Familles
(5 octobre 2006)
Quand des ados
maltraitent leurs parents!
“Des nourrissons géants”: c’est ainsi qu’on pourrait appeler ces adolescents
qui ont du mal à devenir adultes parce qu’ils sont entourés d’une mère
entièrement à leur service et d’un père qui n'a pas réellement investi son
rôle d'autorité. Des ados qui deviennent de jeunes tyrans domestiques dans
leur famille désemparée où nous rencontrons parfois des parents battus…
"Des
nourrissons géants”: l’expression est forte. On la doit à Boris Cyrulnik,
neuropsychiatre et éthologue français bien connu pour les ouvrages qu’il a
rédigés sur les thèmes de l’attachement et de la résilience (1).
Les nourrissons géants sont issus de parents vulnérables, trop attachés à
leurs enfants. Dans ces familles, l’“hyper-mère” gère tout, s’occupe de
tout, éduque son enfant comme un trophée alors que l’“hypo-père” est mis de
côté et accepte implicitement d’occuper un rôle périphérique au sein de sa
famille. Ce n'est pas qu'il soit indifférent au vécu de son fils (ou de sa
fille) mais il fait preuve d'un très faible engagement émotionnel.
L’enfant se
développe dans ce champ sensoriel où il apprend à devenir un petit tyran qui
exige de ses parents qu’ils soient entièrement dévolus à la satisfaction
immédiate de ses besoins. On ne peut même pas parler de désirs : pour qu’il
y ait désir, il faut faire l’expérience d’un minimum de manque, de façon à
ce qu’on puisse rêver, aspirer, fantasmer… Mais quand on est un nourrisson
géant perfusé par des parents consacrés à ses besoins, le désir n’a pas le
temps de naître.
De l’enfant roi
idolâtré par ses parents à l’enfant despote qui fait la loi, il n’y a qu’un
pas. C’est ainsi qu’on assiste actuellement à la naissance d’un phénomène
encore peu décrit: la maltraitance de parents par leur adolescent(e). Quand
le milieu social de ces ados n'a pas suffisamment développé l'apprentissage
des inhibitions, de l'altruisme, de la réciprocité et du respect, leur monde
mental devient celui où manger, dormir, jouir, frapper et hurler sont les
comportements de base.
Surtout dans les milieux favorisés
Boris Cyrulnik a
décrit et étudié ces adolescents et leurs parents battus. On les retrouve
dans toutes les couches de la population. Mais les parents maltraités sont
plus âgés que la moyenne, ont un niveau intellectuel et social plutôt élevé,
voire même très favorisé (2). Dans beaucoup de cas, il
s’agit de mères qui s’occupent seules de leur ado ou de familles à
mono-attachement, c’est-à-dire des familles fermées sur elles-mêmes (à
l’inverse des familles où l’enfant peut se construire en interaction avec
une constellation de relations différentes et ressourçantes).
Le jeune grandit
dans une ambiance de capture affective avec une énorme difficulté à échapper
au modèle imposé par sa mère pour laquelle il représente le seul horizon.
Quant au père, il est mal présent, soit parce qu’il ne prend pas sa place,
soit parce que son épouse le disqualifie, soit parce que la société, son
boulot ou son aventure l’envoient ailleurs.
Lorsque ces
enfants arrivent à l’adolescence, faute d’avoir appris les rituels pour
aller à la rencontre des autres, ils restent anxieux du social. En l’absence
d’un père qui assure le rôle de tiers séparateur pour pouvoir se dégager de
ce cocon affectif mielleux jusqu’à saturation, ils ont recours à
l’agressivité. La violence agit comme une valve de sécurité protégeant de la
représentation d’être finalement englouti dans ce climat incestuel (et non
incestueux où il y a passage à l’acte sexualisé).
Cet enfermement
familial est renforcé par notre culture privilégiant la course aux plaisirs
immédiats, mettant en avant l'individu, tout en oubliant les structures
conviviales et solidaires. Aujourd’hui, on assiste à une certaine
dislocation des structures qui ont une fonction séparatrice de l’enfant par
rapport à sa famille : les groupes de copains partageant des activités
communes, les bandes dans les villages et quartiers qui profitaient du
moindre espace pour jouer au foot, les mouvements de jeunesse, les troupes
de théâtre… Parallèlement, se développent des modes de loisirs autocentrés
chez les jeunes tels que les consoles de jeux, la télévision ou encore
l’internet. La défaillance psychosociale n’est pas étrangère à la violence
que des jeunes retournent contre leurs parents. En une seule génération,
tout est en train de basculer.
Les effets de l’éducation
Les nourrissons
géants sont bien souvent nés de parents qui ont souffert d’une éducation
très austère et ont décidé de s’inscrire en faux par rapport à ce modèle.
Ils substituent alors aux carences d’expressions affectives une surabondance
de satisfactions immédiates et adoptent des méthodes éducatives davantage
basées sur la recherche de consensus et du consentement de l’enfant. Ce mode
de pensée linéaire provoque un renversement de la logique :
“Si on donne
tout aux enfants, on évitera les avatars des déserts affectifs”.
Par ailleurs, pour
maintenir ou augmenter un niveau de vie confortable, les parents travaillent
généralement tous les deux à l’extérieur. Mais pour les mères, ce choix
s’accompagne bien souvent d’un sentiment de culpabilité par rapport à leurs
enfants. Il est alors tentant pour les parents de chercher à compenser leurs
absences par toutes sortes de substituts matériels que nous propose
d’ailleurs avec force notre société de consommation. Mais les parents
s’illusionnent sur la fonction d’ersatz que représente un frigo bien rempli,
une salle de jeux bien achalandée ou un téléviseur installé dans la chambre
de l’ado. D’autant que derrière la demande d’un bien matériel se dissimule
souvent l’espoir de recevoir davantage de présence et de manifestations
d’amour et d’attention de la part des adultes.
