Exclusion
(16 avril 2009)
Enfants
Roms:
comment les sortir de la rue?
La
fréquentation de l’école par les enfants et les adolescents Roms est souvent
chaotique. De là, un parcours scolaire rarement couronné de succès.
Pourtant, les alternatives à la rue existent et ne demandent qu’à être
reproduites ailleurs. Une condition indispensable: jeter les préjugés aux
orties.
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@ Gideon Mendel/CORBIS |
Les Roms, en Belgique,
vivent dans la hantise de l’expulsion et de
la brutalité policière.
Cela explique, en partie, la présence des
enfants auprès de leurs parents dans la rue.
Ils
mendient. Sans profession ni formation, ils ne savent faire que cela. Ils
sont venus en Belgique pour profiter du “système”. Ils utilisent leurs
enfants pour apitoyer les passants. Ils négligent leur progéniture, qui ère
dans les rues et les couloirs du métro bruxellois au lieu de fréquenter
l’école. Les femmes calment leur bébé avec du sirop contre la toux. Pendant
ce temps, les jeunes ados – parfois des enfants – pénètrent par effraction
dans les habitations des braves gens.
Stop! N’en jetez plus. En
termes de préjugés et de stéréotypes, les Roms sont les champions des boucs
émissaires. C’est particulièrement le cas de la dernière vague de migrants:
ceux qui, par milliers, ont quitté les pays de l’Est peu après
l’effondrement de l’empire soviétique (1). «Bien
qu’ayant parfois accédé à la classe moyenne, ces populations,
essentiellement roumaines et bulgares, étaient fortement opprimées chez
elles et sont venues en Belgique, notamment, dans l’espoir de trouver de
meilleurs moyens de subsistance», explique Alain Reyniers, anthropologue à
l’UCL. Et le spécialiste des Roms d’insister: «Leur aspiration à une vie
nouvelle inclut clairement la scolarisation des enfants.»
Les Rom valorisent l’école
A première vue, cette
attente envers l’école peut paraître étonnante. Toutes les enquêtes
démontrent en effet que les enfants Roms, en Belgique, sont quasiment absent
des classes maternelles. En primaire, leur absentéisme est monnaie courante.
«Des enfants peuvent disparaître pendant deux ou trois mois, puis revenir
soudain en classe sans raison apparente», constate une directrice
d’école à Schaerbeek. Il faut noter que cette vague d’immigration récente
est peu nomade. Quant à l’enseignement secondaire, rares sont les Roms qui
parviennent à son terme en Belgique.
Les Roms estiment faire tout leur possible pour que
leurs enfants soient scolarisés. |
De là, les interpellations
de nombreux intervenant sociaux: soumis à l’obligation scolaire malgré le
statut de sans-papiers de la plupart des parents, les enfants Roms n’ont-ils
pas droit à une formation de qualité? Bien suivis à l’école, ne
pourraient-ils constituer un puissant vecteur d’intégration pour leurs
parents et la génération suivante? Car les Roms sont là et bien là. Seuls
les naïfs croient encore qu’il suffirait de les renvoyer chez eux.
Au cours d’une enquête
qualitative menée sur les familles Roms vivant en Belgique (2),
la Fondation Roi Baudouin a tenté de cerner au plus près les attentes des
parents envers l’école et d’identifier, bien au-delà des problèmes
linguistiques, les points de blocage à une scolarisation réussie.
Premier constat:
contrairement à la perception habituelle des travailleurs sociaux, les Roms
pensent faire tout leur possible afin que leurs enfants soient scolarisés.
En général, ils ont une opinion très positive de l’école en Belgique.
L’apprentissage d’un métier est, selon eux, le gage d’une vie plus stable et
plus paisible sur le plan financier. Des études antérieures avaient démontré
qu’ils pratiquaient très peu la mendicité dans leur pays d’origine. Quand on
approfondit le dialogue, on s’aperçoit néanmoins que l’école est davantage
vue comme un lieu d’encadrement moral (comment se comporter, obéir aux
règles, être sage et poli?) qu’un véritable lieu d’apprentissage
intellectuel.
Marqués au fer rouge par
l’oppression qu’eux-mêmes ont vécue pendant leur (bref) parcours scolaire en
Roumanie ou en Bulgarie, les parents sont particulièrement demandeurs, chez
nous, d’un cadre amical et chaleureux pour leurs enfants, incluant les
petites marques d’affection physique de la part des enseignants.
Deuxième constat: ces
parents ont peur de la violence institutionnelle. Celle de l’école, de la
police et de la société. Leur propre histoire les a confrontés à la
stigmatisation. Tout en sachant que l’enseignement belge fait preuve d’une
plus grande justice sociale que dans leur région d’origine, ils disent ne
pas avoir assez d’argent pour payer divers “petits” frais scolaires: repas,
cantines, abonnements... Par ailleurs, ils vivent dans la hantise de la
brutalité policière et de l’expulsion. Voilà qui explique pourquoi les
femmes préfèrent garder leurs jeunes enfants avec elles. L’enquête fait
référence à la “mémoire collective et inconsciente des Roms”, qui leur fait
craindre un départ toujours possible vers un ailleurs («ll faut garder
ses enfants près de soi pour pouvoir partir ensemble. Sur-le-champ, s’il le
faut»).
