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Environnement (5 mars 2009)


 

La nature aux soins intensifs

Natura 2000, le plus vaste programme européen de conservation de la nature, commence à se déployer dans les campagnes et les forêts. En Wallonie comme ailleurs, il va changer pas mal d’habitudes.

La reine des prés,

une espèce typique des plaines alluviales.

© Michel Fausch  

 

Trente ans que cela dure. Trente ans, au bas mot, que le même lamento résonne à nos oreilles, seriné comme une ritournelle par les naturalistes et les scientifiques. La nature va mal. La biodiversité, petit à petit, s’érode, tant pour les espèces animales que végétales. Ignorée ou pourchassée, elle disparaît sous le béton et l’asphalte. Les chiffres donnent raison aux Cassandre. En Wallonie, 25% des espèces ont disparu ou sont à deux doigts de l’extinction. Quatre sur dix sont menacées. Le grand coupable n’est pas – ou plus, depuis longtemps – le vilain chasseur. Mais bien chacun d’entre nous, qui exigeons toujours plus de routes et d’autoroutes, de surfaces commerciales entourées de généreux parkings, de zonings industriels facilement accessibles. L’habitat est de plus en plus éclaté. Il se fragmente, tuant la diversité génétique et la mobilité dont les espèces (elles aussi!) ont tant besoin. Un chiffre qui résume tout: en Belgique, l’équivalent d’un terrain de football est urbanisé toutes les soixante secondes. Adieu, gentilles alouettes et perdrix dodues. Phénomène inconnu il y a moins de dix ans: dans certaines régions du sud du pays, marquées au fer rouge par l’arrachage des haies (autrefois) et l’usage récurent de pesticides agricoles (aujourd’hui), on ne trouve plus un seul couple d’oiseaux nicheurs sur cinquante hectares!

Natura 2000  n’est pas seulement  la concrétisation  du rêve  de quelques naturalistes alarmés.

Evidemment, il y a les indécrottables optimistes. Ceux qui se félicitent de l’expansion de certaines espèces qui envahissent jardins et cours d’eau: les pies, les hérons, les cormorans, les mouettes. Ou ceux qui versent une larme de bonheur lorsque nous reviennent, après des décennies d’absence, des espèces aussi prestigieuses que la cigogne noire, le castor ou le saumon atlantique (un siècle qu’il boude nos rivières!). Fort bien. Mais cela revient à oublier que la densité des premiers cités est souvent le signe de graves déséquilibres de la nature. Et que le succès des secondes est le fruit de gros efforts de protection et de réintroduction, qui ne peuvent être reproduits pour chaque espèce. En outre, y a-t-il vraiment matière à réjouissances face à l’irruption, parfois spectaculaire, d’espèces méditerranéennes (aigrettes, guêpiers, libellules, etc.) chassées par le réchauffement du climat? Autre motif d’inquiétude: la Belgique compte aujourd’hui 70 variétés végétales envahissantes, dont certaines commencent à poser de sérieux problèmes de santé publique ou à envahir le moindre arpent de terrain laissé en friche. Toujours plus pauvres, la flore et la faune indigènes de nos forêts et campagnes.

 

13% du territoire wallon
sous Natura 2000

Une évolution inexorable? Non. Comme le reste de l’Europe, la Wallonie se lance dans la concrétisation d’un vaste programme de conservation des milieux naturels menacés et des espèces qui les fréquentent. Dans certains cas, cet effort – du jamais vu depuis qu’on parle de protection de la nature – peut aller jusqu’à la restauration d’habitats qui ont disparu. Natura 2000 – c’est le nom de ce programme, qui repose sur deux directives européennes – couvre environ 850.000 kilomètres carrés, soit 20% de la surface de l’Union européenne! En Wallonie, on se contentera de 13%, ce qui est déjà pas mal si l’on sait que la protection assurée par les réserves naturelles est particulièrement faible, en termes de surfaces occupées. Environ 220.000 hectares sont concernés par Natura 2000 au sud du pays. De près ou de loin, 80% des communes wallonnes sont concernées.

La comparaison avec les réserves naturelles doit être maniée avec prudence. Si, dans une réserve, on met la nature sous cloche (quitte à l’entretenir) en évitant un maximum d’activités humaines, dans les zones Natura 2000, on tolère la plupart de celles-ci pour autant qu’elles ne compromettent pas l’avenir du site et des espèces qui le fréquentent. Dans certains cas, on ira même jusqu’à déployer beaucoup d’énergie pour protéger la nature contre elle-même. Les pelouses calcaires, par exemple, qui se rencontrent souvent le long de nos cours d’eau sur des terrains bien exposés au soleil, sont devenues très rares chez nous. Assuré autrefois par les moutons, le pâturage y a disparu. Elles sont donc envahies par des broussailles qui, petit à petit, étouffent littéralement les orchidées et d’autres espèces appréciant des sols calcaires. C’est loin d’être le seul exemple de biotope menacé. Envahies par les épicéas, les fagnes et les zones humides ardennaises ne peuvent plus jouer leur rôle d’abri pour les espèces rares. Surtout, elles ont perdu au fil du temps leur fonction d’éponge naturelle, à la fois réservoir d’eau et rempart contre les inondations.

 

Compenser les moins-values

Natura 2000 n’est donc pas seulement la concrétisation du rêve de quelques naturalistes alarmés. Il est également l’ultime réflexe de sauvetage d’un patrimoine façonné par l’homme pendant des décennies, sinon plus, et le pion essentiel d’une nouvelle relation entre l’homme et la “nature”. Ici et là, une partie du réseau nouvellement créé est susceptible de trouver des valorisations touristiques bien réfléchies.

