Exclusion (3
septembre 2009)
Prisons
Apprendre, derrière les
barreaux
Profiter du temps d’emprisonnement pour apprendre, s’instruire voire
décrocher un diplôme: la démarche peut paraître couler de source. En
réalité, se former en prison relève presque du parcours du combattant.
Bonnes idées et expériences réussies ne demandent pourtant qu’à se
développer.
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© Reporters |
Trois détenus sur quatre
n’ont aucun diplôme en poche
ou à peine le certificat d’études de base
(CEB, à la fin des primaires).
Des
détenus qui se font la malle en prenant un pilote d’hélicoptère en otage à
Bruges. Un prisonnier qui, profitant d’un régime de semi-liberté, braque une
maison de repos à Uccle. Sans compter la traditionnelle poussée de fièvre
estivale liée à la surpopulation carcérale. Pas de doute: l’été 2009 a été
riche de clichés et d’images spectaculaires sur le monde de la prison. Le
risque? Faire oublier la réalité quotidienne d’environ 10.000 détenus qui,
pour leur écrasante majorité, passeront un jour ou l’autre de l’autre côté
des barreaux après avoir payé leur dette. Mais avec quels outils de
réinsertion ou d’insertion tout court?
Un chiffre en dit
long: 74 % des détenus francophones ne disposent d’aucun diplôme ou n’ont
que le certificat d’étude de base (CEB, fin des primaires) en poche, pour
27,6% dans la population habituelle. Autant dire que l’effort à fournir est
considérable si l’on veut maximaliser les chances de fournir une compétence,
voire un diplôme, aux occupants des prisons. «Secoués rudement par la vie
et confrontés à de grandes difficultés psychologiques et familiales, la
plupart des détenus ne sont pas à même d’entreprendre d’emblée une formation
qualifiante», constate Daniel Martin, coordinateur de l’asbl Aide et
reclassement à Huy. A cet égard, l’exception - Philippe Lacroix, co-auteur
de l’enlèvement de l’ancien ministre Paul Van den Boeynants, sorti de prison
avec une licence en philologie germanique après douze ans d’étude sous les
verrous – masque la règle générale: des milliers de détenus sont privés du
droit élémentaire, reconnu par une loi de janvier 2005, de «bénéficier
d’un accès aussi large que possible à l’ensemble des activités de formation».
Objectif: «donner un sens à la période de détention et préserver ou
améliorer les perspectives de réinsertion réussie».
Travailler est financièrement plus intéressant, pour
le détenu, que se former: un obstacle de taille à un véritable plan
de réinsertion. |
2005! Il aura fallu
attendre 2005 pour voir un tel principe inscrit noir sur blanc dans une loi,
enterrant une fois pour toutes (?) le principe de vengeance et la loi du
talion. Mais, quatre ans plus tard, la bonne volonté législative ne s’est
pas encore traduite en réalité. Certes, il existe, depuis bien avant 2005,
une palette variée de formations dispensées dans les maisons de peine et les
maisons d’arrêt : informatique, restauration, maçonnerie, langues,
carrelage, etc. Certaines relèvent d’une «simple» (re)mise à niveau.
D’autres sont qualifiantes et permettent de décrocher un diplôme. Mais,
souvent, il faut partir du B.A.-BA et entamer un patient travail
d’alphabétisation. Ce qui implique de dépasser – plus exactement
d’accompagner - les blessures d’amour propre des détenus. Beaucoup
rechignent, en effet, à admettre de profondes lacunes scolaires, eux qui,
pour la plupart, rêvent plutôt de faire valoir un jour devant le Tribunal
d’application des peines (qui décide d’une éventuelle libération
conditionnelle) la réussite d’une formation de plus haut niveau, gage de
leur volonté de réinsertion.
De janvier à mars
2008, trois experts de l’ULg, mandatés par la Fondation Roi Baudouin(1),
ont passé en revue l’offre de formation dispensée dans les 14 prisons de la
Communauté française. Le meilleur y côtoie le pire. Le meilleur: la
collaboration parfaite entre la direction et l’équipe de surveillants, de
même que des locaux adaptés. Le pire: une direction indifférente, des
surveillants qui mettent des bâtons dans les roues des formateurs (par
jalousie envers les détenus, à cause de la perturbation des habitudes,
induite par les cours) et des leçons dispensées en cellule, dans un couloir
ou… dans une chapelle! Mais, quasiment partout, ces constantes: la
difficulté de motiver les détenus, lorsque le travail en prison permet de
gagner cinq à dix fois plus que la dérisoire prime à l’encouragement à
l’étude (62 centimes l’heure!); le manque de coopération entre l’Etat
fédéral et la Communauté française (à l’inverse de ce qui se passe au nord
du pays); enfin, l’absence quasi généralisée de «plans de détention». Très
attendus par les acteurs de terrains (associations et formateurs de
l’enseignement de promotion sociale), ceux-ci sont censés élaborer, dès
l’arrivée du détenu, un projet de reconstruction personnelle et de retour
dans la société, préparé avec du personnel compétent débarrassé des missions
strictement sécuritaires.
Prometteur? Oui.