Mais l’observation
sociologique du fonctionnement de la famille nucléaire, ici et maintenant,
est insuffisante pour comprendre le phénomène de l’agressivité de
l’adolescent(e) envers ses parents. Car comment comprendre qu’au sein d’une
même famille, un tel réagisse de manière violente et pas son frère ou sa
sœur? C’est en s’interrogeant avec les parents et éventuellement les grands
parents sur les relations au sein de la famille sur un minimum de trois
générations que l’on peut formuler des hypothèses quant au sens du
comportement des uns et des autres. Et ce n’est qu’en interrogeant les
relations que les parents ont eues avec leurs propres parents qu’on peut les
aider à comprendre et humaniser leurs comportements actuels qui les laissent
insatisfaits d’eux-mêmes et plongent leurs enfants dans l’absence de cadre
contenant et sécurisant: Pourquoi la maman conserve-t-elle une telle faille
dans son estime personnelle? De qui a-t-elle le plus manqué de
reconnaissance pour afficher si peu de confiance en elle? Dans quelle mesure
sa conviction d’être une mère méprisable n’alimente-t-elle pas les critiques
et la violence de son enfant?...
Se faire aider
Quand les parents
sont victimes de la violence de leur ado, ils peuvent se rejeter
mutuellement la responsabilité et éprouver de grosses difficultés à
solliciter de l’aide à l’extérieur, car généralement ils ont honte de ce qui
se passe chez eux et craignent de déchaîner la rage de leur propre enfant en
le dénonçant aux autorités judiciaires.
Les écoutants de
télé-accueils peuvent témoigner des nombreux appels téléphoniques de parents
en détresse demandant conseil parce qu’ils ne veulent pas aller au
commissariat se plaindre de leurs adolescents. Ces parents disent ne pas
comprendre pourquoi leur fils (ou leur fille) est apprécié à l’extérieur et
si irrespectueux à la maison.
Pour comprendre et
se ressaisir, les parents ne doivent pas hésiter à demander une aide
extérieure. Il est important qu’ils puissent consulter un psychologue qui
les aidera à réfléchir aux causes possibles de la faillite partielle de leur
parentalité, les éclairera en leur proposant des hypothèses sur les
enchaînements douloureux des étapes de leur vie et les guidera dans la
reprise de contrôle de la situation…
Claude Seron
(1)
Parler d'amour au bord du gouffre - Boris Cyrulnik - Odile Jacob - 2004 -
21,90 EUR
(2)
D’après Boris Cyrulnik, les professions les plus représentées sont les
juristes, les psychologues et les médecins.
“Au secours, on veut m'aider!”
|
Claude Seron,
psychopédagogue au Centre liégeois d’intervention familiale et à
l’asbl “Parole d’Enfants” est l’auteur de
“Au secours, on veut m'aider!”,
un ouvrage qui traite de l'aide aux adolescents en rupture, en
détresse.
Dans notre
édition du 1er juin 2006, nous avons donné la parole à
Claude Seron sur la problématique des enfants abandonniques, qui fait
l’objet du premier chapitre de son livre (tome1). “La révolte des
nourrissons géants” et les différentes étapes de l’accompagnement des
parents en détresse font l’objet du deuxième chapitre.
“Au
secours, on veut m'aider!”
Venir en aide aux adolescents en révolte,
en rupture, en détresse… Éd. Fabert - 2006.
• Tome 1
rédigé par Claude Seron.
• Tome 2
: documents du Congrès organisé par
"Parole d'Enfants" (Paris 2003). Prix En Marche : 22,50 EUR le tome.
Ces
ouvrages peuvent être commandés par écrit au service librairie de En
Marche. Frais de port en sus.
|
Quelles maltraitances?
|
Les situations
les plus fréquentes pour lesquelles l’asbl Paroles d’enfants
(1) a été mandatée par une autorité judiciaire (le
juge de la jeunesse ou le SPJ) ou une autorité administrative (le SAJ)
parce que des jeunes maltraitaient leurs parents sont les suivantes :
■
Des adolescents sous l’emprise de drogues dures harcèlent leurs
parents, y compris en les molestant pour obtenir l’argent nécessaire à
s’acheter leur dose de produits quotidiens.
■
A la suite d’un divorce difficile, l’adolescent confident du parent “
trompé et perdant” devient son bras armé et agresse l’autre parent.
■
Un enfant très investi par un de ses deux parents se sent abandonné
par lui à la suite d’un événement provoquant des revirements affectifs
: une naissance, un divorce suivi d’une recomposition familiale. Cela
déclenche une explosion de violence chez l’adolescent qui éprouve le
sentiment d’avoir été instrumenté, abandonné ou trahi.
■
Une mère se sentant très coupable d’avoir choisi un conjoint incapable
de se comporter en père responsable cherche à pallier l’absence
paternelle par de nombreuses compensations matérielles. En
grandissant, l’adolescent devient de plus en plus exigeant, la mère
tente de freiner les dépenses ou de limiter son asservissement, ce que
le jeune n’accepte pas. Cela donne lieu à un enchaînement de
comportements violents.
(1) Parole d’Enfants asbl - 7c, boulevard d’Avroy - 4000 Liège.
Tél. : 04/ 223.10.99. info@parole.be -
www.parole.be
|
|