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Environnement (4 juillet 2013)

Les messagères de l’amour ont les ailes brisées

© Reporters

Les abeilles se portent mal. Depuis plus de dix ans, elles doivent faire face à une génération de pesticides “trop” efficaces, à des carences alimentaires et à un véritable “monstre”: le – bien nommé – Varroa destructor. Beaucoup trop pour les petites butineuses !

Contrairement à ce qui s’écrit un peu partout, Einstein n’a jamais affirmé que, sans les abeilles, le monde n’aurait plus que quatre années à vivre. Mais s’il avait vécu à notre époque, l e célèbre physicien aurait pu facilement convaincre, par un seul chiffre, de l’importance du drame qui se joue depuis une bonne dizaine d’années dans les campagnes et dans les ruches. En transportant (gratuitement !) le pollen des étamines vers les stigmates(pistils) des plantes, et assurant ainsi leur fécondation et leur reproduction sexuelle, les abeilles rendent aux Européens un service évalué à 22 milliards d’euros selon la Commission européenne ! Des millions d’hectares de cultures doivent ainsi leur épanouissement et leur rendement aux petits hyménoptères.

Or les abeilles ne vont pas bien. Elles s’affaiblissent, semblent désorientées, ne regagnent plus les ruches ou les quittent précipitamment. En Wallonie, les chercheurs ont répertorié pas moins de 48 symptômes différents. Depuis une bonne dizaine d’années, la mortalité à la sortie de l’hiver atteint pratiquement le double de ce qu’elle devrait être en temps normal. Les apiculteurs sont découragés et les biologistes, perplexes.

Ce découragement gagne toute l’Europe même si, curieusement, certaines régions ou sous-régions semblent échapper à l’hécatombe (sud de la France). Aux Etats-Unis, la mortalité moyenne d’Apis mellifera frôle les 30 % depuis sept années consécutives, là où elle devrait normalement plafonner à 15%. Les scientifiques, en tout cas, prennent la chose très au sérieux : depuis 2008, 350 experts issus de 64 pays se réunissent régulièrement au sein du réseau international “Coloss”. Venus des quatre coins du monde, certains étaient présents il y a peu en Belgique, invités par Gembloux Agro Bio Tech (ULg).

Une efficacité à double visage

D’où vient le mal? Des pesticides, très probablement. Au printemps dernier, la Commission européenne a décidé de suspendre partiellement, pour deux ans au moins, trois substances insecticides dites “néonicotinoïdes”. Celles-ci ont la particularité d’enrober la semence et d’agir contre les insectes ravageurs des cultures pendant toute la période de croissance de la plante. Depuis des années, les ONG environnementales s’inquiétaient de cette technique très particulière, qui a pour effet de transformer des milliers d’hectares de cultures – notamment le colza et le lin chez nous – en vastes territoires capables de tuer les insectes(1). Rien ne garantit pourtant, à ce stade, que les néonicotinoïdes sont directement coupables, mais le dépérissement des ruches semble correspondre, étrangement, avec leur arrivée sur le marché.

Ces produits sont suspectés d’affecter la mémoire des abeilles, leur orientation et leur capacité à distinguer les nectars et les odeurs. Leur suspension par la Commission a provoqué un électrochoc. Celle-ci a en effet estimé que les dossiers d’agréation de ces produits étaient entachés d’un manque de précisions. Elle a ainsi jeté indirectement une ombre sur la validité des systèmes de gestion des risques de nombreux produits chimiques en Europe. Rien ne dit pourtant que cette suspension, en vigueur dès l’automne prochain, sera suffisamment longue et radicale pour y voir plus clair quant à leur rôle exact sur les butineuses.

Un environnement appauvri

Tous les spécialistes en conviennent: les pesticides ne sont pas les seuls à mettre sur la sellette. Les experts dénoncent également l’appauvrissement de l’environnement. Dans des régions comme les nôtres, l’urbanisation, l’artificialisation et la banalisation des paysages ne cessent d’appauvrir les ressources mises à la disposition des insectes. Or, les abeilles ont un précieux besoin d’eau, d’hydrates de carbone, d’acides aminés... Deux de ces acides aminés, au moins, semblent particulièrement manquer à leur équilibre alimentaire dans nos contrées.

Enfin, troisième facteur majeur, peut-être le principal selon une majorité de spécialistes : les maladies, parmi lesquelles celles induites par le Varroa destructor, un acarien. Introduite par accident en Belgique en 1984, la bestiole est le cauchemar des apiculteurs. Pour bien situer l’impact redoutable du Varroa sur l’abeille, Kim Nguyen, entomologiste et organisateur du colloque de Gembloux, prend une comparaison: “C’est un peu comme si, proportionnellement, cinq animaux de la taille d’un “lapin carnivore” s’appliquaient à vider un homme de son sang et, de surcroît, à lui inoculer divers virus”.

