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Enseignement (20 février 2014)

De l’air frais dans les classes maternelles !

© REPORTERS/DPA

Loin de tout discours d’impuissance ou de lamentation, des enseignantes maternelles font le pari de lutter, dans leur classe, contre l’inégalité scolaire et sociale. Comment? En ouvrant au maximum les portes de l’école aux parents des enfants défavorisés.

En Belgique, l’école maternelle cartonne. Par exemple, le taux d’inscription des enfants âgés de quatre ans y est de 99,1%. Ce taux nous place largement au-delà de la moyenne européenne : 87%. Menée l’année dernière auprès de 44 familles précaires, une enquête de l’ULg a démontré que la démarche d’inscrire son enfant en première maternelle est considérée comme aisée par celles-ci, aucune condition d’emploi ni de revenu n’étant imposée. Cerise sur le gâteau : même pour les mamans migrantes, les difficultés de communication – la méconnaissance du français ou du flamand – ne sont pas vues comme un obstacle à l’inscription.

Le hic, c’est que l’inscription d’un enfant dans ce type de classe n’est pas forcément synonyme de fréquentation régulière. Les statistiques manquent, mais les témoignages de terrain convergent : bien plus que les enfants issus de milieux aisés, les enfants vivant dans des conditions de précarité (instruction limitée et bas revenus des parents, logement précaire, etc.) ont du mal à comprendre ce que l’école attend d’eux, à pratiquer les codes dominants et à y développer leurs compétences. Trop souvent, le constat d’échec – même si ce mot est souvent banni dans des tranches d’âge si basses – s’impose : l’enfant, à l’issue de sa troisième maternelle, n’est pas prêt à entrer en primaires. Or une enquête commune à l’ULg et à l’ULB a démontré, il y a peu, que le maintien (“redoublement”) en troisième maternelle n’a pas – ou très peu – d’effets positifs sur la suite de la scolarité. De plus, le risque reste grand, pour l’enfant qui n’a pu profiter pleinement de ses années en maternelles, de se voir tôt ou tard orienté vers l’enseignement primaire spécialisé.

Un moment capital de la vie

Au final, un paradoxe cruel : alors que l’enseignement préscolaire est censé faciliter l’apprentissage du langage et des compétences indispensables pour la suite de la scolarité, il se révèle impuissant à corriger les inégalités de départ des familles. Lorsqu’il ne les accentue pas lui-même ! En 2012, avec la Communauté française (l’initiative “Décolâge”) et le mouvement socio-pédagogique ChanGements pour l’égalité (CGé), la Fondation Roi Baudouin s’est demandée comment inverser la vapeur. Comment transformer ce moment décisif qu’est le tout premier contact de l’enfant (et de sa famille) avec l’institution scolaire, en une véritable opportunité, un tremplin vers un parcours scolaire et personnel réussi?

Trois journées de rencontres ont eu lieu entre professionnels du secteur : enseignants, directeurs, personnels des Centres Psycho-médico-sociaux (CPMS), logopèdes, psychopédagogues, etc. Issue de diverses recherches et publications, l’image de l’école véhiculée par les familles précaires, a été étudiée, malaxée, décortiquée. Très vite s’est dégagée l’existence d’un fossé d’incompréhension entre les uns et les autres.

Explication : même s’ils donnent parfois l’impression contraire (boudant les invitations à venir à l’école ou ignorant les petites tâches à faire à domicile), les parents en situation de précarité attendent beaucoup de l’école. Celle-ci est vue comme le gage d’une vie meilleure pour leurs enfants. Mais cette attente peut être difficile à exprimer, allant parfois jusqu’à l’hostilité ou l’agressivité. Soit parce qu’elle se focalise sur des questions jugées un peu secondaires par les enseignants (“il a bien dormi?”, “il a été sage?”, “il a été propre?” etc.), soit parce que les parents sont eux-mêmes mal à l’aise face aux apprentissages et à la “culture” scolaire en raison de leur propre parcours difficile.

Jouer, pour quoi faire ?

Autre constat parmi d’autres : pour beaucoup de parents, l’école n’est pas vue comme un lieu pour jouer, mais bien pour apprendre et travailler. Ils gomment ainsi le fait que le jeu, s’il est bien exploité en classe, peut être un moyen d’apprentissage fantastique dans bien des domaines : cognitifs mais aussi de socialisation. Certaines familles ont également peur de voir leurs enfants “déculturés” par l’école. Elles imposent inconsciemment un conflit de loyauté à leur progéniture, tenue de respecter à la fois les codes familiaux et ceux de l’institution scolaire.

Pour tenter de rencontrer ce genre de difficultés, la Fondation Roi Baudouin n’a voulu imposer ni recettes, ni trucs, ni ficelles. Elle a préféré mettre en débat, parmi les professionnels, des dispositifs déjà pratiqués avec succès dans certaines écoles (lire les deux articles ci-dessous)(1). De ces dialogues sont nés une douzaine de principes fondamentaux, censés inspirer les initiatives des écoles et les comportements des enseignants eux-mêmes. Parmi ceux-ci : accueillir dès le départ les enfants et les parents (ce qui est bien différent de les inscrire), créer des liens avec les parents bien avant que des difficultés surviennent; privilégier les outils de communication oraux et visuels; impliquer les pères au maximum; faire porter toute initiative pédagogique nouvelle par toute l’équipe éducative ; oser les alliances associatives avec le quartier, etc.

