Enseignement
(19 mars 2009)
Mixité
sociale:
remettre l’ouvrage sur le métier
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@Tim Pannel/Corbis |
Le décret “Mixité”
a augmenté le stress
dans beaucoup d’écoles secondaires.
Comment
les jeunes qui entreront en secondaire en septembre 2010 devront-ils
s’inscrire en première année? La question reste largement ouverte. Mais il
est fort probable que les procédures seront différentes de celles qu’ont
connues les jeunes qui vont entamer le premier degré en septembre prochain.
Le
décret “Mixité sociale”, mis en place pour réparer les effets pervers du
décret “Inscriptions”, a montré ses limites. Adopté le 17 juillet 2008, il
voulait «faire de l’inscription dans l’enseignement secondaire un moment
privilégié entre les enfants, les parents et les enseignants, dans un souci
de transparence et d’objectivité». Cette ligne directrice, généreuse et
nécessaire, n’a malheureusement pas été rencontrée et la mise en œuvre de ce
texte s’est souvent révélée contre-productive. Le ministre responsable de
l’Enseignement l’a d’ailleurs reconnu lui-même, non sans courage. Il faudra
donc une nouvelle fois remettre l’ouvrage sur le métier. Et ce n’est pas
simple. D’ailleurs, d’autres pays européens sont également à la recherche
d’une solution satisfaisante.
Lutter
contre les écoles ghettos
L’importante étape de l’entrée dans le secondaire
aura été (et reste) une source d’inquiétude et de frustration pour
un certain nombre d’élèves. |
Rétroactes. Le 28 février
2007, Marie Arena, alors ministre de l’Enseignement en Communauté française,
fait voter le décret “Inscriptions” pour promouvoir la mixité sociale dans
les écoles et concrétise ainsi l’une des priorités du “Contrat pour
l’Ecole”, le refus des écoles ghettos. Cela fait plusieurs années que des
pédagogues mettent en garde contre les clivages croissants entre les écoles,
dont témoignent notamment les résultats des études “Pisa”.
Le décret fonctionne sur le
principe du “premier arrivé, premier servi”. On connaît la suite: le 30
novembre 2007, date du début des inscriptions, c’est la ruée vers quelques
établissements libres et officiels très prisés. Des parents passent une,
voire plusieurs nuits, devant certaines écoles, essentiellement dans le
Brabant wallon et à Bruxelles. Les “files” provoquent des polémiques
acharnées et, dès le 30 novembre, la ministre souligne la nécessité
d’évaluer le processus des inscriptions pour l’améliorer. Cette tâche
incombe à Christian Dupont qui succède à Marie Arena, partie au gouvernement
fédéral. Il fait voter un nouveau décret en juillet 2008. Le texte entend
poursuivre le même objectif – lutter contre les écoles ghettos – mais en
fournissant une alternance efficace, équitable et sereine aux files
d’attente dans certains établissements scolaires. Il entend permettre à
chaque parent d’inscrire librement son enfant dans l’école secondaire de son
choix (un droit inscrit dans la Constitution), mais garantir également la
transparence et l’objectivité tout au long du processus d’inscription par la
mise en place de critères clairs et précis.
Tirage au sort
Un dispositif compliqué est
élaboré pour atteindre ces objectifs. Il comprend quatre phases: du 1er au
15 novembre, l’inscription des élèves dits “prioritaires” sur base d’un
certain nombre de critères (avoir un frère, une sœur ou un parent dans
l’école, avoir des besoins spécifiques, être un futur interne, être en
situation précaire, suivre un enseignement en immersion, fréquenter une
école adossée). Du 15 au 30 novembre: inscription de tous les autres élèves.
Troisième phase: dans les écoles où la demande dépasse l’offre disponible,
les élèves sont départagés sur la base d’un tirage au sort. Cela étant fait,
l’école doit vérifier si la proportion d’élèves fréquentant une école
primaire moins favorisée est atteinte parmi les élèves classés en ordre
utile. Enfin, quatrième et dernière phase, il reste aux écoles à informer
les parents des résultats.
Choquant, le principe du
tirage au sort – qui vaut au décret le surnom de “décret Lotto” – paraît
relativement éloigné des “critères clairs et objectifs” prônés par le
décret. Et il provoque la panique, y compris dans des écoles où il n’y avait
pas eu jusque là de problème d’inscription notoire. Effrayés à l’idée de ne
pas pouvoir inscrire leur enfant dans l’école de leur choix, certains
parents multiplient les inscriptions. Résultat: en février dernier,
plusieurs milliers d’élèves – malchanceux au tirage au sort – n’étaient
toujours pas inscrits. Certains parents essaient alors de faire suspendre le
décret contesté. Mais la Cour constitutionnelle rejete leur demande,
estimant que cela créerait une “insécurité juridique” pire encore, une large
majorité d’élèves étant inscrits selon les règles.
Des relations
familles-écoles chahutées
Pendant ce temps, les écoles
comparent leurs listes pour débusquer les inscriptions multiples et prier
les parents de faire connaître leur choix. Rien, toutefois, ne les y
contraint. De nombreux observateurs estiment qu’il faudra attendre septembre
pour voir le contentieux se résorber complètement. En attendant, le décret,
avec sa pratique contestable de tirage au sort, est passé à côté de
plusieurs de ses objectifs. Loin d’assurer la sérénité, il a augmenté la
charge de travail et de stress dans maints établissements scolaires. Il a
aussi contribué à chahuter les relations entre les familles et les écoles.
