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Environnement (1er juillet 2010)

 

 

La deuxième vie des terrains vagues

En ville comme à la campagne, le nombre de jardins et potagers collectifs ne cesse de croître. Mini-havres de biodiversité, ils favorisent surtout le lien social et le partage entre voisins. Pour certains, ils agissent comme tremplins vers une nouvelle forme de santé et de bien-être.

 

Imaginez le tableau. Un terrain de deux hectares en pente douce vers la Meuse, paradis des fleurs et des citrouilles, au bout d'un cul-de-sac au fond des campagnes de Hesbaye, à Couthuin (Huy). Tout autour, quelques toits masqués par de grands arbres. Chaque mardi, Olivier, Bruno, Pascale et les autres se saisissent de fourches, râteaux et autres grelinettes afin de cultiver cette parcelle potagère qui fait leur bonheur. Ce groupe d'amis a décidé de mettre en pratique ses idées enthousiastes sur la décroissance, la lutte contre la malbouffe et les énergies renouvelables. “Je vis ici depuis près de trente ans, explique Bruno, le propriétaire des lieux. J’entretenais le potager vaille que vaille. J'avais envie qu'il serve à quelque chose d'autre… Et, surtout, qu'on s'y amuse en échangeant nos expériences, nos recettes et nos astuces autour d'une philosophie commune.”

© Philippe Lamotte

 

 

 

 

 

 

 

 

Le jardin-potager de la rue Gray,

à Etterbeek/Ixelles: un mini-laboratoire fleuri,

pleinement tourné vers son quartier.

 

 

Chacun vient ici quand il l'entend, sans crier gare. Nul besoin de charte, de convention ni de contrat. “Autrefois, les fermes servaient de lieux d'entraide et d'échange entre villageois, rappelle Bruno. Avec notre potager coopératif, cette tradition se perpétue un peu. Cette décision a changé ma vie: il y a ici plus de passage qu'avant, je prends davantage le temps pour les autres et pour les choses qui comptent”. L'été dernier, le potager de cette joyeuse équipe a livré ses premiers trésors à feuilles et à graines: tomates, choux, tétragones, bettes, carottes. Ces maraîchers improvisés y ont conquis un approvisionnement en légumes quasiment autonome par rapport aux étals commerciaux. Leur option? Résolument bio: pas de produits chimiques, compostage à gogo et respect du sol. “Notre projet est vivant. Nous tâtonnons, cherchons sans cesse, nous expérimentons autant nos idées que nos gestes envers la terre. Des horticulteurs de la région nous offrent du broyat pour améliorer notre compost. Donner, c'est plus facile pour eux quand c'est pour du “collectif”… En échange, chacun est assuré de repartir d'ici avec une petite caisse-cadeau de verdure.”

 

Une explosion spontanée

Combien sont-ils comme Bruno et les autres, en Belgique? Des centaines, peut-être des milliers. Car le jardin a la cote. Pas n’importe lequel : le jardin “collectif” ou – au choix – “partagé”, “communautaire”, “coopératif”, “familial”, etc. Loin du jardin privatif cerclé de haies opaques ou de grillages peu avenants, ces jardins de proximité – chaque terme ci-dessus recouvre des réalités un brin différentes – ont pour fils conducteur la mise en commun du savoir, de l'expérience, voire celle de la production maraîchère, et le plaisir d’être ensemble.

L'idée n'est pas tout à fait neuve. Sociales ou hospitalières, quantité d'organisations disposent de longue date d'un jardin d'intégration ou d'insertion permettant à leurs pensionnaires d'occuper leur temps libre, d'exercer quelque talent ou de bénéficier d'une formation professionnelle. Autrefois, patrons et clergé s'étaient accordés pour confier un lopin de terre aux ouvriers ainsi détournés du “cabaret, du désœuvrement et de distractions peu morales et souvent ruineuses”(1). De là, la création des “Ligues des coins de terre”, encore bien vivantes.

© Philippe Lamotte

“Sens dessus dessous” :

une joyeuse bande d’amis autour d’un potager coopératif.

Si le jardin ouvrier n'a pas disparu (en témoignent les centaines de parcelles notamment à Droixhe, Bressoux, etc.), il est aujourd'hui rejoint par de nouveaux terrains d'innovation - tant agronomique que sociale - plus informels, où l'on aurait tort de ne voir qu'un caprice de “Bobos” en mal de singularité. “A l'initiative de citoyens sans moyens ni soutien associatif, des groupes de jardiniers-maraîchers amateurs se forment spontanément un peu partout, tant en ville qu'à la campagne, explique Kari Stevenne, de l'asbl “Le début des haricots”(2). On y trouve tantôt des gens défavorisés, tantôt des gens très conscientisés par l'écologie. D'autres veulent simplement retrouver le contact avec la terre et le goût des choses simples, sans plus. La plupart s'inscrivent en faux contre une manière de vivre où tout – aliments, loisirs, moyens de déplacement – est devenu fade, formaté et standardisé”.

Fait notable: cet engouement est loin de concerner seulement des citadins prétendument éloignés de la nature. “A la campagne, une génération entière a perdu le contact avec la terre et a pris l'habitude de s'approvisionner dans les magasins d'alimentation, constate Grégory Bodson, de la même asbl. Les enfants de cette génération retrouvent une forme d'intérêt pour le travail du sol”. Mandaté par le Ministre wallon de l'Agriculture et de la Ruralité, “Le début des haricots” vient de répertorier une bonne centaine de jardins à Bruxelles et 150 en Wallonie, dont 20 à 25% sont de création toute récente (3). Mais quantité d'entre eux restent encore inconnus et la liste s'allonge tous les jours.