Surtout qu’il ne faut pas aller bien loin pour s’inspirer d’idées novatrices
ou de projets pilotes intéressants. A la prison de Jamioulx, le taux de
réussite des détenus étudiants en carrelage dépasse celui de la population
scolaire classique! A Marneffe (établissement pénitentiaire ouvert, il est
vrai), une poignée de détenus suit des stages en entreprise à l’extérieur. A
Louvain, les formateurs ont contacté directement les fédérations
professionnelles patronales pour disposer de PC de qualité et bénéficier de
formations directement orientées sur les secteurs en pénurie de main
d’œuvre. Faire entrer le monde du travail en prison: un exemple - parmi
d’autres - de la révolution à mener dans la philosophie de la peine.
Philippe Lamotte
(1) «Activités d’enseignement et de formation en prison:
état des lieux en Communauté française» Etude menée par D. Delvaux, C.
Dubois, S Megherbi (chercheurs) et F. Schoenaers (promoteur). Disponible
gratuitement à la FRB: 070/23 37 28 ou
www.kbs-frb.be
Des bracelets
qui libèrent
Accueillir un criminel dans sa
classe, voilà une expérience qui n’a rien d’anodin. Surtout lorsque
cette classe ne se tient pas derrière les barreaux, mais dans le
cadre de l’enseignement de promotion sociale, au cœur de la société
“civile”. |
Depuis
trois ans, l’une des antennes de l’EPFC, une importante école de
promotion sociale à Bruxelles, tient ce pari à Woluwé-Saint-Pierre.
Avec succès et fierté. «A nos yeux, l’accueil d’anciens détenus,
pour la plupart porteurs d’un bracelet électronique dans le cadre de
leur libération conditionnelle, relève des missions générales de la
promotion sociale: intégration, équilibre personnel et mixité
sociale», explique Pascale Cousin, directrice de l’EPFC. Certes,
tout ne va pas sans mal. Mais les difficultés ne sont pas où on
pourrait les imaginer. «Nos élèves ex-détenus sont presque
toujours sur-motivés, s’enthousiasme Frédéric Bernard, coordinateur
pédagogique. Et cela, malgré leur psychologie fragile, leur santé
précaire et des parcours très durs. Jamais nous n’avons eu le
moindre problème de discipline».
Le port du
bracelet électronique n’est pas un parcours tranquille. A tout
moment, le libéré doit pouvoir justifier de l’endroit où il se
trouve aux yeux des autorités pénitentiaires: pas évident, lorsqu’un
travail de groupe s’improvise chez l’un des étudiants. Pas facile,
non plus, l’organisation des agendas: souvent, la «machine»
judiciaire aimerait que les cours commencent le jour-même de la
libération conditionnelle. Illusoire. Alors, l’école y met du sien,
envoyant les syllabi en prison via l’avocat ou la famille. Autre
type de dilemme: faut-il informer les professeurs et les autres
étudiants du statut de ces élèves pas tout à fait comme les autres?
A l’EPFC, on a tranché: oui, pour les professeurs (afin d’éviter les
maladresses involontaires), non pour les étudiants (afin d’écarter
la stigmatisation).
Le bilan ?
Très positif, malgré un surcroît de travail administratif et des
angles à arrondir. Nul ne sait, hélas, si la formation suivie a aidé
les libérés conditionnels à décrocher un emploi. «Mais ils
sortent de chez nous avec une autre image d’eux-mêmes. Ils ont perdu
un peu de leur étiquette de taulard à leurs propres yeux».
Et puis, il y
a des scènes qu’on n’oublie pas dans la carrière d’un enseignant.
Telle cette sympathie née entre un ex-criminel, condamné à 21 ans de
réclusion, et cette demoiselle très chic issue d’une banlieue cossue
de Bruxelles, assis côte à côte sur leur banc d’école et unis par le
même rêve d’ouvrir un commerce.
Ph.L. |
Filet d’acier ou filet
social?
Quatre
millions d’euros, bientôt investis dans des filets ou d’autres outils de
sécurité, pour trouver la parade à… trois évasions de détenus par
hélicoptère. N’y a-t-il pas d’autres priorités, interrogent la Ligue des
droits de l’homme et l’Observatoire international des prisons, qui
rappellent la situation lamentable de la majorité des prisons du Royaume.
Plus de 10.000
personnes sont incarcérées à l’heure actuelle: une augmentation de 74% en
trente ans. A cause de l’explosion de la délinquance? Non, rétorquent la
Ligue et l’OIP: celle-ci est plus médiatisée, revêt d’autres contours et
«se raccroche au sentiment d’insécurité qui, lui, augmente en période
d’incertitude socio-économique». Les causes de la surpopulation
carcérale sont ailleurs: augmentation de la détention préventive, retards et
diminution des libérations conditionnelles, allongement de la durée des
peines et explosion du nombre d’internés (déclarés non responsables de leurs
actes et privés de liberté sans limite dans le temps), dont l’encadrement
thérapeutique est très déficient.
Ces 4 millions
d’euros s’ajoutent à la création de nouvelles prisons. Ne pourrait-on les
investir dans la formation des détenus, pour favoriser la réinsertion et la
diminution des récidives, et dans la modernisation des prisons les plus
anciennes? Les deux associations rappellent que certaines cellules de
plusieurs établissements ne bénéficient toujours pas d’eau courante ni de
toilettes. Les détenus font leurs besoins dans un seau en présence de leurs
codétenus. L’inactivité et l’oisiveté sont souvent la règle, dans des
espaces de 9 à 12 mètres carrés, partagés à deux ou à trois. Significatif:
on se suicide dix fois plus en prison que dans la population générale. De
telles conditions de vie sont-elles vraiment réparatrices?
Ph.L.
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