Trop de commerce ?

A force de traitements, le Varroa a réussi à développer une résistance aux produits acaricides. Parallèlement, des produits de lutte ont été retirés du commerce, si bien que les apiculteurs se sont retrouvés désemparés. Aujourd’hui, certains de ceux-ci manquent de discernement dans l’utilisation des rares produits encore disponibles sur le marché et partiellement efficaces. C’est que l’apiculture, même celle des amateurs (c’est le cas à 99% chez nous), n’est pas forcément ce monde désintéressé et enchanteur tel qu’on l’imagine souvent. Les préoccupations de rendements forcenés (miel, gelée, cire…) et le manque de collaboration entre apiculteurs (face à certaines maladies, il faut parfois détruire les ruches d’une région entière !) peuvent pousser certains à des pratiques défavorables à la viabilité à long terme des ruches. “Trois années consécutives de traitements inadaptés contre le Varroa, et la ruche disparaît”, prévient Peter Neumann, le patron de Coloss.

L’abeille, malade de son environnement au sens large? On aurait tort de ne voir dans le petit insecte qu’un auxiliaire à nos préoccupations de rendements agricoles. Elle est, aussi, un insecte dont l’organisation sociale – passionnante – n’a pas encore livré tous ses secrets. Et, à ce titre, un patrimoine à protéger.

//PHILIPPE LAMOTTE

(1) Outre les néonicotinoïdes, on a retrouvé jusqu’à 18 résidus de pesticides différents dans les ruches wallonnes et… 121 dans les ruches américaines.

Recréer un bout de nature

© Philippe Turpin/Belpress
Protéger les abeilles, c’est facile, pas cher et… bénéfique à bien d’autres espèces malmenées.

La raréfaction des abeilles n’est pas qu’une affaire d’apiculteurs, d’agriculteurs ou de toxicologues. Pouvoirs publics et simples jardiniers peuvent faire beaucoup pour ces insectes, ainsi que l’a démontré une récente journée d’études organisée à Bruxelles par Nature et Progrès et le SPF Santé publique et environnement. Ainsi, dans nos villes, le remplacement de certaines espèces de tilleul (toxiques pour elles) par d’autres essences, inoffensives, est une piste à privilégier. En Wallonie, il semble que les fleurs semées entre les cultures intensives dans le cadre des mesures agro-environnementales (MAE) soient très peu attractives pour les butineuses. Pourquoi ne pas mieux les sélectionner?

Et puis, il y a ces erreurs des jardiniers du dimanche! Expert à l’ULg, Kim Nguyen citait récemment le cas d’une dame qui, pour se débarrasser des pucerons sur ses rosiers, appuyait sur son aérosol insecticide jusqu’à ce que les bestioles agonisantes chutent des feuilles… En réalité, l’insecticide n’est efficace qu’au bout de plusieurs heures. Une telle utilisation erronée a pour effet de libérer dans l’environnement des molécules toxiques et persistantes en quantités bien plus grandes que nécessaire.

Ce genre d’usage nuit aussi aux abeilles sauvages, trop souvent oubliées dans le débat autour de l’abeille domestique. Les abeilles sauvages sont au nombre de 380 espèces en Belgique, dont les célèbres “bourdons”. Or leur déclin continue chez nous alors qu’en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les bourdons se portent mieux grâce, semble-t-il, à l’adoption de mesures agro-écologiques. En Allemagne (mais pas en France ni en Italie), les cimetières militaires sont envahis d’abeilles sauvages. Or les pesticides y sont bannis...

Chez nous, les particuliers sont de plus en plus nombreux à installer des “entomo-refuges”, sortes de constructions spéciales pour insectes, réalisées à partir de branches sèches, tiges creuses, bout de bois perforés et autres briques de récupération. Certains poussent la curiosité jusqu’à y installer des petites éprouvettes. Leur transparence permet d’y suivre pas à pas les différentes métamorphoses des insectes – abeilles sauvages ou autres – ainsi invités dans ces “jardins naturels” et autres “jardins Maya”. Une piste parmi bien d’autres pour agir concrètement.

// PHL

>> Infos : Consulter http://biodiversite.wallonie.be (mots-clés conseillés : “nature au jardin” ou “plan Maya”). Ou : www.natagora.be rubrique “Agissez vous aussi” – 081/39.07.20

 

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