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Handicaps (2 juin 2011)

Des témoignages

Ce cerveau qui cafouille

Emmanuel, Danièle, Alain et Annie… souffrent de cérébrolésions (lire les témoignages ci-après). Si l’accident qui les a touchés est de nature différente (accident de la route, accident vasculaire cérébral, chute), il a provoqué des dommages au cerveau chez chacun d’entre eux. Leur handicap est a priori invisible. C’est parfois un long chemin avant de le nommer. Mais des soutiens existent.

© Phanie-Reporters

Des mots qui s’entrechoquent, n’ont plus de sens, des rendez-vous oubliés, des planifications impossibles, la pensée qui a du mal à s’élaborer, des familiers que l’on ne reconnaît plus… ainsi se traduisent, dans le quotidien, les lésions cérébrales. Troubles cognitifs (de la pensée), comportementaux et moteurs, souvent, se mêlent. De mieux en mieux connue et reconnue, cette affection n’a pas toujours bénéficié des dispositifs de prise en charge existants aujourd’hui. Aux côtés du Ressort – centre de réadaptation et service d’accueil de jour spécialisé –, cinq autres services ont été chargés par l’AWIPH d’une mission d’accompagnement des personnes cérébrolésées. Une mission spécifique pour ces services généralistes qui s’adressent à tout adulte quelle que soit la déficience qu’il présente.

Emmanuel, Danièle, Alain et Annie, ont en commun d’être soutenus par l’un de ces services. Pour les uns de manière très ponctuelle, pour les autres chaque semaine. A chaque personne, un soutien particulier. Pour Alain, l’accompagnement a des accents plus pratico-pratiques : informations sur les modalités pour repasser son permis de conduire, recherche de stages professionnels, démarches pour l’acquisition de matériel informatique adapté…

“Elle parvient à concrétiser les choses. Elle me remet sur les rails”, dit Annie parlant de son accompagnatrice. “Je n’envoie pas trop de SOS, mais savoir que je peux le faire me sécurise, me tranquillise”. Car, outre la mise en œuvre de petits trucs afin de ne pas oublier de prendre un médicament, de remplir une carte de chômage ou de conclure un bail…, le soutien d’un service d’accompagnement témoigne d’une certaine intimité. Emmanuel explique ainsi qu’il peut parler de tout avec la jeune femme qui est son accompagnatrice. Quand il se sent dépassé, lorsqu’il sent la colère monter ou qu’il angoisse… Danièle, quant à elle, évoque un soutien relationnel. “C’est une des seules personnes auprès de laquelle je ne suis pas gênée de montrer où j’en suis, de dire que je me perds. C’est une personne neutre par rapport à ma famille, sans préjugés, avec laquelle je peux être vraie”.

Dans ce type d’aide, c’est l’aventure totale, expliquent Isabelle Delacharlerie et Isabelle Glineur, assistantes sociales au service l’Exception. “On se concentre sur les besoins du moment, on démarre avec des choses parfois toutes simples”. Et peu à peu la relation s’établit, s’inscrit dans la durée. Car, dans le long cours, la vie confronte à de nouveaux obstacles – comme les enfants qui grandissent, par exemple – et demande de se réadapter. Ou, plus modestement, il arrive qu’un courrier mal interprété, mal compris fasse basculer un fragile équilibre.

“Un trouble en particulier rend l’accompagnement complexe et délicat (…). Il porte le nom d’anosognosie. Il s’agit de l’absence de prise de conscience ou une prise de conscience amoindrie des répercussions d’un trouble ou d’un déficit sur les activités de la vie quotidienne”, indique-t-on au centre de revalidation Le Ressort(1). En somme, le patient considère ne pas avoir de difficultés. Confronté à la réalité qu’il méconnaît, il est perplexe voire passif. Cet élément a perturbé la prise en charge habituelle des services d’accompagnement. Alors que ceux-ci travaillent d’ordinaire sur la base de la demande, la démarche de soutien sera tout autre avec les personnes cérébrolésés. Le cheminement devra être empreint de patience. D’abord vers la reconnaissance des limites, vers le deuil du moi d’avant l’accident. Puis vers plus d’autonomie. “On est parfois surpris des compétences qui se découvrent. Quelle que soit la durée de notre intervention, croyons en la personne, en ses capacités”, observe Isabelle Glineur. Elle pense à cette jeune femme à la mémoire chancelante, qui a découvert qu’un agenda électronique lui changeait la vie. L’agenda-papier n’avait pas porté ses fruits.  

// Catherine Daloze

(1) Lire dans “Le Ressort à Mazy. Imaginer l’après accident pour une personne traumatisée crânienne” - Cahier 64 – juillet 2006 -  www.labiso.be

 

Adresses utiles


■ Des services d’accompagnement

Autonomie, rue du Douaire, 40 à 6150 Anderlues – 071/54.83.14.

L’échelle, rue Saint-Joseph, 2 à 7700 Mouscron – 056/84.67.04.

L’exception, bld des archers, 58 à 1400 Nivelles – 067/89.36.19.

Itineris, rue Léopold, 3 à 5500 Dinant – 082/22.66.72.

Sésame, 7-9 rue de la Moselle  à 6700 Arlon – 063/21.18.46.

Ces services généraux proches de la Mutualité chrétienne proposent un soutien aux personnes adultes cérébrolésées qui vivent chez elle ou qui aspirent à retrouver leur autonomie. Il est à noter que d'autres services d'accompagnement viennent également en soutien des personnes cérébrolésées.

 

Les services spécialisés

Service d’accompagnement, centre de jour et centre de revalidation spécialisé. Le Ressort, rue Marsannay-la-Côte, 3 à 5032 Mazy-Gembloux – 081/63.40.52.

