Familles
(20 novembre 2008)
Quelle
place pour l’enfant
dans la famille recomposée?
De
plus en plus d’enfants sont confrontés à la séparation de leurs parents et à
la reconstruction de nouvelles cellules familiales, les obligeant à
réorganiser leur temps et leur espace de vie. Comment trouvent-ils leur
place dans ces familles “mosaïques”? A quoi les parents doivent-ils être
attentifs pour maintenir le lien sécurisant avec leurs enfants? Des
questions parmi d’autres, posées par la Fondation Roi Baudouin lors d’un
récent colloque.
Dans les familles recomposées,
certaines places sont plus ambiguës que d’autres.
En
Belgique, entre 8 et 10% des moins de 25 ans vivent dans une famille
recomposée. Une estimation basée sur les données du registre national mais
sans doute encore deçà de la réalité, comme le fait remarquer Johan Surkyn,
démographe à la VUB. En effet, les statistiques officielles ne disent rien
de la mouvance des recompositions familiales ni des doubles ménages entre
lesquels vivent alternativement de nombreux enfants, ni encore des
domiciliations fictives d’hommes en dehors de leur nouveau ménage, pour
éviter la perte ou la diminution de droits sociaux (allocation de chômage,
logement social…).
Des liens à sauvegarder
L’enfant dont les
parents sont séparés n’a plus une maison unique mais sa vie s’organise
désormais entre deux lieux qui peuvent être deux foyers monoparentaux, deux
foyers recomposés ou l’un et l’autre. Quelle place pourra-t-il y trouver?
Quel espace à lui pourra-t-il conserver? Comment les liens seront-ils
maintenus entre lui, ses parents et ses frères et sœurs? Et quels liens
nouera-t-il avec ses familles collatérales? Ces questions sont centrales
dans le vécu de l’enfant. “Dans le contexte des familles qui se font et
se défont au gré des vécus émotionnels des adultes, avec des enfants de plus
en plus jeunes, il faut être extrêmement attentif au respect des liens que
l’enfant a tissé, tisse et va tisser car la manière dont le lien pourra être
intériorisé par l’enfant est cruciale pour sa solidité psychique”,
plaide Diane Drory, psychologue, qui observe que depuis que la garde
alternée est devenu un mode prioritaire de garde, l’enfant parle davantage
de “chez papa” ou “chez maman” que de son “chez moi…” car il n’a plus
véritablement de “chez soi”.
Au début de la
séparation de ses parents, l’enfant est bouleversé dans ses repères
habituels. Il doit tout d’abord accepter de ne plus avoir ses deux parents
réunis sous le même toit. C’est le temps de la révolte, des disputes, de la
mise à mal de l’image de l’autre parent, du sentiment d’insécurité ou des
angoisses d’abandon aussi, l’enfant n’arrivant pas à différencier l’amour
que les adultes peuvent se porter entre eux (et qui n’est pas éternel
puisque ses parents se séparent) et celui qui le lie à ses parents (qui
pourrait donc aussi être rompu, s’inquiète l’enfant, malgré leurs promesses
d’amour éternel à son égard).
Dans un second temps,
venant parfois bien trop rapidement et ne laissant pas le temps à l’enfant
d’assumer le deuil du couple parental, il arrive que les parents forment de
nouvelles familles. Ce temps de la recomposition donne l’occasion à l’enfant
d’investir et de tisser des liens avec de nouvelles personnes ressources.
“On accorde trop peu d’attention quant à la manière dont un enfant peut se
‘re-nouer’ à la nouvelle situation, observe Diane Drory. Lorsque tout se
passe avec une certaine intelligence émotionnelle, en respectant les liens
privilégiés de parenté, en ne forçant pas les attachements, une famille
recomposée peut être un cadeau pour un enfant. Il y a tant de ressources
dans les fratries recomposées. Des connivences, des partages, des liens
profonds entre les enfants qui se considèrent comme frères et sœurs…”.
Mais si l’enfant est
systématiquement critiqué par le nouveau conjoint ou qu’il a le sentiment de
ne pas être aimé ni même d’exister, il risque de perdre ses repères, voire
le goût de la vie. “Les adultes croient que d’emblée l’enfant retrouve
une harmonie de vie si chaque parent refonde une cellule familiale,
précise Diane Drory. C’est loin d’être évident car l’enfant garde
longtemps l’espoir que ses parents se remettront ensemble”.
Selon Diane Drory, trop
souvent, la souffrance ou la rancœur des parents les empêchent de rendre à
l’enfant son histoire et celle d’un couple qui a voulu concrétiser son amour
par la conception d’un enfant. Certains grandissent ainsi sans photos, sans
anecdotes, sans comparaison positive possible. “L’important pour un
enfant partagé entre deux foyers, est de pouvoir faire un lien entre le
commencement de son existence et le jour d’aujourd’hui. Lorsque ce fondement
de son existence manque, il devient psychologiquement plus fragile et plus
vulnérable”.
