Famille
(15 novembre 2012)
Ado et déjà maman
Quelques chiffres
qui parlent… |
En Belgique, elles
sont trois pour mille à mener une grossesse adolescente (avant 18 ans). Une
moyenne très basse comparée aux autres pays industrialisés: les Etats-Unis
battent tous les records avec plus de cinquante pour mille(1).
En Europe, le champion est le Royaume-Uni avec un ratio quasi neuf fois plus
élevé que chez nous.
Certaines données
socio-économiques ne sont pas à négliger. Le Hainaut, une des provinces les
plus paupérisées du Royaume, est le plus touché par le phénomène. Autre
constat : “A Bruxelles, un grand nombre de grossesses précoces concernent
des filles étrangères, surtout venues d’Afrique subsaharienne, insiste Sonia
de Crane. Dans ces pays, le poids de la culture influence la maternité. Les
filles obtiennent un statut lorsqu’elles deviennent mères. Et la
contraception y est moins bien perçue.”
Le contexte
familial joue aussi. Ce que constate l’asbl Axado: “Il existe un ‘passage transgénérationnel’ dans les grossesses : souvent, la maman de la jeune
fille enceinte était elle-même une mère ado.”
(1) Les
Etats-Unis présentent un taux d’avortement très faible par rapport à
d’autres pays industrialisés. |
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© Philippe Turpin/Belpress |
A peine
sorties de l’enfance, certaines jeunes filles sont propulsées dans une vie
d’adulte. Elles “tombent enceintes par accident” ou parce qu’elles le
désirent vraiment. Ainsi, leur vie change en quelques mois : de
l’insouciance de l’enfance, elles passent aux responsabilités de parents.
Pas facile de gérer une vie d’adolescente avec un bébé; pourtant, certaines
y parviennent.
“Aurélie n’a que 16 ans et elle attend un
enfant (…) Elle dit qu’elle se sent prête pour
qu’on l’appelle ‘maman’…”(1) La chanson dont sont extraites ces
paroles a remporté un certain succès auprès des jeunes. Comme la série de
téléréalité diffusée sur MTV, 16 ans et enceinte, ou son pendant
français diffusé sur M6, toutes deux bourrées d’émotions, qui suivent
pendant six ou sept mois des ados américaines qui attendent un enfant. “Je
n’ai que 14 ans. Malgré mon jeune âge, j’ai déjà envie d’être maman. Je
m’occupe énormément de mon petit frère et les émissions télés n’arrangent
rien…”,
confie Aurelia sur un forum internet. Elle cherche le soutien de gamines
qui, comme elle, désirent devenir mères.
Enceinte,
un choix ?
Question de
mimétisme ou d’effet de groupe? Influence de la télévision ou de la vie des
stars, comme Jamie Lynn Spears, la petite sœur de la chanteuse américaine?
Réel choix, “accident” ou acte manqué ? Pour ces jeunes filles parfois juste
pubères, les motivations à mener une grossesse à terme sont variées. Tandis
que certaines désirent un bébé au plus profond de leur être, d’autres
“doivent” faire face à une grossesse qui n’était pas programmée. Et le
recours à l’avortement ou la mise à l’adoption ne s’envisage pas, pour
elles, pour une question de délais dépassés ou de philosophie. “Dans mon
travail avec des adolescentes, j’ai rencontré des filles qui avaient fait le
choix de devenir mères, explique Sonia de Crane de l’asbl Axado(2).
La situation est particulière à chaque fois. Il ne faut pas toujours
dramatiser. Certaines ados sont de très bonnes mamans.”
Entre désir de
grossesse et désir d’enfant, les jeunes filles s’y perdent parfois un peu. “Souhaiter
avoir un bébé, c’est, pour certaines, obtenir un nouveau statut,
continue Sonia de Crane, avoir un projet de ‘couple’, s’affranchir de
ses parents, sortir d’une enfance parfois difficile ou tout simplement se
sentir exister. On peut voir cela aussi comme un appel à l’aide de
l’adolescente qui n’a pas eu une bonne relation avec sa propre mère, qui n’a
pas de modèle d’identification féminine… Le bébé sert alors à la maman. Une
fusion s’opère entre lui et elle. Ou encore ce désir d’enfant comble un
manque au niveau affectif.”
Adolescence, période chahutée
Le désir de
grossesse, quant à lui, peut refléter le besoin de vérifier le bon
fonctionnement de son corps. Il peut aussi traduire un comportement
caractéristique de l’adolescence : celui des conduites à risques. Les
adolescentes qui n’acceptent pas la transformation de leur corps, qui
appréhendent mal leur vie sexuelle ou qui grandissent dans une famille où la
sexualité est taboue ont tendance à culpabiliser de ces désirs. On constate
qu’elles sont moins informées des moyens contraceptifs et donc, en utilisent
moins souvent ou moins bien(3). Autre constat: même si les
jeunes filles semblent connaître relativement bien les différentes méthodes
de contraception, elles ne les utilisent pas à bon escient. De fausses
croyances continuent également à circuler, comme l’absence de risque de
tomber enceinte lors du premier rapport sexuel.
L’adolescence
représente également une période d’insouciance. La majorité des jeunes
vivent, à cette période de leur vie, dans le moment présent. Difficile,
donc, pour eux de se projeter dans l’avenir. L’utilisation de moyens
contraceptifs est par essence inscrite dans une idée d’anticipation, qui ne
correspondent pas à l’attitude désinvolte de certains ados.
