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Société (5 janvier 2012)
“Ch.infirm.bon.conn.soins…”

A peine naissant, le recrutement de personnel infirmier étranger par les hôpitaux belges semble promis à un bel avenir. Mais, appelé à soulager le travail des équipes en place, ce business n’est pas sans poser des questions délicates. Tant pour la sécurité du patient belge que pour les pays ainsi "désertés" par leur personnel qualifié.

© Michel Houet - Belpress
Le 28 mars 2011, un journal flamand, relayé ensuite dans tout le pays, frappe fort en annonçant que la Belgique va devoir faire face à une pénurie de 120.000 infirmières. Un chiffre réaliste? Selon le Higher Institute for Labour Studies (HILS) de la KUL, qui a comparé l'offre et la demande de personnel infirmier, la pénurie n’existe pas et n’existera ni à l’horizon 2015, ni à l’horizon 2020 ! Et cela, notamment, parce que l’attrait pour les études d’infirmier reste important même en période de crise. Autre motif: la population belge devrait compter environ 11 millions de personnes en 2020 (alors qu’on l’a longtemps pronostiquée à la stabilisation). Dans ce vivier démographique, on continuera probablement à trouver suffisamment de personnes disponibles sur le marché de l’emploi en soins de santé.
 Voilà pour les projections. Mais, sur le terrain, d'ores et déjà, les constats sont tout autres. Face aux traditionnelles difficultés de ce métier (horaires irréguliers, travail de nuit, stress, vécu émotionnel, etc.), les infirmiers et les infirmières sont de plus en plus séduits par le travail à temps partiel, voire abandonnent purement et simplement la profession(1). “Jusqu’ici, dans ce secteur non-marchand, on parvient tant bien que mal à lutter contre la tentation d’aller débaucher l’oiseau rare dans la clinique voisine à coup de promesses salariales ou d’aménagements d’horaires”, estimait l'un des participants à une récente matinée d'étude organisée par la Fondation Roi Baudouin(2). “Mais pour combien de temps encore?” La pénurie sévit surtout dans les unités de soins intensifs et à haute technicité, les soins à domicile et le secteur des maisons de repos (MR et MRS). Les grandes villes semblent les plus fortement concernées. Quant au vieillissement de la population, il ne fera probablement qu'accroître le besoin de personnel dans les soins de santé. En 2050, un Belge sur quatre aura plus de 65 ans; un sur dix plus de 80 ans… 

Des agences spécialisées
Que faire? Tenus de respecter les normes d'encadrement, certains hôpitaux, depuis quelques années, recrutent du personnel sur le “marché” international. La Belgique compte déjà (au moins) six agences peu ou prou spécialisées dans ce domaine(3). A la demande de nos institutions de soins ou à leur propre initiative, elles arpentent les écoles, les hôpitaux et les foires à l’emploi de Roumanie, du Liban, du Portugal, de Tunisie, de Pologne… Mais aussi, depuis peu, de Hongrie, de Lituanie, de Lettonie et de Bulgarie. Et, bientôt, dit-on, de Grèce, d’Ukraine et de Biélorussie. Le marché est florissant: recruter, accueillir et – surtout – former le (la) candidat(e) coûte de 10 à 15.000 euros par personne et par an. Certaines sources évoquent jusqu’à 25.000 euros! Cher? Sans nul doute, mais moins onéreux que le salaire annuel d’un
  infirmier intérimaire. Les intérimaires, de surcroît, parviennent souvent à négocier des horaires plus compatibles avec la vie familiale, ce qui peut entraîner la grogne du personnel habituel. Une forme de dumping social, ces engagements à l'étranger? A priori, non. La loi est claire : à qualification et travail équivalents, le Belge et l'étranger sont rémunérés de la même façon. Un risque pour les patients, alors (on pense évidemment au problème de la langue)? Les tests de mise en situation clinique, imposés à tous les candidats avant l’embauche, sont censés éviter ce genre de scénarios(4). Souvent, ce test se pratique déjà dans le pays d’origine, où la plupart de nos gestionnaires d’hôpitaux se déplacent pour procéder eux-mêmes à la sélection. Il n’empêche. Les syndicats, en Belgique, renâclent devant cet intérêt pour les marchés de l'emploi étranger. Certes, quelques pays (les Philippines, par exemple) organisent délibérément la migration de leurs ressortissants préalablement formés. Au Liban, par exemple, la formation des infirmiers est de type universitaire. En venant travailler en Belgique, un infirmier tunisien peut multiplier son salaire par cinq(!), ce qui peut avoir des retombées positives pour sa famille restée au pays. Mais certaines dispositions liées à la délivrance du permis de séjour en Belgique ont des incidences fâcheuses. Comme celle de conditionner l'attribution de celui-ci au bénéfice de rentrées financières suffisantes: pour remplir cette condition, l’infirmier est contraint de s’investir dans un grand nombre d’heures de nuit ou de weekend. Autre exemple, cité par le LBC-NVK (le pendant néerlandophone de la CNE): un infirmier polonais qui casserait son contrat d’emploi au cours de la première année de son engagement en Belgique se verrait imposer une pénalité de 2.000 euros dans son pays. “Illégal”, tonne Olivier Remy, responsable du secteur des soins aux plus âgés au LBC-NVK. 

Une profession attrayante?