De la substitution à la coparentalité |
Le
phénomène des familles recomposées est en croissance et, s’il a de
tout temps existé, il a bien changé. En effet, depuis les années
60-70, ce n’est plus le veuvage mais le divorce qui est à l’origine
de la grande majorité des recompositions familiales, ce qui signifie
que les deux parents sont toujours en vie. Cependant, les familles
recomposées d’aujourd’hui ne sont plus celles d’il y a 30 ans, comme
l’explique Jacques Marquet, sociologue à l’UCL. A cette époque, la
majorité des recompositions s’opéraient dans une logique de
substitution, c’est-à-dire que le nouveau partenaire prenait pour
ainsi dire la place de l’ancien qui s’effaçait ou était écarté. Les
enfants étaient d’ailleurs confiés à la garde exclusive de leur
mère. En 1995, la loi sur l’autorité parentale conjointe a consacré
un nouveau modèle qui tend à faire survivre la parentalité à la
conjugalité. Désormais, tout est mis en place pour que chaque parent
continue à exercer l’ensemble de ses responsabilités à l’égard de
l’enfant malgré la dissolution de son couple. Un exercice
susceptible de connaître l’alternance dans l’espace et dans le
temps.
La coparentalité
en matière d’hébergement (loi de 2006) va également dans ce sens
puisque les juges sont tenus de justifier leur décision lorsqu’ils
ne prononcent pas une garde partagée équitable. Cette nouvelle
législation est encore trop récente pour qu’on puisse en analyser
les conséquences mais il sera intéressant de voir comment les
enfants construiront leur identité dans cette culture du nomadisme
organisé. |
Une place à trouver
Dans les familles
recomposées, certaines places sont plus ambiguës que d’autres. Tel l’enfant
issu d’une première union, qui déménage régulièrement d’une famille
recomposée à l’autre, ses parents ayant conçu d’autres enfants qui eux,
habitent toute l’année avec leurs parents réunis. Cet enfant-là se sent
terriblement seul et a plus de mal à trouver du sens à son existence,
celle-ci lui paraissant être le fruit du hasard. Un autre “seul de son
espèce” sera le seul enfant conçu au sein d’un couple recomposé avec des
“demi-frères” et “demi-sœurs” tant du côté paternel que maternel. La
situation s’alourdit encore lorsque les enfants issus des mariages
précédents sont perçus comme les traces actives et mauvaises du premier
couple…
“Le traumatisme
s’aggrave vraiment lorsque les enfants se retrouvent à nouveau séparé de
personnes avec lesquelles ils ont tissé des liens de confiance profonds”,
analyse encore Diane Drory. “Dans ce cas, on pourrait se questionner
quant à la capacité qu’a un enfant de continuer à avoir confiance dans la
valeur du lien alors qu’il vit et subit de régulières ruptures de liens. Ces
enfants se retrouvent régulièrement confrontés à l’angoisse et à la douleur
du risque d’inexistence, dans une certaine indifférence de la part des
adultes. Avec le risque de les voir, devenus adolescents, errer sur la toile
du net, zapper leurs amitiés et violenter leurs amours”. Dans sa
pratique thérapeutique, Diane Drory observe d’ailleurs des signes
d’instabilité chez beaucoup d’enfants qu’une séparation ou une recomposition
familiale perturbe. “Cet enfant qui bouge sans cesse, ne sait pas se
concentrer, se désintéresse de tout, que nous dit-il du lien à l’autre? Ou
de la relation à son propre corps? Autrement dit, l’enfant est dans l’acte
et non plus dans la parole, une parole qui puisse faire sens pour l’aider à
penser ce qui pour lui est fondamentalement impensable, à savoir la
séparation de ses parents…”, assure-t-elle. Et de conclure en appelant
les professionnels de tous horizons, à réfléchir à la manière d’aider
l’enfant à se sentir durablement relié aux adultes dont il est né et à ceux
qui ont joué un rôle essentiel dans sa structuration et son identification.
Les parents, également souvent en souffrance, doivent pouvoir aussi être
aidés pour questionner leur vécu familial et personnel et pour agir en
veillant au bien-être de leurs enfants. Un bien-être qui ne se résume pas à
la dimension matérielle, loin sans faut… L’enfant a besoin d’un espace
d’intimité rien qu’à lui et de moments de complicité, seul avec son parent.
Il est important aussi de permettre à l’enfant de vivre ses plaisirs, ses
amitiés, ses activités et ses projets en respectant son rythme, en étant à
son écoute et en mettant des mots sur ce que chacun vit et ressent.
Un colloque, un document |
Entre
l’image d’Epinal de la grande tribu joyeuse que véhicule la
publicité (pour les voitures familiales notamment), et celle
d’enfants à multiples problèmes, meurtris par les conflits, dont
témoignent les intervenants sociaux, la réalité des familles
recomposées se trouve certainement entre ces deux extrêmes.
Lors d’un récent
colloque, la Fondation Roi Baudouin s’est penchée sur ces familles
pour mieux comprendre ce qui s’y joue, en accordant une attention
particulière aux difficultés et au bien-être des enfants et des
jeunes qui y vivent au moins à temps partiel. Pour préparer ce
colloque, la Fondation a entendu de nombreux experts (juristes,
sociologues, psychologues, travailleurs sociaux, anthropologues…) et
s’est mise à l’écoute des enfants eux-mêmes. Tout ce travail a été
rassemblé dans un document très intéressant qui présente aussi des
pistes de réflexions et d’actions concrètes pour améliorer
l’existence de l’enfant dans une famille recomposée.
“L’enfant dans la famille recomposée”
- Virginie De
Potter – Fondation Roi Baudouin – Novembre 2008 – Cette publication
est disponible gratuitement auprès de la FRB. Tél.: 070-23.37.28.
Elle peut aussi être téléchargée sur le site
www.kbs-frb.be |
Joëlle
Delvaux
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