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Enseignement (5 mai 2005)

 

Découvrir Auschwitz à 20 ans

Fin mars, à quelques jours du soixantième anniversaire de la libération des camps, des élèves du collège Notre-Dame de Bon-Secours de Binche ont visité Auschwitz et Birkenau, en Pologne. Un rendez-vous avec l’histoire, riche en émotions.

Quand le car s’arrête devant l’entrée du camp d’Auschwitz, il y a comme un petit moment de flottement. Nous y voilà enfin... Et en même temps, ce n’est pas exactement comme ça qu’on l’imaginait. Chacun a en tête l’image, universelle, des rails qui passent sous le porche de Birkenau, ou celle du portique au célèbre “Arbeid Macht Frei”. Au lieu de cela, un bâtiment de briques rouges, flanqué d’une cafétéria. Passé le hall d’entrée, au-delà d’une pelouse un peu pelée, le camp est là, avec son portique, ses miradors. Et, pour avoir été ainsi différée, l’image est d’autant plus forte. Sur la droite, des ouvriers sur un toit réparent un baraquement...

Benjamin Silberberg a aujourd’hui 80 ans. Originaire de la région de Charleroi, il a été déporté en septembre 42, avec son père et son jeune frère. Depuis quelques années, il va dans les écoles pour témoigner de son expérience concentrationnaire, et accompagne des classes dans leur visite des camps : "Je suis entré par cette porte". Le commandant Frisch nous a dit “Ici, ce n’est pas un sanatorium, c’est un camp de concentration: on rentre par la porte, mais on sort par la cheminée... Un peu comme Saint-Nicolas… Vous savez, chez nous, personne ne savait rien d’Auschwitz et des camps d’extermination, personne n’aurait pu l’imaginer...”

De beaux arbres bordent les allées bien entretenues qui mènent aux baraquements de briques rouges à deux étages... “De beaux arbres, et des fleurs dans l’entrée, les Allemands aimaient beaucoup ça. Mon trajet en train depuis Drancy a duré trois jours. Nous sommes arrivés à l’aube du quatrième jour. Nous étions 80 par wagon. J’avais fui la Belgique quand ont commencé pour les juifs les interdictions de travailler, les recensements... Quand je suis sorti du train, je me suis rendu compte que j’avais voyagé avec des morts. Je n’avais que 17 ans. J’ai été élevé comme vous… on ne m’a pas appris qu’un jour, je marcherais sur des morts.”

Très vite, les élèves posent la question des évasions. Etait-il vraiment impossible de sortir d’ici ? Des évasions, nous explique Dorota, notre guide, il y en a eu. Mais bien peu ont réussi, alors que toutes étaient suivies de représailles. “Quand je suis rentré, il y avait un groupe, ici tout le long, explique Benjamin, en montrant un long encadrement de bois. Des hommes et des femmes, pendus par les mains tordues et liées dans le dos, parce qu’un Polonais s’était évadé et qu’on ne l’avait pas retrouvé. Toute sa chambrée a été, soit pendue, soit fusillée. Il ne faut pas oublier qu’un évadé polonais se trouvait dans son pays, il avait donc, de temps en temps, une chance... Mais les autres ? Où aller ? Vers qui se tourner ?

On avait peur de son prochain, il vous dénonçait pour un morceau de pain ou un peu de soupe.”

 

Demain, ça peut revenir...

Entre 40 et 42, les détenus étaient pris en photo à leur arrivée au camp. Ensuite, par économie et “parce que les gens changeaient trop vite”, ils ont été tatoués : “Moi j’avais l’étoile jaune, et un numéro tatoué à l’encre de Chine, sur le bras. 178678. C’était il y a soixante ans et il est toujours là.”

Dans le musée du camp, les “objets”, comme on les appelle: les montagnes de valises, chaussures, lunettes… trouvés dans les hangars en 45, mais aussi tous ces cheveux, dont on ne sait plus trop que faire. “Je n’aime pas les musées des horreurs, dit Théo Klein, président du CRIF (1), mais des gens ont peut-être besoin de cela pour comprendre ce qui s’est passé.”

Plus loin, le block 11, le Block de la Mort, le seul resté en l’état. Les murs sont couverts d’une étrange peinture, vermicelles rouges et verts sur fond bleu. Dans le couloir, des photos : Janina Bleberg, juive polonaise, 16 ans, les yeux rieurs, des fleurs dans les cheveux et le matricule 427537. Et puis Charlotte, Natalia, Zénon ou Jozef. Au sous-sol se trouvaient les cachots de famine, dans lesquels les détenus étaient enfermés sans nourriture pendant deux ou trois semaines, jusqu’à la mort par inanition. D’autres cachots sont si petits qu’il était impossible au prisonnier de s’asseoir, ou de rester debout. Au dehors, la lumière est poudreuse et le ciel bleu pâle, des jeunes filles sont assises sur les marches du Block 9, enroulées dans de grands drapeaux israéliens.

Et puis enfin, ce bâtiment recouvert d’un talus dont émerge une grande cheminée: l’ancienne morgue, transformée en chambre à gaz, et tout à côté, les crématoires. Le trouble est tel que l’esprit semble chercher une diversion, quelque chose à quoi s’accrocher, par exemple le bleu étrange des murs, ou l’œilleton de la porte, au travers duquel les SS pouvaient observer la mort à l’œuvre.

Sur le chemin du retour, les élèves s’agrippent et cherchent le contact. “Je pense à mes nièces, dit Christelle une élève du collège, et à toutes ces petites filles qui sont mortes ici...”. “Je ne comprends pas comment nous avons pu faire ça”, continue Raphaël, étudiant au Centre d’Enseignement Supérieur pour adultes de Roux “Parce que les nazis n’étaient pas des monstres, mais des hommes comme nous ! C’est nous qui nous nous sommes fait ça, à nous-mêmes...”