L’idée de protéger 13% du territoire wallon n’est pas passée comme une lettre à la poste. Pendant longtemps, la Wallonie a fermé les yeux sur l’appauvrissement de son patrimoine naturel. Alors que la première directive européenne annonçant Natura 2000 date de 1979, il a fallu attendre plus de vingt ans pour que la Région wallonne, en 2002, daigne sélectionner les sites visés, après s’être fait menacer par l’Europe d’une suspension de versement des fonds communautaires. Il faut dire que la mise en œuvre de Natura 2000 a longtemps inquiété – et ce n’est pas fini – les milliers de propriétaires des sites finalement sélectionnés par les scientifiques (1). Les agriculteurs et les forestiers, mais aussi les simples particuliers, se demandent s’ils vont encore pouvoir cultiver ce qui leur est cher, planter telles et telles espèces d’arbre, voire tout simplement façonner leur bois de chauffage, etc.

 

La fin du laisser-aller

Les zones finalement sélectionnées se réfèrent à 44 biotopes aux noms aussi champêtres que scientifiques : vieilles chênaies acidophiles, forêts alluviales, boulaies tourbeuses, prairies à molinies, landes sèches sur sable, pelouses caliminaires, mégaphorbiaies à reines des prés, etc. Chacun de ces habitats fera l’objet de mesures particulières de conservation. Les agriculteurs devront par exemple limiter le nombre de bêtes à l’hectare (pour freiner le piétinement), faucher plus tardivement leurs prairies (pour permettre à la faune et la flore de se reproduire), réduire l’apport d’engrais (pour diminuer l’azote aboutissant dans les cours d’eau). Les forestiers, eux, devront laisser deux arbres morts par hectare (ce qui bénéficiera à quantité d’oiseaux et de chauves-souris). La plantation d’épicéas le long des cours d’eau ne pourra plus se faire à moins de 12, voire 25 mètres, de ceux-ci (pour maintenir un bon équilibre chimique de l’eau). Ces exigences entraîneront parfois des moins-values. Les propriétaires des lieux pourront les compenser sous diverses formes: indemnités financières (de 40 à 200 euros par hectare et par an), exonération du précompte immobilier et exemption des droits de succession.

«Natura 2000 n’offre pas un statut de protection particulièrement fort, estime Marc Dufrêne, coauteur d’un livre remarquable tout récent (voir encadré). Mais il permettra d’appliquer une série de réglementations qui, par le passé, n’étaient pas respectées. Dans ce sens, il devrait contribuer à rattraper l’énorme retard accumulé dans la conservation de la nature en Wallonie». Dans les jours qui viennent, huit zones Natura 2000 wallonnes auront fait l’objet d’un “arrêté de désignation”. Celui-ci est très attendu par les propriétaires concernés, parce qu’il détermine les mesures de protection à adopter selon un triple régime (autorisations, interdictions, notifications). Cet arrêté fixera également  les objectifs de conservation à atteindre. A l’échelle wallonne, l’ensemble du travail de cartographie détaillée et de mise au point de ces mesures de gestion durera jusqu’en 2015: un travail de titan (enquêtes publiques à la clef) (2), qui correspond bien à l’enjeu de Natura 2000.

Philippe Lamotte

 

(1) Chacun couvre une superficie moyenne de 900 hectares, mais avec une très grande variabilité.

(2) Consulter: http://natura2000.wallonie.be

 

Un frein à l’urbanisation de Bruxelles

A Bruxelles, Natura 2000 protége trois zones: la Forêt de Soignes et ses lisières, de même que divers petits bois avoisinants et la vallée de la Woluwe (2040 hectares); une série de sites plus petits et éclatés (dont le plateau du Kauwberg, à Uccle), boisés ou ouverts, au sud de la Région (217 hectares); et diverses petites zones boisées et humides de la vallée du Molenbeek, dans le nord-ouest de l’entité (118 hectares). Les habitats visés sont essentiellement forestiers mais on y trouve aussi des prairies de fauche, des friches, des étangs et des sources “pétrifiantes”, caractérisées par une eau riche en calcaire. Les principales  espèces bénéficiaires seront les chauves-souris, le lucane cerf-volant (un coléoptère de grande taille) et la bouvière (un petit poisson d’eau douce). La grande majorité des terrains visés sont déjà dans le domaine public. Si tout va bien (le cadre juridique pour les plans de gestion fera l’objet d’une ordonnance, Natura 2000 renforcera la protection de ces sites et de ces espèces contre l’urbanisation galopante de Région. Une gageure.

 

Lecture
“Natura 2000, une opportunité pour la nature en Wallonie”

Cet ouvrage richement illustré aborde toutes les facettes du programme Natura 2000 en Wallonie: scientifiques, politiques, administratives, naturalistes, etc. Ses deux auteurs, Michel Fautsch et Marc Dufrêne, sont parmi les meilleurs spécialistes de la conservation de la nature au sud du pays.

“Natura 2000, une opportunité pour la nature en Wallonie” - Editions Weyrich – 136 p. – Prix: 25 EUR. Cet ouvrage peut être commandé (10% de réduction, frais de port en sus) auprès du service librairie d’En Marche, chaussée de Haecht 579 – BP 40 – 1031 Bruxelles. Fax: 02/246.46.30.

email: enmarche@mc.be.

 

A consulter également :www.michel-fautsch.be  

 


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