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Exclusion (17 avril 2008)

 

 

Au plus proche de l’exclusion

Plus de précarité, de fragilité, d’instabilité pour un nombre croissant de personnes, constatent les observateurs de notre société. Ainsi le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), réuni à l’occasion de sa 86ème Semaine sociale, invitait à “re-questionner la fonction des intervenants sociaux”(1). Proximité et engagement seraient utiles pour les travailleurs du social.

 

Comment retisser de la confiance

et des relations durables

avec des personnes à la marge?

 

Des travailleurs sociaux de première ligne s’inquiètent de la distance croissante entre les populations précarisées, discriminées et les dispositifs d’aide. Un éloignement aux multiples raisons. Parmi elles, les professionnels citent et mettent en cause l’emprise de l’école de la rue, l’exclusion sociale ou encore les transformations de la sphère familiale.

Pascale Jamoulle, anthropologue, intervenant lors de la Semaine sociale du Mouvement ouvrier chrétien (2), relaye ces préoccupations. “Des parents éprouvés (par la dislocation des noyaux familiaux, par le déracinement…) rencontrent davantage de difficultés à exercer leur rôle. Ils demandent peu d’aide, de peur de se sentir davantage encore disqualifiés”, détaille-t-elle. Et d’évoquer la destruction de la culture ouvrière, la perte des solidarités villageoises, les troubles de l’exil et de la migration… qui isolent les familles.

 

Une confiance altérée

“Après les ruptures conjugales, poursuit-elle, de plus en plus de parents se retrouvent seuls pour répondre à l’ensemble des besoins de leurs enfants. Dans les générations précédentes, la communauté religieuse, le voisinage et la famille élargie participaient davantage à la

La destruction de la culture ouvrière, la perte des solidarités villageoises, les troubles de l’exil et de la migration… isolent les familles.

socialisation des enfants. Aujourd’hui (…), isolés, les adultes ont plus de difficultés à inscrire des limites et des règles sociales”. Les

embûches amènent leur lot de culpabilités, voire un sentiment de honte sociale. Ces parents dissimulent alors leur souffrance, se replient, demandent peu d’aide, s’éloignent.

Une frange de plus en plus importante de la nouvelle génération s’éloigne également. Avec l’école de la rue, elle participe à une économie souterraine, accède aux biens de consommation, à la reconnaissance, à une certaine protection. Mais la protection est de façade, avec des effets qui peuvent être ravageurs, disloquant les liens entre les familles, entre les habitants des quartiers. L’intervenant social, l’adulte font figure de “balance”, auprès desquels il est impensable de “se raconter en confiance”. Le système de débrouille ne peut être partagé avec eux et les rapports avec l’aide sociale s’en trouvent compliqués.

Plus généralement, l’exil et la précarité rejettent de plus en plus de gens dans des situations extrêmes et éprouvantes, où parfois le délire fait office de protection contre la grande souffrance sociale.

 

Se rapprocher des marges

Comment éviter que ne se délitent trop les liens sociaux? Les défiances, le maintien à distance des professionnels amènent d’aucuns parmi les travailleurs du social à adopter des manières d’être nouvelles, au plus proche des gens, à réduire l’écart. Et ce, en dépit souvent des contraintes institutionnelles, en porte-à-faux avec la logique managériale à l’œuvre dans le secteur. Le sacro-saint principe de “distance” inculqué aux futurs éducateurs, assistants sociaux et autres intervenants sociaux est alors mis de côté. Réduire la distance justement paraît nécessaire. Se rapprocher et “mouiller sa chemise”, entrer dans l’échange s’avèrent primordial pour envisager le travail avec les publics précaires et discriminés.

D’après l’expérience de ceux qui côtoient ces publics et qui adoptent cette proximité, des accroches positives doivent être inventées pour ces publics en éloignement, des portes d’entrées nouvelles et adaptées doivent être mises en place. Une halte garderie, une troupe de théâtre, un groupe de rap de quartier, un club de sport… amènent plus facilement l’un ou l’autre à pousser la porte. Tout autant, il est important de tenir compte “des rythmes, des temporalités, des langues d’origine, des moyens financiers des différents publics”. Le 9h-16h traditionnel est remis en cause.

Le travail de proximité part de l’intelligence qu’ont les gens de leur situation.