Et ça marche ? Oui ! A condition de s’impliquer sans compter dans cette nouvelle “alliance éducative” selon un processus de négociation “ouvert, incertain mais passionnant”. Toutes sortes de pistes qui restent, bien sûr, à adapter et à affiner selon les lieux. Dans les écoles à encadrement différencié et... les autres.

//PHILIPPE LAMOTTE

(1) Les deux exemples repris dans ces pages concernent Bruxelles mais le document final (118 p.) fait état d’expériences et témoignages recueillis partout en Communauté française, de Tournai à Verviers, en passant par Gilly et Bernissart. Il est disponible gratuitement à la Fondation Roi Baudouin : 02/500.45.55 ou publi@kbs-frb.be.
Il peut aussi être téléchargé sur www.kbs-frb.be.

© Mychele Daniau/BELGA-AFP
Le “café des mamans”, un lieu où l’on se lie

L’école fondamentale Jacques Brel, à Jette, compte environ 400 enfants. Une vingtaine de nationalités s’y côtoient, dont 70% d’origine maghrébine. En 2009, la directrice fait un constat désolant. Les parents investissent peu l’école, boudent les réunions de parents, voire se montrent agressifs envers les professeurs. L’école crée alors un “café des parents”. Objectif : démystifier celle-ci. Précision importante: le café est pris en charge et animé par une maman d’origine belge de confession musulmane.

Bien qu’un local soit mis à la disposition des parents (avec canapé, svp!), l’initiative n’est pas perçue comme une “création” officielle et suscite un réel intérêt. Certes, une partie des enseignants est réticente: les parents ne vont-ils pas envahir les classes? Ou faire trop de bruit? Les craintes ne se verront pas confirmées. Très vite, le bouche à oreille fonctionne. Les mamans (car les papas abandonneront vite…) se retrouvent une fois, puis deux fois par semaine autour d’un café pour papoter librement: aucun sujet n’est imposé. Deux “mamans-relais” animent toutefois les réunions. Le groupe est alors scindé en deux, selon le niveau de connaissance du français par les participantes.

Car l’un des buts est d’améliorer la communication avec les professeurs. Petit à petit, ces derniers découvrent que ces familles vivent en fait très isolées, hors réseaux de soutien. Le café des mamans invite alors à l’école les associations du quartier (ONE, planning familial, PMS…) qui, soudain, prennent des noms, des visages. Les mamans organisent elles-mêmes une exposition sur la tolérance. Elles investissent l’Amicale des parents.

Et les enfants, là-dedans? Ils se retrouvent, évidemment, au centre de ces nouveaux liens. “Autrefois, j’avais trois ou quatre familles aux réunions de parents, explique Gaëtane, institutrice maternelle. Maintenant, presque toutes sont présentes ! Les parents sont nettement moins sur la défensive. Ils participent aux séances de jeux avec les enfants et accueillent positivement les remarques du PMS, de la logopède…”. Les mamans relais se sont proposées pour traduire les documents de l’école en turc, roumain, arabe, etc. L’investissement de l’équipe? Enorme : un tiers du temps de la directrice, par exemple. Autre bémol: l’absence des pères…

Le portfolio : un regard positif à tout prix

L’école fondamentale Tivoli, à Laeken, accueille environ 400 enfants de 2,5 ans à 12 ans, généralement issus de milieux défavorisés. Depuis près de cinq ans, l’équipe a recours à un portfolio individuel, outil de communication parents/enfants/école et véritable philosophie de travail de l’institution.

Ce portfolio se présente comme une farde, un cahier, une boîte à trésors, etc. Il contient les réalisations pratiques des enfants, mais aussi – et c’est plus original – les remarques de tous les intervenants: professeur, logopède, éducateur, psychomotricien, etc. Ces remarques, strictement positives, n’évaluent pas les compétences des enfants, mais soulignent leurs progrès vers la réalisation des défis qu’ils se sont imposés, avec leur professeur. Lors des réunions de parents (deux à quatre fois par an), le portfolio, riche de ces défis écrits ou dessinés, est présenté par l’élève lui-même à un groupe de quatre familles avec l’accompagnement du professeur. L’enfant sert alors de lien privilégié entre ce dernier et ses parents. Il “traduit” pour eux l’école (sa culture, ses exigences…). Dans le cas des primo-arrivants, il traduit aussi (littéralement) les mots les plus souvent utilisés pendant la journée scolaire.

Cet outil accompagne l’enfant jusqu’à sa sixième primaire. Les parents sont invités à s’y impliquer. Ainsi, chez les plus jeunes (et dès la classe d’accueil!), le portfolio se présente sous la forme d’une boîte à trésors; la famille est invitée à y glisser un mot doux, un encouragement ou une photo de papa, maman, etc. L’enseignante, elle, y range les photos prises lors des activités scolaires : “Une source importante de fierté pour l’enfant”, commente la directrice, ravie de constater que le portfolio est aujourd’hui adopté par les 19 classes de l’école. Chaque matin, un moment “portfolio” réunit enfants et professeur dans les classes maternelles. “Le regard sur l’enfant y est systématiquement positif et encourageant, riche en félicitations. Il en découle, chez lui, un sentiment de confiance. Mais aussi chez ses parents, envers l’école”.

Pour aider à la réalisation des défis (comportementaux ou cognitifs), des affiches ou des post-it sont épinglés dans la classe. Depuis la généralisation du portfolio, la participation aux réunions de parents s’est sensiblement améliorée.

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