Le problème est complexe. On peut, certes, commencer par rendre la profession d'infirmier plus attractive en Belgique, par exemple en multipliant les possibilités de promotion en cours de carrière. On peut, aussi, puiser dans le réservoir de main-d’œuvre, constitué notamment de personnes étrangères diplômées dans leur pays d'origine mais sans travail (les hôpitaux bruxellois le font déjà couramment). Mais recruter à l’étranger revient à favoriser l’émigration de soignants qui, dans leur pays, pourraient jouer un rôle précieux, particulièrement dans les régions confrontées à d'importantes carences de santé, par exemple l’Afrique subsaharienne.
 A la Fondation Roi Baudouin, on en appelle à la plus grande prudence sur le risque de fuite des cerveaux. “L’émigration de personnes hautement qualifiées peut être positive. Mais cela suppose que le pays d’origine conserve un nombre suffisant de travailleurs formés. Pour certains pays, comme les petites îles de Micronésie, la situation est tout simplement dramatique. Des hôpitaux doivent fermer leurs portes (…). Même aux Philippines, des mouvements sociaux commencent à tirer la sonnette d’alarme(…)”. Car “les migrants ne reviennent pas forcément au pays pour faire profiter les populations des connaissances acquises en Belgique et ailleurs”. Et d’en appeler à l’adoption urgente, dans nos hôpitaux, d’un code de bonnes pratiques tel que le préconise depuis peu l’OMS.
// Philippe Lamotte
 
(1) Le réseau bruxellois Iris, à lui seul, manque de 250 infirmiers.
(2) Infos: www.kbs-frb.be ou 02/549.02.45
(3) Cela n'empêche pas qu'à l'heure actuelle, la grande majorité les médecins et infirmières étrangers en Belgique ont obtenu leur diplôme dans des écoles belges.
(4) Selon une étude menée récemment en Flandre, seuls 3 infirmiers polonais sur 10 maîtrisent suffisamment le néerlandais.


T
émoignages
Risques inacceptables ou enrichissement permanent?


Au CHU de Liège (900 lits, 1.500 infirmiers et infirmières), où une vingtaine d’infirmiers tunisiens ont été recrutés en 2009, on estime n’avoir jamais eu le moindre problème relationnel avec les patients. “Probablement parce que la population liégeoise est déjà très hétéroclite sur le plan des langues et des cultures”, souligne Marie Hélène Beaupain, infirmière en chef de l’Unité de médecine interne. “Et parce que le respect des cultures et des convictions religieuses fait partie des habitudes de l’hôpital, où 14 nationalités différentes se côtoient tous les jours parmi le personnel”. Certes, le recrutement de cette équipe tunisienne n’est pas allé de soi. Pour valider l’équivalence des diplômes, il a fallu les traduire intégralement – tout comme les mémoires de fin d’études – de l’arabe vers le français. Il a fallu trouver du logement et avoir recours à une assistante sociale. Surtout, le CHU a dû compléter leur formation de base (physiologie et pathologie), mais aussi de langue française. “Leurs connaissances se limitaient à un niveau usuel. Techniquement, elles n'étaient pas assez poussées”.
 En matière de brassage des cultures, les gestionnaires du CHU mentionnent un “extraordinaire enrichissement”. “La chaleur et la qualité d’écoute de ces Tunisiens auprès des patients est belle à observer, particulièrement avec les enfants et les personnes âgées. Je vois encore cette personne âgée, alitée, réclamer le retour de ‘son’ infirmier tunisien. Ces infirmiers se révèlent particulièrement efficaces dans les relations avec les patients atteints du Sida ou de la tuberculose qui, à peine arrivés de l'étranger, se retrouvent parfois brutalement hospitalisés et coupés de toute vie extérieure”. Et ce n’est pas tout: l’été dernier, grâce aux contacts avec leurs familles, ces infirmiers installés à Liège ont pu répandre dans le CHU – personnel et patients – un éclairage plus direct, plus personnalisé, plus nuancé que celui donné par les médias sur la révolution tunisienne. 

Françoise (prénom d’emprunt) est infirmière pédiatrique dans un hôpital bruxellois. Il y a quelques années, elle a claqué la porte de son service. Parmi les motifs de son ras-le-bol, le surcroît de tâches liées à l’arrivée de personnel étranger – libanais et roumain. “Un jour, une infirmière a placé une transfusion sur la pompe d’un enfant: inadmissible! J’en ai vu d’autres donner à un enfant deux médicaments incompatibles”. Elle ajoute: “Il arrivait que les médecins soient distraits et que, nous, infirmières, attirions leur attention sur des erreurs… Or les infirmiers étrangers de notre service, généralement, exécutaient sans broncher les actes préconisés par les médecins, sans nouer ce dialogue avec eux...”. La connaissance de la langue? “D'accord, ils parlent le français. Mais ils sont limités dès qu’il s’agit de quelque chose de plus technique: pathologie, nomenclature, etc. De plus, au Liban, la formation universitaire équivaut en réalité, chez nous, à un niveau A2. J’ai vu des patients algériens, au français également approximatif ou déformé par l'accent, s’inquiéter de ne pas se faire comprendre d’eux”.  
Le résultat? “Pour être certains d'être bien compris, les médecins s’adressent prioritairement aux infirmiers belges. Ce qui se traduit par un surcroît de travail”. Même si Françoise précise que ce problème de langues peut aussi se présenter avec des infirmiers néerlandophones, elle ajoute un autre problème: le fossé culturel. “En Roumanie (NDLR: comme dans d’autres pays), les infirmiers ne font pas les toilettes des gens. C’est la famille ou du personnel ouvrier qui s’en charge”. De là, leur propension à laisser ce travail à charge de leurs collègues belges. Ce qui est loin d’être toujours bien vécu…

 

 


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