a mise en garde par rapport au développement d’un possible
cancer, malgré son jeune âge. Mais l’argument de la santé ne semble pas
pertinent pour tous les jeunes. «On est jeunes, ça ne nous touche
pas», expliquent d’autres adolescents dans le même outil
pédagogique. Dès lors, quels autres arguments utiliser ?
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L’argent
Quand on est
adolescent, l’absence de revenus ne permet pas de s’accorder tout ce
dont on rêve. Fumer représente un sérieux budget. Il faut donc se priver
d’autres loisirs : cinéma, verre avec des potes, shopping entre
copines… Avec la cigarette, l’argent de poche part en fumée.
> Les parents et
l’entourage
«Mes parents
me disent d’arrêter de fumer mais eux, continuent. Ils trouvent que je
me ruine la santé. Et eux, alors ?» souligne une adolescente. A côté de
la famille, les amis jouent également un rôle prépondérant. «La 1ère
cigarette est souvent offerte par le (la) meilleur(e) ami(e)»,
révèle l’enquête du CRIOC. L’effet de groupe a beaucoup d’influence sur
les comportements des adolescents, surtout dans cette période de la vie
où le test et les défis dictent beaucoup leurs actes.
Dans le
sondage du CRIOC, 65 % des jeunes interviewés pensent que parler du
tabac peut aider la jeune génération à ne pas commencer. Et 72 % que les
parents jouent un grand rôle dans la prévention du tabagisme chez les
jeunes
.
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L’apparence
Le look, la
beauté, la séduction… sont de grandes préoccupations de l’adolescence.
Avec la cigarette, les dents et les doigts jaunissent, on a mauvaise
haleine, la peau est moins souple et des rides précoces apparaissent,
les cheveux sont cassants, les lèvres s’assèchent, l’odeur imprègne le
corps et les vêtements…
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Garder sa liberté
N’être
soumis à personne et seulement, à ses envies, c’est un peu l’adage de
l’adolescence. La cigarette rend esclave: la dépendance que la nicotine
et autres substances toxiques créent ne permet plus aux jeunes d’être
libres par rapport au tabac. «Quand je suis en vacances dans un petit
village, parfois, il n’y a pas de marchands de tabac, explique un
jeune. A ce moment, je me rends compte de ma dépendance parce que je
suis prêt à faire des kilomètres pour en trouver. Je vais même jusqu’à
ramasser dans les cendriers, le peu de tabac qu’il reste pour me rouler
une petite clope.»
Esclaves de
la nicotine mais pas seulement, ces consommateurs sont devenus les
marionnettes des industries du tabac.
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