Service de répit pour les proches de personnes cérébrolésées et aussi centre de jour, service d’accompagnement pour adultes cérébrolésés, centre de ressources… : La Braise, rue de Neerpede, 165 à 1070 Bruxelles – 02/523.04.94.

 

Association de famille

Association de familles et de personnes traumatisées crâniennes ou cérébrolésées : Le Noyau - www.lenoyauasbl.be – 010/43.02.36 (Mr Palate) – 071/45.13.43 (Mme Minet).

 

Témoignages
Emmanuel a rendez-vous avec le neurologue du Centre neurologique William Lennox qu’il a rencontré voici près de dix ans, après un grave accident de voiture. Sorti du coma, puis un séjour de revalidation, “je me croyais guéri”, explique le jeune homme. La réalité le confronte pourtant à des limites. Pour “gérer ses comptes”, pour “accepter les gens” et lui-même, pour “travailler comme avant”… Il y a un long moment qu’il n’est pas revenu au centre en consultation. Sous l’impulsion d’un service d’accompagnement, il tente de surmonter au quotidien “le chamboulement dans sa tête” et de faire le point à intervalles réguliers avec le spécialiste sur sa médication, sur son vécu. Il parle entre autres de la fatigue psychologique qui le tétanise parfois: “Même quand tu as envie de bouger, tu n’y arrives pas”; il dit le difficile trajet, mais aussi la nécessité, de s’accepter tel qu’il est devenu, d’accepter son problème.
“Je ne trouve pas les mots, quand je ne suis pas bien”, explique Danièle qui courageusement replonge dans le passé pour raconter son histoire. En 2006, elle fait une chute dans les escaliers de sa maison. Après seulement trois jours à l’hôpital, elle entend bien retourner travailler. Elle est éducatrice sociale. Là, c’est le choc: elle ne sait plus le nom de certains collègues, elle ne reconnaît plus des choses qui pourtant lui étaient familières. Mais elle s’acharne, veut retravailler. Ce n’est que récemment qu’un médecin spécialiste lui dira “dans les yeux” que jamais plus elle ne pourra exercer ce métier, ni un autre d’ailleurs. “C’est très difficile de s’accepter tel qu’on est”, explique Danièle. En pleurs, elle dit toute la souffrance d’oublier parfois même le nom de son petit-fils. “Comment se dire que c’est normal”, lance-t-elle dans un sanglot. “La mémoire rapprochée, je ne l’ai plus, explique-t-elle en témoignant de ses angoisses quotidiennes, je ne retrouve pas mes affaires. Je ne peux pas bouger les choses de place, sinon je ne les retrouve plus. J’ai besoin que tout soit en ordre”. Pour se rappeler les dates, les numéros de téléphone, les âges de ses proches… elle s’aventure dans des calculs impressionnants, sortes de moyens mnémotechniques bien à elle qui – de l’extérieur – apparaissent si compliqués et semblent lui prendre une énergie folle. Elle explique aussi comme elle se camoufle quand elle sort, comme elle met un masque vis-à-vis de l’extérieur. Une sorte d’armure derrière laquelle elle est toute crispée, angoissée. Une parure si lourde à porter.
Pour Alain, les dates ont beaucoup d’importance.
En expliquant son parcours, il met un point d’honneur à retrouver le jour, l’année de tel ou tel événement. Dans un accident de voiture en 2000, il a perdu connaissance. Au réveil, après six semaines de coma, ses souvenirs vont jusqu’à ses quinze ans, pas plus loin. Il en compte pourtant le double et a eu une vie bien remplie jusque là. Jeune papa, il n’a plus de souvenirs de son fils, ni de son épouse. Dessinateur en construction, il ne se souvient plus de ses années de formation et de travail. Une série d’années envolées, une série de choses apprises oubliées. Après l’hospitalisation, il tentera un retour à la maison tout en fréquentant un centre de revalidation en journée. Mais ça ne se passera pas bien. Commence alors le jeu de chaises musicales, comme il dit. Il connaît tellement “de hauts et de bas”, qu’il lui est arrivé de vouloir mettre fin à ses jours. Aujourd’hui, il “essaye de voir les belles choses de la vie, en regardant les jolies filles, confie-t-il avec un large sourire, surtout en profitant du plaisir qu’offre l’amour de son gamin de dix ans”.
Depuis un deuxième accident vasculaire cérébral, Annie n’est plus la même femme. Chef d’entreprise, responsable de 30 à 35 personnes, elle consacre aujourd’hui la majeure partie de son temps à la poterie. Et ses œuvres témoignent de belles recherches sur les formes, les couleurs, les matières… La terre parfois craquelée de ses sculptures témoigne de ses angoisses, dit-elle. “C’est tout un travail que de se dire : oui, je ne suis plus en capacité intellectuelle de faire ceci ou ça; oui je dois accepter de rester au lit jusqu’à 16 heures par jour pour me reposer. Surtout quand on n’a pas été éduquée comme ça, quand on a appris que seule une forte fièvre pouvait nous y clouer”. Elle explique comment des gestes a priori banals deviennent compliqués. Ainsi, face à l’évier qui menace de déborder, les idées ne sont plus très claires et la solution de fermer le robinet ou de retirer le bouchon ne s’impose pas. Et puis, poursuit-elle, il y a la gêne de se sentir assistée, de faire face aux regards qui souvent amoindrissent. A d’autres dans le même cas, elle voudrait dire que tout n’est pas fini, que l’on peut trouver un chemin même s’il est tout autre que le précédent. “C’est en s’exprimant que l’on devient”, affirme celle qui a maintenant comme livre de chevet un dictionnaire pour réapprendre les mots oubliés, pour veiller à utiliser la juste formulation.

 


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