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Immigration (7 juin 2012)

Le malade étranger, imaginaire ?

© Thomas Blairon

Des chiffres éloquents : lors de l’exercice 2011 et pour la première fois de son histoire, l’Office national des étrangers a enregistré plus de demandes d’autorisation de séjour sur une base médicale (procédure 9 ter) que sur une base humanitaire (9 bis). Elles étaient 9.675 en 2011 (contre 8.096 pour la ‘9 bis’). Un nombre en constante progression(1). Du coup, c’est la panique dans les états majors!

La procédure 9 ter est perçue comme le nouveau Cheval de Troie des candidats à l’immigration. Si le gouvernement fédéral en exercice, en 2011, avait déjà tiré la sonnette d’alarme et modifié la procédure de traitement des dossiers, la nouvelle secrétaire d’Etat à l'Asile et la Migration, Maggie De Block (Open VLD), n’aura pas tardé à se forger sa propre opinion. En janvier 2012, après un mois dans ses nouvelles fonctions, elle dénonce en pagaille des abus et fraudes de tous genres et esquisse ses solutions à venir: liste de pays réputés “sûrs”, centre fermé pour demandeurs d'asile délinquants, retour volontaire “encouragé”.

Le 9 ter, c’est quoi ?

Pour obtenir le séjour légal via le 9 ter, le demandeur doit souffrir d'une maladie telle qu'elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, lorsqu'il n'existe aucun traitement adéquat dans son pays d'origine ou dans le pays où il séjourne.

Au bout de cinq ans, le séjour est permanent. Entretemps, le statut est renouvelé d’année en année. Dans les faits, à moins que la guérison ne passe par une opération, la plupart des maladies dont souffrent les demandeurs sont chroniques et le 9 ter débouche souvent sur un permis de séjour indéterminé.

La procédure 9 ter n’échappe pas à son courroux : “Nous devons mettre un terme à ce canal de migration. On constate que plus de 80% des demandes de séjour médical sont formulées par des demandeurs d’asile ou des personnes déjà déboutées. Ces multi-procédures allongent leur séjour et saturent le réseau d’accueil”. La secrétaire d’Etat prône dès lors des conditions d’accès plus strictes afin de réduire la pression et l’effet attractif d’une telle demande.

L’ultime bouée ?

Et c’est vrai que le 9ter a de quoi séduire les chercheurs d’avenir meilleur. La procédure, une fois recevable sur la forme, permet de bénéficier d’un titre de séjour temporaire et de l’aide sociale en attendant le jugement sur le fond du dossier. Logique : si la personne est médicalement mal en point, elle doit recevoir une assistance médicale adéquate. La politique d’asile se montre à ce point restrictive – toutes les portes se refermant – que les exilés trouvent dans ce 9ter l’ultime bouée de sauvetage. “Le problème avec les demandes d’asile, c’est qu’il n’y a pas d’autres modes d’immigration, estime Pascale De Ridder, psychologue au service de santé mentale Ulysse. C’est normal de chercher à rentrer dans les cases.

Filtrer les demandes

Ainsi le séjour médical peut être détourné de sa fonction première (lire encadré). De nombreux dossiers introduits sont des stratégies de survie pour rester plus longtemps sur le territoire.

Certains avocats utilisent même cette procédure comme un fond de commerce tandis que des médecins délivrent généreusement les certificats médicaux, soit par lucre, soit par solidarité. Le phénomène semble à ce point répandu qu’une liste noire de médecins a été dressée par l’Office des étrangers.

Face à l’afflux des demandes de 9ter, l’Office des étrangers a durci le ton en 2011 et a testé les limites, refusant des dossiers sur des détails: par exemple, le terme “grave” non stipulé dans le diagnostic ou une en-tête du document incorrecte!

Au final, cette généreuse idée d’accueillir des malades en danger de mort est devenue un jeu de dupes. Celui-ci engendre une suspicion automatique sur toute demande. Il condamne les demandeurs, malades imaginaires et authentiques confondus, à des attentes pouvant atteindre un an pour un simple constat de recevabilité du dossier.

Avant tout, réduire la file

Comment résorber le retard et résoudre durablement le problème sans condamner la procédure? En 2012, une nouvelle loi pensée sous la férule de l’ancien gouvernement fédéral tente de répondre à cette double injonction. Selon trois axes. D’abord, un filtre médical. Une étape a été ajoutée entre la recevabilité du dossier et l’analyse sur le fond : il s’agit d’une visite médicale écartant les cas aberrants de demandes (des demandes pour ongles incarnés avaient été alors évoquées pour justifier la mesure). Ensuite, la possibilité de recevoir un refus technique de l’Office des étrangers, si la personne ne se présente pas à la convocation médicale. Enfin, la certification médicale déposée doit être récente. Le gouvernement entend par récente : “datant de moins de trois mois précédant le dépôt de la demande”. La procédure 9 ter devrait s’en trouver fluidifiée et les demandeurs plus vite informés, ce qui répond à l’une des propositions déposées en mai 2011 par le Forum asile et migration (Fam).

Reste que jusqu’il y a peu, l’Office des étrangers était dramatiquement dépourvu de médecins pour remplir ces missions. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, le service concerné dispose de vingt médecins correspondant à 19,30 équivalents temps plein.

