| L'enfance pas à
pas
(19décembre 2002)
Les livres, l’affaire des bébés aussi!
Pour quelles raisons lire et raconter des histoires à son bébé, lui qui n’a pas encore acquis la parole? Les réponses ne pourraient se compter sur les doigts d’une main, elles sont vraiment trop nombreuses…
Un livre s’ouvre. L’un après l’autre, les premiers mots s’envolent. “C’est l’histoire de…” Soudain, le temps s’arrête… et un autre temps s’installe. Votre bébé et vous entrez dans une nouvelle dimension, celle de la poésie et du merveilleux. Vos paroles ne sont plus celles de tous les jours (“Je te donne le bain”, “Attends un tout petit peu, tu vas recevoir ton biberon”…). Votre intonation a changé. Rien à voir avec le temps vécu au quotidien, le temps du raconté… Et puis, il y a le temps de l’histoire à proprement parler, avec son début, son milieu et sa fin. Votre enfant rencontre la langue du récit.
Le livre “triangule” la relation: vous êtes trois (votre bébé, le livre et vous), tout en étant à deux. Votre petit et vous pénétrez dans un espace à part. Vous vous y rejoignez. Vous en avez tous deux conscience. Cet espace est celui du jeu, de la créativité et de la liberté. “Un espace potentiel”, dit D.W. Winnicott (1), qui se situe entre la réalité psychique intérieure et le monde réel. Cette aire de jeu et d’expérience va devenir pour votre bébé (comme elle l’est pour vous) un espace de détente et de liberté où il pourra prendre distance par rapport au connu et au quotidien, et où il pourra se réfugier et se décharger de ses tensions lorsque la réalité sera perçue comme trop pénible.
Des “caresses”
aux oreilles et aux yeux
Le livre s’ouvre. Vous êtes tout à votre bébé. Proche de lui. Il le sent. Instants gratuits où vous êtes, tout simplement. Aucune intention pédagogique de votre part! Il ne s’agit pas de faire de votre enfant un lecteur précoce. Il est ici question de vivre le bonheur d’être en relation. Il est question de plaisir partagé, de complicité…
Les pages du livre se tournent, et voilà votre bébé sensible à l’émotion et au rythme de votre voix, à la musicalité des mots que vous employez, aux couleurs ou au dépouillement des illustrations que vous lui montrez. Sons et images sont comme des “caresses” (2) à ses oreilles et à ses yeux. Comme avec les comptines, les berceuses et les jeux de doigts (“la petite bête qui monte, qui monte, qui monte…”), il goûte ici au plaisir des mots et à l’aspect ludique de la langue…
Des histoires,
son histoire...
L’histoire contée parle peut-être à votre enfant parce que c’est son histoire. Elle lui permet de revivre ce qu’il a vécu. Elle l’aide à prendre le large. Répétée inlassablement, elle le sécurise. En se la reracontant, il peut rejouer à volonté ses séparations et ses retrouvailles avec vous. Le livre est devenu espace de transition.
À l’heure du coucher, au bord du lit, vous vous en rendrez vite compte.
Lire est une activité culturelle. Raconter des histoires, c’est aussi transmettre sa culture, offrir son patrimoine d’enfance. Vous inscrivez votre bébé dans une généalogie. Vous lui permettez de trouver une place dans l’histoire de sa famille, de trouver sa place. Dans le même élan, vous lui témoignez que l’histoire de toute personne est importante. La sienne également donc. Vous lui montrez le sens profond de la vie.
Objets amis
Le livre est un objet de communication. Il représente la relation, il la symbolise. Il est relation. Le livre est un objet. Le bébé a besoin de prendre physiquement contact avec lui, en le triturant, en le portant à la bouche, en le humant… Il découvre son format, son volume, son poids, son odeur, sa matière, ses bruits… Il l’explore dans tous les sens. Il lui donne de la patine. Il se familiarise avec lui. Il en fait un objet ami.
À l’heure actuelle, il existe des livres par milliers. De qualités et de valeurs diverses. De styles et d’ambiances multiples. Un livre n’est pas l’autre. Pour votre petit déjà qui y entrera à sa manière et à son rythme… Allez avec lui dans une bibliothèque et laissez-le choisir ses propres coups de cœur: vous en ferez l’expérience !
Martine Gayda
Cet article est issu d’un rencontre avec Michèle Lateur, responsable du Prix Bernard Versele et collaboratrice à
l’asbl ALiSe (Association Lire et S’exprimer).
Extrait du Journal de votre enfant n°9, une publication de La
Ligue des familles.
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(1) In Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Éd. Gallimard, 1975.
(2) Selon l’expression de Marie Bonnafé, pédopsychiatre, secrétaire générale de l’association ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations), à Paris.
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