Natura
2000, le plus vaste programme européen de conservation de la nature,
commence à se déployer dans les campagnes et les forêts. En Wallonie comme
ailleurs, il va changer pas mal d’habitudes.
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La reine des prés,
une
espèce typique des plaines alluviales.
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©
Michel Fausch |
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Trente
ans que cela dure. Trente ans, au bas mot, que le même lamento résonne à nos
oreilles, seriné comme une ritournelle par les naturalistes et les
scientifiques. La nature va mal. La biodiversité, petit à petit, s’érode,
tant pour les espèces animales que végétales. Ignorée ou pourchassée, elle
disparaît sous le béton et l’asphalte. Les chiffres donnent raison aux
Cassandre. En Wallonie, 25% des espèces ont disparu ou sont à deux doigts de
l’extinction. Quatre sur dix sont menacées. Le grand coupable n’est pas – ou
plus, depuis longtemps – le vilain chasseur. Mais bien chacun d’entre nous,
qui exigeons toujours plus de routes et d’autoroutes, de surfaces
commerciales entourées de généreux parkings, de zonings industriels
facilement accessibles. L’habitat est de plus en plus éclaté. Il se
fragmente, tuant la diversité génétique et la mobilité dont les espèces
(elles aussi!) ont tant besoin. Un chiffre qui résume tout: en Belgique,
l’équivalent d’un terrain de football est urbanisé toutes les soixante
secondes. Adieu, gentilles alouettes et perdrix dodues. Phénomène inconnu il
y a moins de dix ans: dans certaines régions du sud du pays, marquées au fer
rouge par l’arrachage des haies (autrefois) et l’usage récurent de
pesticides agricoles (aujourd’hui), on ne trouve plus un seul couple
d’oiseaux nicheurs sur cinquante hectares!
Natura
2000 n’est pas seulement la concrétisation du rêve de quelques
naturalistes alarmés. |
Evidemment, il y a les
indécrottables optimistes. Ceux qui se félicitent de l’expansion de
certaines espèces qui envahissent jardins et cours d’eau: les pies, les
hérons, les cormorans, les mouettes. Ou ceux qui versent une larme de
bonheur lorsque nous reviennent, après des décennies d’absence, des espèces
aussi prestigieuses que la cigogne noire, le castor ou le saumon atlantique
(un siècle qu’il boude nos rivières!). Fort bien. Mais cela revient à
oublier que la densité des premiers cités est souvent le signe de graves
déséquilibres de la nature. Et que le succès des secondes est le fruit de
gros efforts de protection et de réintroduction, qui ne peuvent être
reproduits pour chaque espèce. En outre, y a-t-il vraiment matière à
réjouissances face à l’irruption, parfois spectaculaire, d’espèces
méditerranéennes (aigrettes, guêpiers, libellules, etc.) chassées par le
réchauffement du climat? Autre motif d’inquiétude: la Belgique compte
aujourd’hui 70 variétés végétales envahissantes, dont certaines commencent à
poser de sérieux problèmes de santé publique ou à envahir le moindre arpent
de terrain laissé en friche. Toujours plus pauvres, la flore et la faune
indigènes de nos forêts et campagnes.
13% du
territoire wallon
sous Natura 2000
Une évolution
inexorable? Non. Comme le reste de l’Europe, la Wallonie se lance dans la
concrétisation d’un vaste programme de conservation des milieux naturels
menacés et des espèces qui les fréquentent. Dans certains cas, cet effort –
du jamais vu depuis qu’on parle de protection de la nature – peut aller
jusqu’à la restauration d’habitats qui ont disparu. Natura 2000 – c’est le
nom de ce programme, qui repose sur deux directives européennes – couvre
environ 850.000 kilomètres carrés, soit 20% de la surface de l’Union
européenne! En Wallonie, on se contentera de 13%, ce qui est déjà pas mal si
l’on sait que la protection assurée par les réserves naturelles est
particulièrement faible, en termes de surfaces occupées. Environ 220.000
hectares sont concernés par Natura 2000 au sud du pays. De près ou de loin,
80% des communes wallonnes sont concernées.
La comparaison avec les
réserves naturelles doit être maniée avec prudence. Si, dans une réserve, on
met la nature sous cloche (quitte à l’entretenir) en évitant un maximum
d’activités humaines, dans les zones Natura 2000, on tolère la plupart de
celles-ci pour autant qu’elles ne compromettent pas l’avenir du site et des
espèces qui le fréquentent. Dans certains cas, on ira même jusqu’à déployer
beaucoup d’énergie pour protéger la nature contre elle-même. Les pelouses
calcaires, par exemple, qui se rencontrent souvent le long de nos cours
d’eau sur des terrains bien exposés au soleil, sont devenues très rares chez
nous. Assuré autrefois par les moutons, le pâturage y a disparu. Elles sont
donc envahies par des broussailles qui, petit à petit, étouffent
littéralement les orchidées et d’autres espèces appréciant des sols
calcaires. C’est loin d’être le seul exemple de biotope menacé. Envahies par
les épicéas, les fagnes et les zones humides ardennaises ne peuvent plus
jouer leur rôle d’abri pour les espèces rares. Surtout, elles ont perdu au
fil du temps leur fonction d’éponge naturelle, à la fois réservoir d’eau et
rempart contre les inondations.
Compenser les moins-values
Natura 2000 n’est donc
pas seulement la concrétisation du rêve de quelques naturalistes alarmés. Il
est également l’ultime réflexe de sauvetage d’un patrimoine façonné par
l’homme pendant des décennies, sinon plus, et le pion essentiel d’une
nouvelle relation entre l’homme et la “nature”. Ici et là, une partie du
réseau nouvellement créé est susceptible de trouver des valorisations
touristiques bien réfléchies.