De très nombreuses familles n’ont rien compris au dispositif et cela a
incité certaines d’entre elles à paniquer, même s’il n’y avait pas lieu. Ce
climat a encore augmenté la “désirabilité” de certains établissements qui
n’en avaient pas besoin. Enfin, l’importante étape de l’entrée dans le
secondaire aura été (et reste) source d’inquiétude et de frustration pour un
certain nombre d’élèves.
Le décret va sans doute à
nouveau être réformé. Battre en brèche un enseignement à deux vitesses et
assurer un enseignement de qualité et des chances égales de réussite à tous
les enfants sont des objectifs prioritaires dans une société démocratique.
L’inscription est certes une étape, mais la reconnaissance de l’égale
dignité des différentes filières, le travail sur les contenus, la formation
initiale et continue des enseignants, en sont d’autres, tout aussi
importantes. Il est urgent de cesser de les séparer.
Anne-Marie
Pirard
Etre
inscrit n’est pas un gage
de réussite
“La mixité
sociale ne se décrète pas”, entend-on souvent dire. Des inscriptions mixtes
doivent en tout cas s’accompagner d’une pédagogie de la réussite.
"Les
inscriptions obligatoirement “mixées” en première vont-elles aboutir, toutes
autres choses restant ce qu’elles sont, à plus de réussite, donc à plus de
mixité sociale en sixième et au-delà, dans l’enseignement supérieur? C’est
évidemment le véritable enjeu», souligne Marthe Mahieu (1),
ancienne directrice appréciée d’une école secondaire où elle avait fait de
la réussite et de l’épanouissement de chaque élève un projet et une réalité.
La remédiation a été réduite à la portion congrue
dans les écoles. |
En effet, l’inscription dans
un établissement scolaire n’est en rien une garantie de réussite. Des
inscriptions “mixtes” doivent s’accompagner d’une pédagogie de la réussite.
Or, la plupart des écoles “réputées” pratiquent au contraire une sélection
sévère, s’enorgueillissant d’avoir douze classes en première année et trois
en dernière… Résultat: un quart de jeunes avec «des airs de gamins en
train de comprendre que, dans quelques temps, ils ne seraient plus des
gamins, mais des docteurs, des avocats, des chercheurs, des hommes et des
femmes d’affaires, des gens importants; des airs de “on ne sait pas comment
on sera, mais on en fait déjà partie”» (2), et trois
quarts de jeunes qui souffrent de l’échec, de l’exclusion et d’une
douloureuse perte de confiance en eux-mêmes… Le bilan est lourd!
Encore faut-il préciser que,
dans le quart des élus, certains ne parviennent à se maintenir dans la
course qu’à grand renfort de cours particuliers dispensés par des profs –
parfois les leurs – ou de ces entreprises de soutien scolaire qui font
florès. En effet, les décrets “budgétaires et restrictifs” alternant avec
les décrets “généreux”, la remédiation est passée à la portion congrue dans
les écoles. Et un certain nombre de jeunes qui auraient, eux aussi, bien
besoin d’un petit coup de pouce doivent y renoncer quand le coût excède le
budget de leur famille…
On est loin de l’école de la
réussite.
Encadrement différencié
Marthe Mahieu remarque
encore que «les adolescents ne se situent pas facilement dans un
environnement dont ils ne maîtrisent pas les codes» et souligne que
«ceci n’est pas toujours lié au facteur économique». Entamer des études
secondaires dans un milieu que l’on ne maîtrise pas n’est pas un facteur de
réussite. C’est pourquoi l’économiste Robert Deschamps (Facultés
universitaires de Namur) plaide pour une gestion souple des inscriptions et
pour une gestion stricte de l’attribution des ressources: les écoles
recevraient davantage de subsides pour des élèves issus de milieux modestes
et plus encore pour des élèves issus de milieux défavorisés que pour des
élèves issus de milieux aisés. Cela permettrait aux écoles qui accueillent
les élèves les plus fragiles d’avoir plus d’enseignants et plus de matériel,
de mettre en place une pédagogie adaptée et d’organiser une remédiation
efficace (par exemple, une étude dirigée gratuite après les cours ou
l’engagement de professeurs de français ou de langue étrangère, etc.),
augmentant ainsi leur attractivité.
Un mécanisme assez proche de
celui-là inspire “l’encadrement différencié” annoncé par le ministre Dupont
en lieu et place des actuelles discriminations positives. Il entend ainsi
renforcer les moyens attribués aux écoles qui accueillent un public scolaire
socialement, économiquement et culturellement peu favorisé. Tous les cinq
ans, une étude interuniversitaire classera toutes les implantations
maternelles, primaires et secondaires sur la base de critères objectifs. Les
pouvoirs organisateurs seront libres du choix de l’affectation de ces
subsides pour rencontrer les besoins spécifiques de leurs élèves. Cet
encadrement différencié, d’un montant de 40 millions d’euros, entrera en
vigueur en 2009-2010 pour une phase transitoire d’un an et passera en régime
définitif dès 2010-2011.
A suivre donc…
AMP
(1) Dans “Entrées libres” n° 36 de février 2009.
(2) Lucien Noullez, “L’érable au cœur”, Récit, L’Age
d’Homme, 2009.
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