 

Troc et échanges de tuyaux

Objectif du répertoire de l'asbl: favoriser la mise en réseau des initiatives micro-locales qui, tout en se méconnaissant, sont souvent demandeuses d'informations : où acheter les semences à bon prix? Comment améliorer les pratiques? Comment jardiner (éventuellement) bio? Sans oublier cette question: comment rédiger une convention juridiquement solide, qui bénéficie autant au propriétaire du lieu (commune, CPAS, société de logements, fabrique d'église, privé…) qu'aux usagers, notamment en termes d'assurance? “Nous proposons des chartes types que les groupements de jardiniers peuvent adapter à leur gré, explique Kari Stevenne. Nous pouvons aussi fournir des petites aides pour construire un chalet, acheter des outils, payer une formation au maraîchage, etc.” Le but: éviter les doublons et aider les groupements qui veulent diffuser leur expérience, sachant que d'autres ne demandent qu'à en bénéficier.

A Bruxelles, l'engouement maraîcher est tel que les autorités réfléchissent à la mise au point de nouveaux outils d'urbanisme pour les préserver et les développer. Rien que pour les 250 parcelles mises à disposition par l'IBGE, la liste d'attente compte actuellement 150 personnes: tout est occupé. Il est vrai que les autorités locales sont de plus en plus sensibles au rôle de renforcement des liens sociaux – voire de réinsertion sociale – joué par l'espace naturel urbain (lire l’encadré ci-contre).

Seul un ménage sur trois, à Bruxelles, dispose d'un jardin privatif. Alors que le nombre de terrains laissés en friche est important dans la Région, seuls 0,03% de ses habitants disposent d'une telle parcelle mise à leur disposition. A Leipzig et dans d'autres villes allemandes, ce pourcentage grimpe jusqu'à 14%! Pour le propriétaire, privé ou public, l'avantage d'une telle location (au montant souvent symbolique) saute pourtant aux yeux: occupé et entretenu, son terrain ne sert plus de dépôt d'immondices ou à des activités interlopes. Ce genre de “location” peut flatter son image sociale. Surtout, elle revalorise la ville au profit de ses habitants. Tous ses habitants.

// Ph.Lamotte

 

(1) Lire “Du potager de survie au jardin solidaire, approche sociologique et historique”, Philippe Delwiche. Editions namuroises, 253 p. (2006) Infos: 081/72.48.84

(2) “Le début des haricots”: 02/644.07.77 ou 0476/086613 – www.haricots.org/mrjc

(3) Ce chiffre s'ajoute à celui des parcelles mises en location par Infrabel le long des infrastructures ferroviaires, soit (à Bruxelles) 8 hectares.

 

Le jardin, territoire mental d'espérance
Dans son ouvrage “l'Ecologie du bonheur”(1), Eric Lambin, géographe à l'UCL et prix Francqui 2009, répertorie les nombreux travaux de psychologie expérimentale démontrant que, dans toutes les cultures et régions du monde, la mise en contact avec la nature ou sa contemplation a un effet bénéfique sur le bien-être. “Dans un cadre naturel, la capacité de réfléchir à ses problèmes personnels et de les mettre en perspective augmente”.

Comment ne pas penser à ces constats en visitant le potager collectif de la rue Gray, à la limite entre Etterbeek et Ixelles? Potager? Façon de parler, tant les fruits et légumes de cette ancienne friche d'à peine six ares côtoient un déluge fantasque et coloré de fleurs dont certaines espèces sont uniques dans la Région bruxelloise. 

Un sanctuaire, oui! Mais animé. Créé il y a trois ans par un petit groupe de trentenaires passionnés, le jardin Gray avait pour but, au départ, de montrer ce qu'il est possible de “tirer”, en ville, d'un lopin de terre oublié de tous. Très rapidement, l'utilité sociale de ce coin ressuscité a sauté aux yeux de tous. “J'ai trouvé ici une ambiance que je n'ai vécue nulle part ailleurs, s'enthousiasme Timothée, un des "animateurs" improvisés. On met sur pied des barbecues de quartier. Des amitiés solides se nouent. Des étudiants font leur blocus entre les parterres, d'autres visiteurs passent ici quelques heures sans nécessairement parler. Nous aurions pu organiser du théâtre, par exemple. Mais pourquoi? Ce qui se fait ici correspond aux besoins de tous - enfants, ados ou adultes: manger des fruits, contempler des insectes ou des fleurs, rêver... J'ai surtout réalisé, ici, le nombre incroyable de gens en ville qui vivent mentalement seuls. J'ai également vu une jeune fille reformuler son projet de vie après un échec scolaire. Dans un autre jardin partagé que je connais (NDLR: celui de Tour et Taxis), un toxicomane s'en est sorti grâce à l'entretien du potager et l’accueil des visiteurs. Nous devrions mieux nous organiser pour faire connaître ce rôle-là aux CPAS et aux responsables  politiques. C'est tellement moins cher que de lourdes prises en charge en institution…”   

// Ph. L.

(1) “Une écologie du bonheur”. Eric Lambin, 350 p. Ed.Le Pommier (2009).

A lire aussi: “Les Jardins partagés, utopie, écologie, conseils pratiques”, L.Baudelet, F.Basset et A.Le Roy, 157 p. Ed.Terre Vivante (2010).

 


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