Ces modifications ont pris cours en février 2012. Avec quels premiers effets? Dans une réponse à une question parlementaire, la secrétaire d’Etat avance que “parmi les quelque 11.000 demandes médicales actuellement à l’examen, plus de 8.000 sont actuellement examinées sur le fond (...). Cela signifie que toutes ces personnes ont reçu une décision positive quant à la recevabilité de leur demande (…)”. Soit 3.000 personnes écartées sur la seule recevabilité du dossier. C’est considérable. Mais cela ne signifie pas encore la fin des travaux herculéens pour l’Office des étrangers. Comme le précise dans la même réponse la secrétaire d’Etat : “Environ 809 demandes article 9ter arrivent tous les mois. Un examen approfondi sur le fond s’avère donc indispensable.

Peu d’outils objectifs

L’examen sur le fond, c’est bien là que le bât blesse. Quel que soit le bien fondé des nouvelles mesures adoptées pour encadrer le 9ter, elles ne travaillent que sur le flux des demandes, installant des barrières filtrantes pour réduire le nombre de candidatures. Sur le fond et la qualité du jugement final, beaucoup de questions restent en suspens.

Ainsi, s’il paraît relativement ‘facile’ d’évaluer la gravité d’une maladie, il est beaucoup plus malaisé d’évaluer les soins disponibles dans un pays situé à des milliers de kilomètres de la Belgique, le tout avec des systèmes de santé fluctuant au gré des initiatives privées ou des aides internationales. Il faut, à distance, dissocier les soins accessibles dans les grandes villes et dans les zones rurales. Le fonctionnaire (ou l’association soutenant le migrant) doit également prendre en compte le facteur économique. Même si les soins sont disponibles en suffisance et correctement prodigués sur place, sont-ils accessibles pour toutes les bourses? Comment juger du traitement du cancer du colon dans le Kerala (Inde), de l’accompagnement des séropositifs en Guinée-Bissau?

Au final, la réponse à ces questions est tributaire des recherches internet des uns et des autres, chacun cherchant en fonction de ses objectifs plus ou moins avoués. Autant dire une loterie macabre. Le Fam exige une banque de données médicales indépendante comprenant des informations qualitatives et objectives sur l’accès aux soins dans les pays d’origine. Idéalement au niveau européen. A défaut au niveau belge.

Confrontée à cette attente, Maggie De Block précise que l’Office des étrangers peut bénéficier du centre de documentation Cedoca du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Ce centre regroupe la base de documentation sur les pays d’origine des demandeurs d’asile. Par ailleurs, elle avance le projet européen de banque des données médicales, nommée MedCOI (Medical country of origin information). Quelles sources et informations sont collectées dans cette base de données? Les organisations de soutien aux réfugiés s’interrogent. Problème : cette base de données n’est consultable qu’avec un mot de passe, réservé aux services fédéraux. Sans possibilité de confronter les informations, l’associatif risque d’être échaudé par le procédé et de réfuter les décisions de l’Office des étrangers. Une procédure déterminée, claire et transparente est nécessaire pour permettre à chacun d’accepter les verdicts de l’Etat belge. A défaut d’un docteur neutre dans la salle, ne faudrait-il pas un pilote éthique dans l’avion?

// OLIVIER BAILLY

(1) Les demandes d’autorisation de séjour sur la base médicale s’élevaient à 6.559 en 2010 et à 5.426 en 2008.

>> Plus d’infos

• L’association pour le droit des étrangers • Composée notamment de juristes, l’association pour le droit des étrangers (ADDE) a pour mission la promotion des droits des étrangers au service de la justice sociale : www.adde.be

• Medimmigrant • Cette équipe de trois personnes abat un travail remarquable en offrant un soutien individuel aux personnes malades en séjour illégal ou précaire : www.medimmigrant.be

• Ciré • Cette coordination d’associations est reconnue pour son expertise sur les enjeux des migrations de tous types (demandeurs d'asile, réfugiés, étrangers avec ou sans titre de séjour) : www.cire.be

La guérison, billet pour le retour

Toute personne qui reçoit un permis de séjour sur la base d’un 9ter est confrontée à un dilemme, expliqué par Joëlle Conrotte, psychologue au Méridien : “La protection que donne une régularisation de séjour est moindre qu’un statut de réfugié politique puisqu’elle est liée à la maladie. On se trouve alors devant un paradoxe : si l’état de la personne s’améliore, elle doit retourner dans son pays. De plus, un diagnostic médical peut avoir des effets stigmatisants. C’est surtout vrai pour les ressortissants de cultures dans lesquelles consulter un psychologue équivaut à être fou.

Pascale De Ridder, psychologue au service de santé mentale Ulysse, spécialisé dans l’accompagnement des personnes exilées, précise l’avis de sa consœur: “Sur le plan symbolique, l’impact du 9ter n’est pas à négliger. C’est comme lorsque quelqu’un est reconnu ‘handicapé‘, cela l’identifie comme tel.” Car, si guérir signifie le retour, accepter le 9ter signifie exister avant tout en tant que malade. Et de mentionner l’exemple d’une militante camerounaise, responsable d’un mouvement d’opposition : “En huit ans de travail, je n’ai connu personne qui corresponde mieux au profil de réfugié politique et pourtant, la Belgique lui refuse l’asile”. Son avocat lui a proposé d’introduire un 9ter, mais si elle a traversé des épreuves difficiles, si elle a le dos foutu, parfois le moral en berne, elle n’est pas malade. Elle a décliné la proposition de son avocat. Elle risque dès lors d'être renvoyée dans son pays. Il n'y a pas d'alternatives pour demander un séjour.

// OB


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