Environnement
(2 juillet 2009)
Espèces
envahissantes:
la guerre est déclarée
Certaines espèces animales et végétales ont tendance à envahir
l’environnement, posant des problèmes écologiques, économiques et de santé
publique. Il faut donc limiter leur développement. Les pouvoirs publics
peaufinent leurs plans de bataille. Avec ce risque important: ne pas être
compris du grand public.
La
nature est décidément bien complexe. A peine reçu cinq sur cinq par le grand
public, le message de respect de la biodiversité, répété tous azimuts via
les campagnes de sensibilisation, doit être affiné et nuancé: oui, la
biodiversité est un joyau. Mais, parfois, il faut la contrôler sévèrement.
Nul doute que le SOS lancé depuis quarante ans reste vrai: la faune et la
flore, un peu partout dans le monde, se portent mal. L’emprise des activités
humaines sur les territoires occupés par la végétation et les animaux est de
plus en plus écrasante. La liste des espèces menacées s’allonge sans cesse.
Mais voilà: si l’on veut protéger les extraordinaires manifestations de la
vie sauvage à la surface de la terre, il va falloir, paradoxalement, limiter
une partie de la biodiversité.
Ce débat porte un nom:
les espèces envahissantes. Que leur reproche-t-on? Faute de prédateurs, ou
bien parce qu’elles profitent sans vergogne des activités humaines (voire
des perturbations liées au réchauffement climatique), ces envahisseurs
colonisent sans cesse de nouveaux territoires, supplantent leurs espèces
sœurs, transforment de riches milieux naturels en nouveaux déserts
biologiques voire, dans les pires des cas, posent de réels problèmes de
santé publique (lire les encadrés).
La Berce du Caucase,
elle brûle en profondeur |
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@
Catherine
Daloze |
Elle
est la reine des ombellifères, mais quelle garce! Superbe et,
surtout, impressionnante avec ses 3 à 4 mètres de hauteur, elle
mérite la plus grande méfiance. Pensez-donc! On ne compte plus les
ouvriers communaux et les jeunes victimes de cette fausse amie
qu’est la Berce du Caucase. Sous l’action de la lumière, sa
sève brûle la peau en profondeur, parfois jusqu’au deuxième degré.
Or, ses tiges parfaitement rectilignes en font un matériau de choix
pour la fabrication de sarbacanes et autres “longues-vues” de
fortune. Une seule attitude à avoir, cependant: observer et admirer,
mais ne pas toucher. Car le simple contact avec la feuille suffit
parfois pour brûler. Particulièrement pernicieuse, la brûlure de la
Berce peut être quasiment immédiate ou se faire sentir plusieurs
heures après le contact, ce qui rend le diagnostic difficile à
établir. En cas de découverte d’une station de Berces (elle est
fréquente jusque dans les villes), mieux vaut ne pas s’y aventurer:
même les vêtements de coton, absorbants, ne constituent pas une
protection suffisante. Découverte en Belgique en 1938, cette plante
est dorénavant présente partout dans le pays. Forcément, avec 80.000
graines par plant! |
Belles, mais redoutables
Chez nous, la coccinelle
asiatique est un cas d’école. Devenue incontrôlable à la suite de lâchers
intempestifs dans les serres, elle s’attaque, via ses larves gloutonnes, aux
espèces indigènes de bêtes à bon dieu. Elle n’est pas la seule espèce à
donner du souci. Après avoir colonisé la Campine, la grenouille taureau –
elle pèse jusqu’à un kilo! – envahit la vallée de la Dyle et certaines zones
autour de Charleroi, risquant d’étouffer les populations locales
d’amphibiens, déjà mal en point. Autres espèces redoutées pour leur
capacités d’expansion et leurs mœurs irascibles: la tortue de Floride (elle
s’attaque jusqu’aux poussins), l’oie d’Egypte (elle adore les plans d’eau, y
compris en pleine ville, où elle sème la terreur parmi les canards), la
bernache du Canada, le goujon d’Asie, l’écrevisse américaine, etc.
Mais les plantes ne sont
pas en reste. Capables de se reproduire à une vitesse phénoménale, le
Myriophile du Brésil et la Jussie à grandes fleurs entravent l’écoulement de
l’eau des rivières, envahissent les plans d’eau et tuent les poissons.
Superbe mais dangereuse, la Berce du Caucase, introduite dans les jardins
botaniques dans les années 1930, menace de créer de véritables champs
d’ombellifères, comme ceux que l’on peut déjà observer en Tchéquie depuis
les satellites! En Flandre, le merisier américain envahit petit à petit
douze terrains militaires classés zones Natura 2000, censées servir d’abri
à… la biodiversité. Partout dans le pays, la Renouée du Japon colonise les
terrains vagues et s’étend sans retenue, produisant 25 à 30 tonnes de
végétaux par hectare: pas loin du double d’un champs de maïs pour le bétail.