Ces travailleurs de proximité tablent “sur la créativité des personnes”. Ils s’appuient sur l’inventivité de ceux-ci, sur leurs désirs de s’exprimer, de dire leurs colères, sur leur expertise des quartiers notamment. “Tous ont des talents, visibles ou cachés, estime Pascale Jamoulle, utiles pour exprimer leur histoire personnelle, extérioriser la violence vécue. Ce talent peut les aider à retrouver confiance dans leurs propres capacités, à mieux gérer leur colère, à l’utiliser pour en faire quelque chose de créatif et de constructif”. Parmi les maîtres-mots de la démarche de proximité, on trouve également l’idée de recomposer du lien, de s’appuyer sur les liens familiaux ou autres, de les étoffer; l’idée aussi de “renforcer l’aptitude des personnes à se protéger et à protéger leurs proches”, de réduire les risques. Reprenant et élargissant ce concept de travail utilisé dans le contexte de l’usage de drogues, le travail de proximité part ainsi de “l’intelligence qu’ont les gens de leur situation”, pour “réfléchir avec eux à des modes concrets de gestion et de modération de leur conduite”. Voilà les jugements suspendus, et l’exploration entamée avec les personnes, à partir de leurs logiques, du travail d’aide.

 

Travailler avec autrui,

plutôt que sur autrui

Abraham Franssen, professeur de sociologie aux Facultés Saint-Louis, intervenant également lors de la Semaine sociale, analyse les métamorphoses du travail social, de la fonction du travailleur social, “alias l’assistant social, alias l’agent d’insertion, alias l’accompagnateur, alias le conseiller, alias le job coacher…” (3). Et de constater aujourd’hui ce qu’il nomme un “élargissement des frontières du social”. Dans un premier temps, l’intervention sociale s’est centrée sur le travailleur et ses protections. S’y est joint un travail social d’assistance aux populations hors travail. Aujourd’hui, c’est un nouveau type d’intervention qui s’établit en parallèle, là où les premiers échouent, ont parfois des effets pervers. Certaines interventions amènent par exemple à “pathologiser” les personnes en focalisant la responsabilité de l’échec sur l’individu lui-même. La charge peut être bien trop lourde à porter, et d’autant moins juste qu’elle évacue les dimensions structurelles et collectives des problèmes sociaux.

D’une “action sur autrui”, confirme Abraham Franssen, d’aucuns passent à une “action avec autrui”. Laissant de côté la conviction qu’ils vont faire le bien de l’usager, qu’ils savent mieux que lui ce qu’il y a à faire. L’action se centre sur un travail relationnel où l’engagement personnel des protagonistes est de mise.

Cet engagement de la part des intervenants sociaux ne va cependant pas sans une certaine distanciation. “La proximité peut être dangereuse, tourner à la rancœur, à la déception, à la rupture violente. (…) Elle confronte aussi à des souffrances sociales, des crises aiguës, des actes inqualifiables (…) Pour faire face à leurs peurs et à leur sentiment d’impuissance, les professionnels s’entraident et travaillent en relais”, note Pascale Jamoulle. Tant pour elle que pour Abraham Franssen, il s’agit de prévoir des espaces de réflexion, de partage d’expériences et d’expertises…

Catherine Daloze

 

(1) “Travailler à l’être ensemble. L’aujourd’hui de l’intervenant social”. 3 et 4 avril 2008 à Charleroi. Plus d’infos sur www.moc.be

(2) Voir Pascale Jamoulle, “La proximité”, dans “Recherche et intervention sociale. Comprendre et agir les changements en cours aux marges”, “Les politiques sociales”, n°3-4, 2007.

(3) De même pour les destinataires de l’aide, on parlera tour à tour d’indigents, de bénéficiaires, d’ayant-droits, d’usagers, de groupes cibles, de clients.

 

"Préférer un peuple de citoyens"

Thierry Jacques, Président du MOC, épingle quelques idées “fortes” exprimées par les différents conférenciers durant les deux jours que comptait la Semaine sociale. Des idées qui, dit-il, interrogent le MOC en tant que mouvement social.

La société confie de plus en plus aux intervenants sociaux des missions de contrôle social, qui occupent de manière accrue leur fonction au détriment des diverses dimensions du travail social.

La diversité et la complexité des situations de vie, au sens large (emploi et travail, logement, parcours de vie, relations affectives, profil familial, etc.), ne sont absolument pas prises en compte par la réglementation sociale. Elles obligent les citoyens à multiplier les trucs et ficelles pour ‘s’en sortir’, et les professionnels sociaux à multiplier les démarches administratives de contrôle et de vérification pour remplir leur mission. Cela repose avec acuité une question importante qui devrait revenir au devant de l’actualité: celle de l’individualisation des droits sociaux.

Toutes sortes de formes de violence sur le plan social, culturel et économique attisent l’insécurité, réelle ou ressentie. Une société qui exclut de l’emploi et donc du revenu et de l’avenir jusqu’à 25 % des jeune, est-ce acceptable?

Une logique gestionnaire de l’aide sociale se met en place en lieu et place d’une logique émancipatrice. On peut illustrer cela par cette déclaration un peu provocatrice : le pouvoir préfère un peuple de victimes plutôt qu’un peuple de citoyens.

 


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