Handicaps
(16 février 2012)
Aimer et être aimé
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© Caroline Marin |
Aujourd’hui, le “droit des personnes handicapées à
une vie affective et sexuelle” est inscrit dans les grands codes éthiques
internationaux(1). Mais, “aimer et être aimé”, que l’on
soit handicapé ou non, ne peut s’exiger comme un droit que l’on irait
réclamer en justice.
Qui peut assister un homme et une femme, tous deux
infirmes moteurs cérébraux cohabitant dans un foyer pour personnes
handicapées, à partager certains contacts intimes alors que les soignants
refusent ce rôle? Que répondre à une femme handicapée qui rêve de pouvoir
encore sentir la peau nue d’un homme contre la sienne? “Il ne devra rien
me faire… juste se coller contre moi assez longuement, pour que je puisse
bien ressentir son souffle.” Que peut faire la mère d’un jeune homme de
25 ans, plein de vie, mais à l’esprit ténébreux, lorsqu’il présente des
comportements inquiétants, quelquefois violents? Comment apaiser ses besoins
et ses envies physiques? Doit-elle demander une mutilation ou recourir à la
castration chimique? Que penser, que dire et que faire, si ce jeune adulte
rencontre une fille?
Le simple fait de parler ouvertement de questions
jusqu’ici taboues est interpellant, mais tout compte fait, rassurant. Elles
confirment une évolution positive des mentalités à l’égard des personnes
handicapées et, plus précisément, de leur vie affective et sexuelle.
Cela n’est pas seulement une conséquence (tardive) de
l'évolution des mœurs. C’est aussi et surtout la reconnaissance du fait que
la personne handicapée, comme chacun, peut espérer nouer des relations
affectives, entretenir des amitiés, aimer et être aimée. “Ces élans
affectifs, amoureux, sensuels, parfois sexuels sont bien présents et
fréquents (sans vouloir les attribuer à tout le monde), mais ils rencontrent
régulièrement bon nombre de freins conscients et inconscients lorsqu’il
s’agit de les concrétiser, affirme Catherine Agthe, sexologue suisse
lors du récent colloque organisé à Namur par l’AWIPH sur ce délicat sujet(2).
Alors, les barricades se dressent face à la peur des affects
incontrôlables et des passages à l’acte…”.
“Plus que jamais, poursuit Catherine Agthe,
on autorise la personne handicapée à mieux se situer, à s’intégrer
socialement. On parle d’épanouissement, de droit à la différence et
d’autonomie personnelle… mais, s’interroge-t-elle, la respecte-t-on
vraiment dans ses aspirations profondes, surtout lorsqu’elle emprunte des
voies atypiques? Il ne suffit pas d’en parler. Il faut avancer dans
l’accompagnement sexuel.” Encore faut-il, pour accepter cela,
considérer comme légitime un certain plaisir comme une composante
fondamentale de l’humain, en dépit du handicap. Beaucoup pensent encore
qu’une personne handicapée ne peut être désirable et que toute relation
amoureuse est impensable voire dégradante.
Handicap et santé |
L’association “Handicap et santé” a pour but de promouvoir la santé
affective, relationnelle et sexuelle des personnes en situation de handicap.
Elle propose des outils (prêt de livres…), des formations, un espace de
questions/réponses via son site internet : www.haxy.be. |
>> Infos :
Handicap et santé (asbl ARAPH) • Département de Psychologie FUNDP
• 61, rue de Bruxelles à 5000 Namur • 081/72.44.32. (ou 43.93) •
h-s@fundp.ac.be |
Contre le statu quo
“Faut-il ou ne faut-il pas s’immiscer dans la vie
intime des personnes fragilisées par le handicap?” Cette question que
l’on trouve dans le “Rapport Choissy”, du nom d’un parlementaire français de
l’UMP(3) est tout à fait pertinente. Elle renvoie à la
fonction d’accompagnant sexuel (voir l’article ci-dessous). Pour certains,
la réponse est “oui” car il faut “permettre à la personne très
lourdement handicapée de pouvoir accéder à la connaissance de son propre
corps, d’avoir la possibilité de vivre ses passions, ses émotions, ses
besoins et ses envies, de découvrir l’autre avec ‘l’estime de soi’ dans une
approche d’émotions et pourquoi pas d’amour.” Pour d’autres, la réponse
est “non”. Ils voient dans l’accompagnement sexuel une démarche dégradante
qui pourrait s’apparenter à la prostitution “puisqu’il s’agit d’un acte
rémunéré… avec un fort risque de dépendance et d’attachement de la part de
la personne handicapée vis-à-vis de cet accompagnant”. Que l’on soit
pour ou contre la création de services d’accompagnement sexuel, les
arguments qui s’opposent le sont tous au nom du respect de la dignité de la
personne handicapée!
Mais les pratiques du passé ne plaident pas pour le statu
quo. Pour protéger la personne handicapée des abus sexuels, des grossesses
non désirées, des maladies sexuellement transmissibles, de la violence... on
ne parlait pas de sexualité. Pour ne pas éveiller le désir. Les problèmes,
car il y en avait malgré tout, étaient alors réglés dans le secret des
familles ou des institutions. Les personnes handicapées, mal informées sur
leur vie sexuelle, devaient vivre sous surveillance permanente ou sous
camisole chimique. Les possibilités de rencontre étaient limitées. Il y
avait dans les établissements beaucoup de tyrannie au nom de la sécurité. On
pensait alors que le problème se résumait à trouver le moyen de “calmer” les
demandes sexuelles, surtout masculines, les demandes féminines étant plutôt
considérées comme un besoin de sensualité.