L’Ambroisie:
des allergies jusqu’à l’automne |
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@ J.-J. Alcalay/Biosphoto/Wildlife Pictures |
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L’Ambroisie
ne dépasse jamais un mètre de hauteur et a toutes les apparences
d’une “mauvaise herbe”. Elle a la particularité d’entraîner diverses
formes d’allergies chez 6 à 12% de la population: rhume des foins,
conjonctivite et rhinite, mais aussi asthme et eczéma. Surtout, elle
fleurit très tard (août et septembre), rallongeant ainsi la période
critique pour les personnes sensibles. A l’heure actuelle, sa
présence est encore modérée en Belgique. Mais les botanistes l’ont à
l’œil car sa progression récente aux Pays-Bas et dans le Sud de la
France a été galopante. La résistance et la vigueur de ses graines,
dans le sol, sont étonnantes. |
Un emballement anormal
Panique à bord? Pas
nécessairement. Sur les 2.500 espèces exotiques recensées en Belgique (80 %
sont des plantes et 12 % des invertébrés), seules 2 à 3% peuvent avoir une
incidence économique ou écologique négative. Mais, chez certaines de ces
espèces, un phénomène d’accélération semble se manifester. Soudain, pour des
raisons mystérieuses, une plante jusque là discrète se met à proliférer.
Lorsqu’on découvre ses ravages, il est trop tard pour l’éradiquer. «A
l’échelle de l’Europe, les espèces envahissantes coûteraient 10 milliards
d’euros annuels à la collectivité», déplore Etienne Branquart, de la
Plateforme belge Biodiversité.
Les autorités, chez
nous, semblent avoir compris les appels inquiets des scientifiques. Une
liste noire est dé-sormais établie. Vingt espèces envahissantes, proches de
nos frontières ou présentes occasionnellement, sont désormais frappées
d’interdiction d’importation et d’exportation, de transit ou de détention.
Parmi elles, l’écureuil gris, dont les populations explosent en
Grande-Bretagne et en Italie. En Wallonie, cet été-ci verra, pour la
troisième fois, des dizaines de personnes détruire la fameuse Berce du
Caucase, dans le bassin de l’Ourthe, notamment pour protéger les kayakistes
de ses brûlures. Pas donnée, l’opération: 256 euros par kilomètre de rivière
traitée et trois fois plus pour la Balsamine, une plante qui supplante ses
congénères le long de la rivière au détriment de la flore indigène. La
région bruxelloise, de son côté, s’apprête à limiter les trois espèces de
perruches, qui menacent les populations indigènes de pics et de sitelles.
Mais on s’interroge sur les moyens. Stérilisation? Prélèvement d’œufs au
nid? Euthanasie? Ici et là, comme à Molenbeek, on piège déjà les tortues de
Floride.
Pas de sensiblerie
Les gestionnaires
d’espaces naturels retiennent leur souffle et en appellent à la
compréhension du public: les premières tentatives de limitation des oies
envahissantes, dans les parcs de Bruxelles et de Flandre, avaient valu à
leurs auteurs les menaces de certains “amis” des animaux mal informés. En
Italie, l’opération de limitation de l’écureuil gris qui abîme les arbres en
rongeant l’écorce et qui menace l’écureuil indigène, ont tourné au fiasco:
le public s’est rebellé contre le piégeage du petit mammifère. Trop mignon!
Il faudra des trésors de
pédagogie à ces gestionnaires de parcs et d’espaces naturels pour expliquer
les raisons profondes de ces actions, allant du secouage des œufs (pour
éviter l’éclosion) jusqu’à la chasse ou la destruction pure et simple des
animaux, en passant par l’usage limité et occasionnel de pesticides contre
les plantes. Heureusement, la bonne volonté et la citoyenneté sont parfois
au rendez-vous. L’un des plus grands horticulteurs du pays vient d’arrêter
volontairement la commercialisation des plantes aquatiques placées sur la
liste noire. D’autres commerçants s’apprêtent à l’imiter. Ici et là, en
gérant avec imagination les biotopes envahis (par exemple en surveillant la
hauteur de l’herbe au bord des étangs bruxellois), on parvient à freiner
l’expansion de l’oie d’Egypte. En Wallonie, l’attribution des marchés
d’entretien des espaces verts comprend dorénavant une clause empêchant le
recours aux espèces invasives. La bataille se mènera décidément sur tous les
fronts.
Ph.Lamotte
Chiens viverrins et ratons-laveurs:
un risque de rage? |
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@ Daniel Heuclin/Wildlife Pictures |
Jusqu’il
y a peu, chiens viverrins et ratons-laveurs étaient
quasiment inconnus en Belgique. Depuis plusieurs années, les
seconds sont régulièrement observés le long des frontières allemande
et luxembourgeoise. Le chien viverrin est plus rare. Mais les
biologistes constatent, en Europe, un phénomène de déplacement vers
l’ouest de ces deux espèces de mammifères. Problème: toutes deux –
surtout le chien viverrin – sont des vecteurs de la rage. Leur
déploiement chez nous pourrait compromettre le succès des efforts de
vaccination des renards. Les ratons-laveurs véhiculent également une
douzaine d’agents pathogènes pour d’autres espèces de mammifères,
dont l’homme. Le chien viverrin pourrait également favoriser la
progression de l’échinococcose, une maladie liée à l’ingestion des
œufs d’un petit parasite véhiculé par l’animal. A surveiller. |
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