Enseignement
(2 avril 2009)
Intégration scolaire des enfants
avec handicap: oser
créer!
Trop
souvent, l’équation “enfant handicapé égale enseignement spécialisé” semble
inéluctable. L’accueil d’un enfant avec des besoins spécifiques dans une
classe ordinaire est pourtant possible. Une journée d’étude a passé en revue
les pistes de collaboration entre enseignements spécialisé et ordinaire. Ce
défi exige un changement profond des mentalités.
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@ Jennie Woodcock/Corbis |
"De
la haute-couture et non du prêt-à-porter!”. Cette citation non dénuée
d’humour de Jean-François Delsarte, Secrétaire général adjoint de la
Fédération de l’enseignement fondamental catholique, pourrait résumer à
elle-seule les débats du 14 mars dernier, lors d’une journée organisée
par la Ligue des droits de l’enfant. Chaque enfant, qu’il soit dit
“ordinaire” ou “extraordinaire”, a des besoins spécifiques en termes
d’éducation, de rythme d’apprentissage, de mémorisation, et donc
d’évolution. Dès lors, qui doit s’adapter à l’autre: l’élève ou l’école?
Car si seulement 200 élèves avec des besoins spécifiques en Communauté
française vivent un processus d’intégration dans l’enseignement dit
ordinaire, les discussions auront permis d’avancer graduellement vers
l’atteinte du but ultime (réaliste?): l’inclusion de l’enfant
“extraordinaire” dans le système scolaire et non sa “simple”
intégration. Une inclusion qui nécessite un réel changement de mentalité
pour accueillir tout enfant, quel qu’il soit (donc même avec handicap),
dans l’enseignement qui correspond le mieux à ses besoins. En attendant
l’atteinte de cet idéal, Jean-François Delsarte précise que le but de
l’intégration n’est pas que tous les enfants atteignent les mêmes
compétences à l’issue de leur scolarité mais bien qu’ils aient développé
divers apprentissages au meilleur de leurs potentialités.
Du neuf sur les bancs
du législatif
Bien que l’article 28 de la
Convention des droits de l’enfant stipule que «tout enfant a droit à une
éducation de qualité», encore faut-il adapter ce beau principe à la réalité.
Qu’en est-il en Belgique francophone? Avant le décret du parlement de la
Communauté française du 3 février 2009, l’on peut clairement parler de
A force de ne pas souvent se côtoyer ni se parler,
les deux filières d’enseignement finissent par avoir des craintes
l’un de l’autre. |
méconnaissance entre
enseignements spécialisé et ordinaire. Comme le rappelle Patrick Beaufort du
cabinet du ministre de l’Enseignement, «ces deux mondes ne se côtoient
pas, ne se parlent pas et donc cela engendre des craintes de l’inconnu».
Des expériences pilotes existent néanmoins mais le soutien financier et
pédagogique nécessaire ne suit pas. Jusqu’à février, seuls les enfants ayant
des troubles moteurs (enseignement spécialisé dit de type 4), une déficience
visuelle (type 6) ou auditive (type 7) pouvaient suivre les cours de
l’enseignement ordinaire moyennant quelques aménagements. Pour ce faire, les
parents devaient obligatoirement inscrire leur enfant dans l’enseignement
spécialisé, enseignement que l’enfant devait fréquenter durant minimum trois
mois avant de passer dans l’ordinaire. Quatre malheureuses heures par
semaine étaient données par un enseignant issu du spécialisé. Un peu maigre
pour réussir pleinement une intégration.
A présent, tous les enfants
vivant une situation de handicap ou malades peuvent – réglementairement
parlant – bénéficier de cette intégration. Le terme “enfants ayant des
besoins spécifiques” est préféré à “enfants en situation de handicap ou de
maladie”. Le passage obligatoire par les trois mois en enseignement
spécialisé est supprimé. Enfin, les responsables d’établissement, tous
réseaux confondus, doivent inscrire dans leur projet d’école leur volonté
d’intégrer ces enfants “extraordinaires”. Attention! Cela ne signifie en
rien le décès prématuré de l’enseignement spécialisé car tous les enfants
avec des besoins spécifiques ne peuvent suivre les cours de l’enseignement
ordinaire. Des conditions sine qua non sont essentielles à la réussite d’un
“contrat” de collaboration entre les deux enseignements. En outre, la
réussite n’est pas d’emblée assurée…
Collaboration
et déspécialisation
Afin de ne pas rendre
inéluctable l’équation “enfant handicapé = enseignement spécialisé”, un
travail de coordination doit être fourni autour des acteurs principaux.
Enfants, parents, enseignants, directions, centres PMS et intervenants (ex:
logopèdes) ont tout intérêt à jouer la carte de la collaboration plutôt que
de la spécialisation. Cela dit, des contraintes administratives comme la
gestion du dossier de l’élève ou l’octroi des périodes d’accompagnement
spécifique peuvent freiner les initiatives, aussi belles soient-elles.
Des conditions
indispensables pour garantir un maximum de succès aux projets de
collaborations sont à pointer. Tout d’abord, l’école ordinaire accueillante
doit être accessible tant du point de vue admissibilité (donc l’inscription
administrative) de l’élève avec des besoins spécifiques que de celui de la
mobilité (enfants à mobilité réduite, déficiences visuelles ou auditives).