L’idée de protéger 13%
du territoire wallon n’est pas passée comme une lettre à la poste. Pendant
longtemps, la Wallonie a fermé les yeux sur l’appauvrissement de son
patrimoine naturel. Alors que la première directive européenne annonçant
Natura 2000 date de 1979, il a fallu attendre plus de vingt ans pour que la
Région wallonne, en 2002, daigne sélectionner les sites visés, après s’être
fait menacer par l’Europe d’une suspension de versement des fonds
communautaires. Il faut dire que la mise en œuvre de Natura 2000 a longtemps
inquiété – et ce n’est pas fini – les milliers de propriétaires des sites
finalement sélectionnés par les scientifiques (1). Les agriculteurs et les
forestiers, mais aussi les simples particuliers, se demandent s’ils vont
encore pouvoir cultiver ce qui leur est cher, planter telles et telles
espèces d’arbre, voire tout simplement façonner leur bois de chauffage, etc.
La fin
du laisser-aller
Les zones finalement
sélectionnées se réfèrent à 44 biotopes aux noms aussi champêtres que
scientifiques : vieilles chênaies acidophiles, forêts alluviales, boulaies
tourbeuses, prairies à molinies, landes sèches sur sable, pelouses
caliminaires, mégaphorbiaies à reines des prés, etc. Chacun de ces habitats
fera l’objet de mesures particulières de conservation. Les agriculteurs
devront par exemple limiter le nombre de bêtes à l’hectare (pour freiner le
piétinement), faucher plus tardivement leurs prairies (pour permettre à la
faune et la flore de se reproduire), réduire l’apport d’engrais (pour
diminuer l’azote aboutissant dans les cours d’eau). Les forestiers, eux,
devront laisser deux arbres morts par hectare (ce qui bénéficiera à quantité
d’oiseaux et de chauves-souris). La plantation d’épicéas le long des cours
d’eau ne pourra plus se faire à moins de 12, voire 25 mètres, de ceux-ci
(pour maintenir un bon équilibre chimique de l’eau). Ces exigences
entraîneront parfois des moins-values. Les propriétaires des lieux pourront
les compenser sous diverses formes: indemnités financières (de 40 à 200
euros par hectare et par an), exonération du précompte immobilier et
exemption des droits de succession.
«Natura 2000 n’offre pas
un statut de protection particulièrement fort, estime Marc Dufrêne, coauteur
d’un livre remarquable tout récent (voir encadré). Mais il permettra
d’appliquer une série de réglementations qui, par le passé, n’étaient pas
respectées. Dans ce sens, il devrait contribuer à rattraper l’énorme retard
accumulé dans la conservation de la nature en Wallonie». Dans les jours qui
viennent, huit zones Natura 2000 wallonnes auront fait l’objet d’un “arrêté
de désignation”. Celui-ci est très attendu par les propriétaires concernés,
parce qu’il détermine les mesures de protection à adopter selon un triple
régime (autorisations, interdictions, notifications). Cet arrêté fixera
également les objectifs de conservation à atteindre. A l’échelle wallonne,
l’ensemble du travail de cartographie détaillée et de mise au point de ces
mesures de gestion durera jusqu’en 2015: un travail de titan (enquêtes
publiques à la clef) (2), qui correspond bien à l’enjeu de Natura 2000.
Philippe Lamotte
(1) Chacun couvre une
superficie moyenne de 900 hectares, mais avec une très grande variabilité.
(2) Consulter:
http://natura2000.wallonie.be
Un frein à l’urbanisation de Bruxelles |
A
Bruxelles, Natura 2000 protége trois zones: la Forêt de Soignes et ses
lisières, de même que divers petits bois avoisinants et la vallée de la
Woluwe (2040 hectares); une série de sites plus petits et éclatés (dont le
plateau du Kauwberg, à Uccle), boisés ou ouverts, au sud de la Région (217
hectares); et diverses petites zones boisées et humides de la vallée du
Molenbeek, dans le nord-ouest de l’entité (118 hectares). Les habitats visés
sont essentiellement forestiers mais on y trouve aussi des prairies de
fauche, des friches, des étangs et des sources “pétrifiantes”, caractérisées
par une eau riche en calcaire. Les principales espèces bénéficiaires seront
les chauves-souris, le lucane cerf-volant (un coléoptère de grande taille)
et la bouvière (un petit poisson d’eau douce). La grande majorité des
terrains visés sont déjà dans le domaine public. Si tout va bien (le cadre
juridique pour les plans de gestion fera l’objet d’une ordonnance, Natura
2000 renforcera la protection de ces sites et de ces espèces contre
l’urbanisation galopante de Région. Une gageure.
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Lecture |
“Natura
2000, une opportunité pour la nature en Wallonie”
Cet ouvrage richement
illustré aborde toutes les facettes du programme Natura 2000 en Wallonie:
scientifiques, politiques, administratives, naturalistes, etc. Ses deux
auteurs, Michel Fautsch et Marc Dufrêne, sont parmi les meilleurs
spécialistes de la conservation de la nature au sud du pays.
“Natura
2000, une opportunité pour la nature en Wallonie”
- Editions Weyrich –
136 p. – Prix: 25 EUR. Cet ouvrage peut être commandé (10% de réduction,
frais de port en sus) auprès du service librairie d’En Marche, chaussée de
Haecht 579 – BP 40 – 1031 Bruxelles. Fax: 02/246.46.30.
email:
enmarche@mc.be.
A consulter également :www.michel-fautsch.be
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