Autre élément de poids: dans
leur système patrilocal (c’est-à-dire que les jeunes épouses quittent leur
famille et vivent chez les beaux-parents, sous l’autorité principale de leur
beau-père), les jeunes mamans sont tellement dépossédées de leur autorité
qu’elles développent une certaine possessivité sur les enfants. Cela leur
permet de récupérer une forme d’assise et de confiance en soi.
Troisième constat: Poussées
par les hommes à se débrouiller pour gagner de l’argent, les femmes sont
obligées d’occuper l’espace public où, très visibles, elles intriguent et
dérangent les populations “Gadgé” (non-Roms). Quant aux jeunes
filles, si elles arrêtent l’école très tôt, ce n’est pas seulement pour
assumer l’essentiel des tâches ménagères (comme dans bien d’autres
communautés, souligne au passage la Fondation). C’est, aussi, parce que
l’école secondaire mixte est vue comme un lieu où les rapports
garçons/filles et l’éducation sexuelle pourraient compromettre un des
fondements de la communauté Rom: la virginité de la jeune fille au mariage.
Cet “intégrisme sexuel”, souligne à nouveau la Fondation, est loin
d’être spécifique aux Roms mais il est encore renforcé, ici, par le rejet
dont cette communauté est victime dans ses périples migratoires: «Ce
respect que les hommes ne reçoivent pas dans une société qui leur renvoie
une image d’étrangers, ils le récupèrent dans le système d’honneur familial.
Celui-ci repose sur un contrôle des femmes qui se radicalise.» Iulia
Hasdeu (Université de Genève), coordinatrice de l’étude, résume le constat:
«les Roms sont rationnellement ouverts à l’école, vue comme un tremplin
vers l’avenir. Mais, inconsciemment et émotionnellement, ils la voient comme
un lieu où des choses bizarres se passent. Et ils intériorisent son rejet.»
La police au centre du vécu Rom
La présentation des
résultats cette étude lors d’un récent colloque (3) a le
mérite d’avoir écarté les solutions simplistes, comme l’interdiction de la
mendicité pour les Roms de moins de 16 ans, voulue par certains politiques.
En même temps, cette rencontre a permis de sentir quelques tensions à
l’intérieur même du monde Rom.
Ainsi, des médiateurs
interculturels, d’origine Rom, regrettent, sans être nécessairement suivis
par d’autres, que le non respect de l’obligation scolaire en Belgique donne
si peu lieu à un suivi ou des sanctions. Ou que les actes de petite
délinquance soient trop légèrement punis, ce qui empêcherait de lancer un
message clair aux jeunes ou de les dissuader d’“explorer les limites des
systèmes pour en déceler les failles”. «Attention aux fantasmes sur les
réseaux criminels de mendicité, avertit néanmoins Iulia Hasdeu. En les
alimentant, on survalorise la police comme élément central du vécu
imaginaire des Roms. Cela risque de casser tous les efforts réalisés dans
le rapprochement avec les Gadgé (lire l’encadré ci-contre)».
Philippe
Lamotte
(1) A distinguer d’un autre mouvement migratoire, survenu
celui-là à la suite de l’éclatement de la Yougoslavie.
(2) Pendant l’été 2007, plusieurs dizaines de parents
Roumains et Bulgares, mais aussi Kosovars, Serbes, Croates et Slovaques, ont
été longuement interrogés dans les principales villes belges, avec l’aide de
médiateurs d’origine Rom.
(3) Extraits du colloque sur
http://www.kbs-frb.be
Moments magiques et travail ardu |
“En
quelques mois, l’absentéisme des enfants Roms a diminué de deux
tiers dans notre école» se réjouit Therèse Delaby, directrice de
l’école n°8 à Schaerbeek, en discrimination positive.
«Avec l’aide des médiateurs, nous avons connu des moments magiques,
comme ces parents venus aux réunions de classe pour la première
fois». Que font-ils, ces médiateurs, le plus souvent Roms
eux-mêmes? Forts de leur connaissance de la langue et du “terrain”
Rom, ils recherchent activement les enfants non-inscrits à l’école,
interviennent -très vite- auprès des parents en cas d’absentéisme,
créent un climat de confiance, facilitent la compréhension avec les
professeurs, accompagnent les parents lors des réunions de classe,
etc. «Notre prochain objectif, c’est la sensibilisation des mamans à
l’utilité des classes maternelles, s’enthousiasme la directrice qui
souligne, néanmoins, l’énorme effort de travail consenti par les
enseignants pour rattraper le retard scolaire accumulé par les
enfants. A Molenbeek et à Saint-Josse, le Centre
régional d’intégration “Le Foyer” travaille avec des écoles (une
trentaine au total) fréquentées par des enfants Roms ou des gens du
voyage. Des médiateurs roumains y assurent le suivi scolaire
individuel des enfants et organisent des cours de langues et des
ateliers professionnels pour les adolescents. La commune de
Saint-Nicolas (Flandre), de son côté, est devenue une
référence: les Roms locaux -1.000 personnes d’origine kosovare- y
ont acquis le statut de réfugié politique et la ville, par son
conseil local, soutient activement le dialogue entre les différentes
communautés. «Malgré de tels succès, ni Liège ni Charleroi ne
comptent à l’heure actuelle le moindre médiateur spécialisé dans le
travail avec cette communauté», déplore Koen Geurts,
collaborateur Roms et Gens du voyage à Molenbeek. On reste donc loin
de la promesse du gouvernement fédéral, en 2006, d’engager 12
médiateurs dans 5 grandes villes belges. |
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