La sexualité, le désir et le plaisir étaient, et sont
encore, fréquemment perçus comme source de désordre social. “N’oublions
pas cependant, écrit le psychosociologue français Jean René Loubat,
que la sexualité remplit également une fonction sociale…, qu’elle sert à
communiquer, à établir des relations, à signifier un pouvoir, une image,
qu’elle s’inscrit dans toute la complexité du jeu social…”
Contraintes et libertés
En introduisant ce colloque de l’AWIPH, Jean- Michel
Longneaux, philosophe aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix,
affirme qu’il ne faudrait pas penser qu’au nom de la liberté et du droit à
l’épanouissement, “tout devient possible”. Il attire l’attention: “ce
qui en jeu, ce n’est pas tant la liberté que les limites que rencontreront
inévitablement les personnes handicapées. Le droit sera vite confronté à des
contraintes : la contrainte de la pudeur, la place des autres dans
l’épanouissement sexuel (la famille, les aidants, les soignants…), les
questions de santé, les limites physiques ou mentales…” En effet la
raison n’est pas le trait dominant des relations affectives et sexuelles… “Le
problème sera moins celui d’exercer librement ses choix (vivre avec qui,
comment vivre sa sexualité…) que de gérer les contraintes qui s’imposeront
et pourraient produire une grande déception, voire une vraie souffrance,
celle de ne pas pouvoir aimer et être aimé. Il n’y a pas de liberté
souveraine.”
Jean-Michel Longneaux met en garde contre un excès
d’illusions: “Tout ce qu’on pourra mettre en place comme techniques pour
permettre la rencontre et le plaisir ne suffira pas à donner l’essentiel
recherché par les personnes handicapées: aimer et être aimé, car cela ne se
commande pas. Cela ne se revendique pas. Cela ne s’achète pas. C’est
gratuit. C’est une chance, c’est une grâce qui nous tombe dessus par
surprise”. Si cette occasion ne se présente pas, “ce sera bien sûr
une grande souffrance. Et, il ne restera qu’à s’accepter tel qu’on est pour
se réconcilier avec ce qu’on est”.
Ne faut-il pas pour autant réclamer que soient levés les
obstacles qui empêchent les personnes handicapées, physiques et mentales, de
mener leur vie affective et sexuelle comme elles le souhaitent, dans la
mesure du possible?
// CHRISTIAN VAN ROMPAEY
(1) Convention des Nations unies de 2006
relative aux droits des personnes handicapées.
(2)
“Plaisir de choisir. Quels choix possibles dans la vie affective et sexuelle
des personnes handicapées?”. Colloque organisé les 2 et 3 février 2012 -
www.awiph.be
(3)
“Evaluation des mentalités et changement de regard de la société sur les
personnes handicapées”.
Qu’entend-on par “accompagnement sexuel” ?
Le concept d’accompagnement sexuel est né dans les pays de
cultures anglo-germaniques. C’est fournir une assistance aux couples trop
handicapés pour se rapprocher sexuellement par eux-mêmes. C’est aussi, dans
certains cas, soulager par la masturbation une personne seule, trop
handicapée pour toucher son corps, ou handicapée mentale, pour laquelle
cette incapacité provoque beaucoup de souffrances et parfois des violences à
l’égard de son propre corps. En Belgique, il n’y a pas de règles établies.
La réflexion est en cours au sein de l’Awiph, sur l’opportunité de créer ou
soutenir des services d’accompagnement sexuel. Ce sont parfois des demandes
complexes, des amours en recherche, chacun vivant une histoire très
personnelle. C’est une demande d’amitié, de sensualité, d’érotisme et plus
encore.
“Cette relation, explique Catherine Aghte présidente du
SEHP (Sexualité et Handicaps Pluriels, association suisse), suppose une
certaine empathie, de la compréhension et de la confiance, mais ce n’est pas
de la séduction.” Etre accompagnant sexuel suppose une formation, un suivi,
une évaluation. La personne est choisie selon des critères sévères,
notamment un bon équilibre psychologique. L’accompagnant a une vie de
famille, des enfants. L’essentiel de son activité repose sur l’écoute, les
massages et les caresses. L’accompagnant est sous contrat qui ne donne lieu
qu’à une faible rémunération. Ce n’est pas un boulot à temps plein.
Autrement dit, on ne peut en vivre sans avoir un autre travail.
L’accompagnement sexuel n’est pas une thérapie mais une
volonté de répondre à une souffrance qui peut être immense et destructrice.
Bien sûr, l’accompagnement sexuel n’est qu’une proposition parmi d’autres.
Aucune institution ne peut obliger une personne d’y avoir recours. Rien ne
peut être imposé en ce domaine! Et puis, il y a bien des façons d’exprimer
sa tendresse, autrement que par l’activité sexuelle!
// CVR
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