Enseignement
(18 février 2010)
L’école t’accroche ou tu
raccroches ?
Décrocher
parce qu’on n’a plus envie d’être dans le système, s’absenter parce qu’on a
une maladie qui nécessite un lourd traitement, arrêter l’école parce qu’on
est enceinte ou parce qu’on doit aider ses parents à la maison : les causes
de décrochage scolaire sont multiples. Ce problème ne laisse pas
indifférent. De nombreuses associations, écoles et institutions explorent
ses diverses facettes pour tenter d’y remédier.
|
©
Belpress |
L’adolescence est une période
difficile : on se construit, l’apparence change, on doit faire des
choix importants pour sa vie future… Un moment de la vie pendant
lequel certains jeunes sont plongés dans un mal-être profond. Au
niveau scolaire, parfois, cela se complique.
En juin 2009, le
Conseil de l’éducation et de la formation en Communauté française a démontré
que la Belgique enregistre un taux de 12,3 % d’abandon scolaire prématuré.
Moins que la moyenne européenne (15%), certes. Mais ce pourcentage cache des
disparités régionales. Bruxelles arrive en tête avec plus de 20 % de
décrochage scolaire ; la Wallonie suit avec 15% ; la Flandre, elle, est
dernière au classement avec moins de 10 %. «Les jeunes qui se désintéressent
de l’école sont majoritairement des garçons, soit plus de 75 % des
décrocheurs, précise Ghislain Plunus, assistant-chercheur à l’Unité de
didactique générale de l’Université de Liège. Les psychologies masculine et
féminine sont différentes. La jeune fille, à cette période de sa vie,
manifeste son malaise par un repli sur elle-même. Le garçon, lui, va plutôt
jouer au caïd et se rebeller contre l’autorité.»
Etre présent mais…absent
Quand on évoque
le décrochage scolaire, on l’assimile souvent au fait de ne plus venir à
l’école. Or, un élève peut être physiquement présent en classe mais,
mentalement, ne pas suivre du tout les cours et, de là, se mettre en
situation de décrochage. Louise Langevin, professeur de Droit à l’Université
du Québec à Montréal (1) précise : «Ceux-là attendent
la fin de l’obligation scolaire. Ils s’absentent régulièrement et n’ont plus
aucune motivation à fréquenter les cours.» A l’Institut d’enseignement
technique Notre-Dame de Charleroi, on a défini le décrochage par un
«absentéisme important, des retards réguliers aux cours ou lorsque le jeune
erre dans l’école plutôt que d’être en classe», explique Anne Lepage,
responsable de la cellule d’accrochage scolaire « La Passerelle » au sein de
cet établissement.
Le phénomène du
décrochage scolaire est complexe. Il ne résulte pas d’un seul
dysfonctionnement scolaire, familial, sociétal ou du jeune lui-même. Anne
Lepage le décrit dans sa diversité : «Les élèves se retrouvent dans cette
situation à cause d’une dépression, d’un problème de santé mentale, d’une
maternité, d’assuétudes, de conflits intrafamiliaux, parce qu’ils doivent
aider leur famille, parce qu’ils se voient contraints à vivre dans la rue ou
parce que leurs parents ont des problèmes financiers… Certains également
évoquent des causes liées directement à l’école : la difficulté de
s’intégrer dans un groupe de pairs, un mauvais choix d’orientation ou leurs
échecs répétés.»
En Belgique, le
redoublement est très courant : «Selon les indicateurs de l’enseignement
(2), presque un enfant belge sur trois accumule un
retard scolaire arrivé à mi-parcours des années secondaires, poursuit
Ghislain Plunus. Nous entretenons donc une culture de redoublement, ce qui
n’est pas le cas dans les pays scandinaves par exemple. Ces échecs vécus par
les jeunes leur donnent une mauvaise image d’eux-mêmes et du système
scolaire.»
Des pistes pour accrocher
Cerner les
éléments qui ont amené le jeune à se désintéresser de l’école et l’aider à
trouver des solutions pour le réintégrer au système scolaire : tels sont les
objectifs des Services d’Accrochage Scolaire (au nombre de treize en
Communauté française) ou d’autres initiatives internes ou externes aux
écoles. «Dans notre structure, on prend du temps avec le jeune pour
s’arrêter, faire le point avec lui, explique François Saucin, le
coordinateur de Rond-Point, une asbl externe aux écoles active dans la
région de Charleroi. On lui montre qu’il a de la valeur ! Ce sont souvent
des jeunes abîmés par les remous de la vie. Avec lui, l’équipe de
psychologues, d’assistants sociaux et de professeurs réfléchit à son
avenir.» Le jeune est amené à reprendre confiance en lui, à mieux réaliser
la signification de la formation dispensée par l’école. Il travaille sur son
projet d’avenir en rencontrant, par exemple, une personne qui exerce le
métier qu’il voudrait faire plus tard. Il va également avoir des activités
pour retrouver une estime de lui-même. Par des activités ludiques, de
réflexion, il (re)découvre petit à petit ses qualités. «Ces services
d’accrochage servent à réintégrer l’élève, à terme, dans le système
scolaire», continue François Saucin.