Julie Baivier,
intervenante sociale du Service d’aide et d’intervention éducative Tremplin,
qui accompagne les mères adolescentes(4), a constaté que
certaines jeunes filles, avant leur maternité, ont l’impression de se
retrouver dans une “impasse”. L’arrivée d’un enfant se profile, pour elles,
comme un nouveau départ. “Ce bébé m’a un peu sauvé la vie”,
s’exclame Alice, 16 ans et maman d’un petit garçon de 6 mois. Avec une
scolarité parfois difficile et le peu de perspectives d’avenir, fonder une
famille devient une issue à leur marasme, comme un sens à leur vie.
Entre rêve
et réalité
“Les
adolescents qui deviennent parents obtiennent un statut difficile à assumer,
poursuit Sonia de Crane. Ils sont en même temps parents et mineurs.”
Souvent idéalisé, le bébé arrive avec sa dépendance et les soins à lui
apporter : les nuits courtes, la régularité des repas, les couches à
changer… Des impératifs que les jeunes mamans oublient parfois. La marge qui
existe entre la réalité et le rêve est pourtant bien réelle. Sur Internet,
on trouve parfois des filles devenues mères avant 18 ans conseillant
d’autres qui souhaitent un bébé. Même si elles ne regrettent pas leur choix,
elles leur ouvrent les yeux sur le quotidien et les difficultés rencontrées
(financières, de temps…). Comme Gwendoline, 18 ans et maman depuis 4 mois :
“Beaucoup de choses changent avec un enfant. C’est difficile. On ne peut
plus faire grand-chose comme avant.” Concilier la vie de parents et
celle d’ado n’est pas une chose simple. Entre les études qu’on met de côté,
les amis que l’on voit moins, les sorties dont on se passe, l’enfant
accapare souvent une grande partie du temps.
Maman
entourée, bébé mieux géré
“Quand survient
une grossesse chez une jeune adolescente, l’entourage familial, scolaire ou
institutionnel reçoit simultanément trois mauvaises nouvelles, remarque
le pédiatre français, Patrick Alvin. La première : ‘elle a une vie
sexuelle’ ; la seconde : ‘elle est enceinte’; enfin la troisième et non des
moindres : ‘…et si jamais elle l’avait cherché?’ Aujourd’hui, l’adolescente
enceinte est d’abord jugée coupable de n’avoir pas su gérer son ‘devoir
contraceptif’. Elle reste ensuite peu ou prou moralement fautive d’avoir
fait une bêtise”.
Pourtant, le
soutien qu’elle trouve auprès des siens ou dans des institutions telles que
les plannings familiaux lui permettra de s’épanouir dans la maternité et
d’accueillir et d’élever son enfant dans les meilleures conditions.
L’intervenante sociale du service Tremplin le confirme : “L’âge de la
maman n’est pas un problème. Ce qui compte, c’est qu’elle ne soit pas seule,
qu’elle soit bien entourée au niveau social et familial.” Chacun doit y
trouver son rôle: le papa de l’enfant fuira ou prendra ses responsabilités,
les nouveaux grands-parents prennent parfois trop de place en se substituant
aux jeunes parents ou au contraire, rejettent leur fille ou leur garçon avec
leur bébé… “Moi, ma mère et mes beaux-parents nous aident, mon copain et
moi, pour garder notre enfant quand je suis à l’école”, explique
Gwendoline, 18 ans.
Si certaines
adolescentes perdent pied une fois le bébé arrivé, d’autres mûrissent d’un
coup. Elles s’investissent dans l’éducation de l’enfant, adoptent une vie
plus calme, reprennent leurs études…
Des aides
en Belgique
Dans les faits, la
plupart des mères adolescentes vivent en couple avec le père de l’enfant ou
leur nouveau compagnon. Les autres sont encore chez leurs parents. Une
infime proportion est hébergée dans des maisons maternelles (ndlr : maison
accueillant des jeunes femmes en difficulté qui sont enceintes ou déjà
mères).
“En Belgique,
les structures qui peuvent aider les jeunes filles sont variées: services
d’aide à la jeunesse (SAJ), aides en milieu ouvert (AMO), CPAS, plannings
familiaux, Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE)…, énumère Sonia
de Crane. Mais la coordination entre chacune d’entre elles est parfois
difficile, du fait que ces institutions se connaissent mal.”
L’entourage scolaire de l’adolescente joue également un rôle de soutien
durant la grossesse pour éviter le décrochage. Les éducateurs, les
professeurs… peuvent se former à l’accompagnement des jeunes qui vivent une
grossesse précoce. L’école tient également une place en amont, utile quant à
l’information sur la sexualité et sur la contraception.
Un numéro gratuit
d’écoute, le 103, peut notamment venir en aide aux jeunes qui se posent des
questions sur leur sexualité, sur les relations amoureuses ou tout
simplement sur leur avenir.
Le plus important
reste que la jeune fille se sente entourée face à ce changement important de
sa vie.
//VIRGINIE
TIBERGHIEN
(1) Extrait de la chanson Aurélie du Colonel Reyel,
sortie en 2011.
(2) www.axado.be
(3) Berrewaerts J. et Noirhomme-Renard F., Les
grossesses à l’adolescence: quels sont les facteurs explicatifs identifiés
dans la littérature ?, Unité d’Education pour la Santé (UCL-RESO),
2006.
(4) 02/204.06.05 –
www.tremplinsaie.be
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