Cette accessibilité se traduit également par la nécessité d’adapter les
épreuves certifiantes pour les enfants concernés, comme le Certificat
d’étude de base (CEB) délivré en fin de 6ème primaire. Jusqu’à présent,
exception faite des enfants présentant des troubles visuels, auditifs ou
moteurs, les tests d’évaluation ne sont pas adaptés. Pour des enfants avec
déficience mentale par exemple. Or Jean-Pierre Coenen, président de la Ligue
des droits de l’enfant, rappelle que la différence majeure entre l’enfant
ordinaire et l’enfant, extraordinaire réside souvent dans la vitesse
d’apprentissage et non dans une différence de capacités intellectuelles.
Ensuite, la formation
initiale et continue des enseignants et intervenants doit être assurée. En
effet, très peu de futurs pédagogues reçoivent un cursus spécifique abordant
les étapes du développement de l’enfant en situation d’handicap ou de
maladie chronique. Cette recommandation rejoint celle d’Altéo, mouvement
social des personnes malades, valides et handicapées qui estime qu’au moins
un module de formation par an sur le handicap devrait être obligatoire dans
les programmes de cours des futurs intervenants (enseignants, assistants
sociaux, etc.). Le mouvement ajoute à cela une sensibilisation accrue des
chauffeurs de transport scolaire et une adaptation des normes afin de rendre
le trajet plus sécurisé et plus confortable (avec dans l’idéal, un maximum
de deux heures de trajet par jour).
Enfin, l’accès à
l’information doit être facilité pour les parents – d’enfants avec handicap
mais aussi les autres – pas toujours au fait des décrets et autres textes
légaux. Pour ce faire, un vade-mecum est en cours de finition et sera
diffusé, courant juin, à tous les acteurs impliqués dans la gestion des
projets individualisés de collaboration entre enseignement ordinaire et
spécialisé (1). Des projets qui touchent bien plus qu’à l’école. A la
société en fait...
Cécile
Histas
En savoir
plus: Ligue
des Droits de l’Enfant:
www.ligue-enfants.be - 02/465.98.92.
(1) Ce
document sera téléchargeable sur le site
www.enseignement.be
Témoignages |
“J’ai peur de ne pas avoir de copains”
En septembre
prochain, Sébastien V., adolescent de 12 ans atteint d’autisme,
rejoindra les bancs du Collège Saint-Guibert de Gembloux grâce à la
collaboration entre les parents, la direction de l’établissement et
une détachée de l’IRSA (Institut royal pour sourds et aveugles).
«J’attends avec impatience la rentrée, même si j’ai peur de ne pas
me faire de copains et de me retrouver seul. En plus, j’ai horreur
des bruits trop forts et des profs qui me crient dessus. Je deviens
nerveux s’il y a trop de changements». Véronique Henry,
directrice du 1er degré, rassure Sébastien. «C’est le
second enfant autiste que nous accueillons. Depuis 10 ans, nous
avons ouvert les portes à des enfants extraordinaires et personne ne
le regrette au niveau de l’équipe. Comme l’adhésion de tous est une
condition pour entamer l’expérience, cela laisse présager d’autres
accueils».
“C’est fou, ce que l’on a appris l’un de l’autre!”
Le chercheur en
Sciences de l’éducation, Philippe Tremblay ULB), a présenté un
modèle de co-enseignement. Objectif? Arriver à deux enseignants
(l’un du spécial et l’autre de l’ordinaire) à temps plein dans une
classe comptant aussi bien des enfants ordinaires
qu’extraordinaires. Les premiers ne sont pas informés en début
d’année scolaire de la présence de camarades issus du spécialisé
(ici de type 8, soit troubles instrumentaux) même si rapidement, les
langues se délient. D’où l’importance d’une information accrue aux
élèves et aux parents. Ainsi, aucun enfant n’est étiqueté
“différent” en début d’année scolaire. La méthode se base sur
l’évaluation des élèves sur les plans scolaire, comportemental et
psychosocial. Deux institutrices, Mesdames Scalliet et Monseu, ont
relevé le défi dans une classe de 2ème primaire. Elles
témoignent...
«Après un an et demi de travail en commun, notre collaboration
touche malheureusement à sa fin! C’est fou ce que l’on a appris
l’une de l’autre mais également au contact des élèves dont six
présentaient des troubles instrumentaux. Il s’agit d’enfants qui
n’ont jamais commencé dans l’enseignement spécialisé et ont de suite
intégré le circuit ordinaire en 1ère année primaire, vu
qu’il n’existe pas d’enseignement maternel pour les enfants dits de
type 8. Cette expérience pilote a permis à chaque acteur de mieux
connaître et donc intégrer le vécu de l’autre. Et aussi de connaitre
la méthodologie de l’autre type d’enseignement. Nous avons mis en
place un système de communication aux parents: une lettre
personnalisée écrite par nous deux, tous les deux mois. Cette lettre
reprend les progrès réalisés dans le comportement général, le
français et les maths et en logopédie. Informer et rassurer les
parents était fondamental, de même que garder des contacts avec les
autres collègues. Quant aux élèves, nous avons vu le changement de
regard des uns sur les autres. Accepter la différence était un
objectif en soi…objectif atteint selon nous». |
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