 

Les bouleaux de Brzezinka

Le lendemain matin, direction Birkenau. Ici c’est le vide, l’immensité qui vous glace. Peu de visiteurs, peu de “muséologie”, juste quelques baraquements de bois. Un champ immense, tracé des soubassements, hérissé des cheminées restées debout. “Ici, c’est plus émotionnel, il faut penser à ce qui s’est passé” note Benjamin Silberberg. “En polonais, Birkenau se dit Brzezinka, et ça veut dire “bois de bouleaux”, nous dit Edwige, notre guide du jour. Cela a une signification tragique, ici. C’est dans les bois de bouleaux que vous voyez là-bas que les femmes se déshabillaient avant de courir vers la chambre à gaz”. Tous les regards se tournent vers les arbres, quand soudain, télescopage à peine soutenable, entre troncs blancs et barbelés, glisse une harde de biches.

“Là, rien n’a changé. Il y avait de la boue, il y a encore de la boue, ou bien une poussière suffocante en été; les baraques sont restées comme elles étaient, basses, sales, faites de planches disjointes, avec un sol de terre battue; il n’y a pas de couchettes, mais de larges planches de bois nu superposées jusqu’au plafond. Là rien n’a été enjolivé.” écrivait Primo Lévi (2).

“Les baraquements en bois, préfabriqués en Allemagne, étaient prévus pour 52 chevaux, on peut voir les anneaux pour les attacher. On y vivait au minimum à 400, mais parfois à 2000”, se souvient Benjamin. “Ils contenaient ces lits à trois étages, sur lesquels on dormait parfois à 6 ou 7. Moi, je m’arrangeais toujours pour être sur le lit du dessus, parce que, parfois, pendant la nuit, les hommes ne pouvaient pas se retenir et faisaient leurs besoins sous eux. Alors tout coulait. Mais encore fallait-il avoir la force de grimper là-haut.

Il fallait faire attention à tout, même à ses chaussures. Je les tenais liées autour du cou. On volait même les boutons, ou une casquette, une gamelle... Tout pouvait être revendu, et moi, si un bouton me manquait lors de l’appel, je recevais des coups. Alors j’en rachetais un à quelqu’un, en échange de ma ration de pain... Vous vous rendez compte ? Je sais que c’est difficile à imaginer mais j’avais oublié que j’étais un homme.”

 

Il n’y avait plus de couleurs...

Plus loin, les ruines des chambres à gaz et des crématoires dynamités le 20 janvier 45 par les SS avant la Marche de la Mort, pour ne laisser aucune preuve. “On sentait la fumée à des kilomètres. Il n’y avait plus d’oiseaux dans les arbres, il n’y avait plus de couleurs. C’était soit la boue, la terre battue, ou la neige. Les cendres étaient partout, jetées dans les rivières, la Vistule, la Sola. Quand il y avait du vent, elles s’envolaient...”

Dans un petit bois de bouleaux, un étang, par wagonnets entiers, étaient déversées les cendres des crématoires. Une élève jette une gerbe de fleurs rouges, qui dérive lentement. Du monde entier, aujourd’hui encore, des maris, des épouses demandent qu’après leur mort, leurs cendres soient déversées ici, près des leurs.

“Le retour a été difficile, confie doucement Benjamin. Difficile pour un fils d’annoncer à sa mère que son père a été assassiné devant vous. Elle m’a dit “tu l’as abandonné”, alors je n’ai rien raconté. Même à mes enfants. Je préférais leur raconter des histoires de Laurel et Hardy. Je n’ai commencé à parler de tout cela que 30 ans plus tard, à des jeunes, et maintenant je leur dis : “Faites attention, demain ça peut revenir”…”

Linda Léonard

 

(1) CRIF: Conseil Représentatif des Institutions juives de France.

(2) In “Si c’est un homme”, de Primo Lévy.


 

Un projet pédagogique ambitieux

“Il faut réfléchir à ce qui s’est passé, c’est indispensable pour créer aujourd’hui une société de progrès, de tolérance et de paix...” Anne-Françoise Gillain, professeur de psychologie au collège Notre-Dame de Bon-Secours de Binche parle avec passion de son projet et de ses élèves. Soutenue par la direction de l’établissement, mais aussi, financièrement et pédagogiquement, par la Fondation Auschwitz, c’est la deuxième fois qu’elle organise un tel voyage, “pour qu’à leur tour, profs et élèves deviennent des témoins.”


A lire

“Si c’est un homme”, de Primo Lévi, paru en 1947 dans l’indifférence générale et reconnu 10 ans plus tard comme un chef-d’œuvre, chez Julliard et Press Pocket.

“L’Ecriture ou la vie”, de Jorge Semprun, livre de souvenirs et de réflexions sur la difficulté de la transmission, paru en 1994 chez Gallimard et en poche chez Folio.

“C’était au temps des barbelés” de Arthur Haulot, recueil de poèmes écrits dans les camps de Dachau et Mauthausen, aux éditions Couleur Livres.

“Jamais je ne vous oublierai” de Félix Gutmacher, avocat bruxellois déporté à Buchenwald en 42, ou la vie dans et après les camps, également chez Couleur Livres.

“Maus, un survivant raconte” de Art Spiegelman, une bande-dessinée en 2 tomes qui obtient le prix Pullitzer 92, chez Flammarion.

“1940-45 : Un Combat pour la Liberté”, de Christophe Smets, portraits et témoignages de résistants, soldats et déportés de la seconde guerre mondiale. La Boîte à Images asbl, tél/fax : 04/226 17 35,

contact@laboiteaimages.be

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