A Rond-Point, le
jeune n’est présent que pour quinze jours. «Il faut éviter l’effet
‘cocooning’, explique le directeur. Ici, le jeune est constamment en
présence de deux professeurs. Il est suivi personnellement. Ce n’est pas la
réalité de l’école.» L’adolescent arrive à la suite d’une demande du PMS ou
du corps professoral. L’école est donc un partenaire privilégié dans ces
démarches. Mais, pour que le processus réussisse, le jeune doit marquer son
accord. Il passe un contrat avec les membres de l’association et son école,
qui lui propose un parrain dans l’équipe de ses professeurs. Sa famille est
également associée à ce cheminement par des rencontres régulières.
«Parfois, le
jeune préfère ne pas en parler à ses parents, témoigne Anne Lepage. Notre
rôle est aussi de l’écouter et de comprendre comment il est arrivé à cette
situation.» La Passerelle se veut un endroit accueillant au sein-même de
l’école, une petite bulle d’air frais qui se prête aux confidences. « Les
élèves savent où me trouver, continue l’assistante sociale. S’ils ne
viennent pas me parler spontanément, les éducateurs ou les professeurs
viennent m’interpeller sur des situations inquiétantes. Cette cellule de
prévention est bien institutionnalisée au sein de l’établissement. Les
parents reçoivent des informations concernant notre travail d’accrochage
scolaire au début de l’année.»
Un travail de collaboration
«Il n’y a pas
de réponse unique à ce problème car les causes sont diverses et
concomitantes.», conclut François Saucin. Le travail d’accrochage est un
parcours de longue haleine mais il en vaut la chandelle : tant pour l’élève,
qui arrête de se mettre en danger, que pour les associations, qui voient
ainsi les effets positifs de leurs actions. Et Anne Lepage de se réjouir :
«Le décrochage est le symptôme d’un dysfonctionnement : en travaillant sur
cette problématique, petit à petit, nous l’appréhendons mieux et nous
personnalisons de plus en plus nos réponses.»
// Virginie Tiberghien
(1)
L.Langevin, L'abandon scolaire, on ne naît pas
décrocheur, éditions Logiques, 1994.
(2)
Téléchargeables sur www.enseignement.be
Surfer et ne pas décrocher !
Des initiatives d’accrochage apparaissent également
sur internet. Elles veulent sensibiliser les décrocheurs par un média très
en vogue auprès de la jeune génération. En Belgique,
www.jaccroche.be
s’adresse aux jeunes, aux parents et aux professionnels. L’adolescent va
pouvoir lire le témoignage d’Enver, Semira ou Antoine qui, comme lui,
décrochent ou ont décroché et il pourra découvrir comment ils s’en sont
sortis. Les jeunes parlent aux jeunes, expliquent pourquoi ils en sont
arrivés là. Leur donner des pistes pour trouver une écoute, une aide à
reprendre le chemin de l’école, j’accroche.be reprend une liste de projets
en place pour raccrocher. Parents, enseignants, psychologues… pourront
également y trouver des réponses à leurs questions : accompagner le jeune
dans ses démarches, essayer de le comprendre et de décortiquer la situation
pour découvrir les causes de son décrochage.
Souvent pris
en exemple en matière d’éducation, le Québec semble être confronté à un taux
de décrochage scolaire particulièrement élevé. 30 % des jeunes n’obtiennent
pas leur diplôme du Secondaire. Face à cette situation, de nombreuses
initiatives naissent de l’autre côté de l’Atlantique et, notamment, le site
internet www.uneplacepourtoi.qc.ca , qui s’adresse directement aux
adolescents. Cette plateforme veut sensibiliser les jeunes à leur avenir,
sans pour autant tomber dans la culpabilisation. Job intéressant, meilleur
salaire, bonne santé : les exemples, parfois un peu caricaturaux, y sont
nombreux pour montrer l’importance d’obtenir son diplôme du Secondaire. Et
les pages internet sont ponctuées d’une petite phrase de motivation :
«Allez, prends la chance d’essayer, tu en es capable !» Des témoignages de
jeunes et des pistes pour inciter le jeune à rester à l’école sont en ligne.
Parents, amis… deviennent également les partenaires privilégiés dans
l’intégration du jeune à l’école. Il est important que l’entourage scolaire,
familial ou amical soit à son écoute. Et, au-delà de l’écran du PC, que tout
ce petit monde se parle et essaie de se comprendre afin d’éclaircir le fond
du problème.
>> Rens. :
www.jaccroche.be •
www.uneplacepourtoi.qc.ca
|