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Enseignement (19 septembre 2013)

Vivre sa dyslexie en auditoire…

© Philippe Turpin/Belpress

Suivre un parcours universitaire ou en haute école avec un bagage de dyslexique n’est pas une sinécure. En réponse, des établissements mettent en place une série de mécanismes « anti exclusion ». Malgré les réticences et les incompréhensions, ils œuvrent en faveur d’une pédagogie plus juste.

Ils seraient 1 à 2 % des étudiants de l’enseignement supérieur à vivre avec la dyslexie. En apparence, c’est peu. En réalité, si on les recense en chiffres absolus, cela fait tout de même des centaines de personnes, sinon plus. La plupart des dyslexiques diplômés du secondaire arrivent dans les auditoires en bonne connaissance de cause : ils en ont tellement ‘bavé’, depuis le début de leurs primaires (lire ci-dessous), que leurs difficultés ont normalement été identifiées et, dans le meilleur des cas, prises en charge par leurs professeurs et des logopèdes (on disait autrefois qu’on les « rééduquait »…). Pour d’autres toutefois, c’est la douche froide. « Ceux-là, qui ont réussi tant bien que mal leurs secondaires sans se savoir dyslexiques, ont vraiment besoin d’une aide car ils se sentent soudain perdus face à l’importance des matières à assimiler », constate Martine Poncelet, responsable de l’Unité de neuropsychologie du langage et des apprentissages à l’ULg.

De délicats examens

Une aide, oui. Mais comment ? Ces jeunes adultes dyslexiques ont beau avoir mis en œuvre une série de mécanismes de compensation pendant leur scolarité antérieure, l’écrasante majorité d’entre eux conserve, à l’entrée dans le supérieur, une lecture lente et, surtout, une orthographe très problématique. Délicat, lorsqu’il faut remettre un rapport de stage décisif. Ou lorsqu’il faut passer un examen reposant sur la compréhension rapide de consignes écrites. Pour éviter le couperet d’une sélection impitoyable et in - juste (les dyslexiques n’ont aucun problème d’«intelligence »), plusieurs universités et hautes écoles mettent en place, depuis quelques années, une série de dispositifs à leur intention : recours à des logiciels spéciaux de lecture ou de correction orthographique, facilités pour l’enregistrement des cours , aide organisée à la prise de notes (grâce à l’intervention d’autres étudiants), etc.

A l’UCL, par exemple, la réalisation d’un bilan d’aptitudes en début de formation aboutit, en cas de diagnostic de dyslexie, à la délivrance d’une attestation destinée à faciliter l’entièreté du cursus, y compris lors des examens. « Cette attestation, signée du vice-recteur, leur permet de demander des aménagements à leur faculté pour tous les cours pendant l’année et aux examens, explique Marie-Anne Schelstraete, responsable académique du projet « Dyslexie à l’université ». Autrefois, cette demande s’appréciait au cas par cas, les professeurs étant juges et parties. Cela exposait les étudiants au risque d’un traitement inéquitable ». A l’université louvaniste, une équipe de 10 à 12 accompagnateurs pédagogiques a pour mission d’accompagner ces étudiants (mais aussi ceux qui ont un autre type de handicap) tout au long de leur cursus.

Si ce genre de demande d’aménagement reçoit plutôt un accueil positif auprès des professeurs, il arrive que les choses se corsent au stade des examens. De quoi les étudiants dyslexiques y ont-ils besoin ? D’un temps plus long (pour la compréhension - généralement fastidieuse - des consignes écrites), de documents rédigés dans un format et une police spécifiques (A 3 au lieu de A 4, « Arial 14 » au lieu de « Time New Roman »), d’examens oraux pour certains (Les QCM - questionnaires à choix multiples - sont par exemple très perturbants pour les dyslexiques), d’un recours toléré au dictionnaire orthographique et à une grammaire, etc.

Pas de favoritisme

Tous ces aménagements - pas nécessairement coûteux pour les établissements - permettent de contrebalancer le handicap de départ. Mais, aux yeux du corps professoral, ils passent parfois pour des marques de favoritisme ou… d’injustice. Or « c’est tout le contraire, s’insurge Marie-Jeanne Petiniot, maître assistante à la Haute Ecole Albert Jacquard (Namur)(1). Ce type de dispositifs constitue, pour les dyslexiques, ce que les lunettes sont aux malvoyants : un correctif à leurs difficultés de départ. Imaginerait-on de refuser la rampe d’accès ou la voiturette aux personnes à mobilité réduite ? La grande différence, c’est que les difficultés liées à la dyslexie ne se voient pas ». Et de considérer ces aménagements comme part intrinsèque d’une pédagogie de l’équité, donnant ses véritables chances de réussite à chacun.

Ces aménagements spécifiques, qui ne reposent ni sur des aménagements de programmes ni sur des exigences académiques au rabais, commencent à se multiplier. Des réseaux et partenariats se créent entre établissements supérieurs et universitaires, certains bétonnant ces aménagements dans leurs règlements d’ordre intérieur. Cette prise de conscience commence aussi à diffuser jusque dans l’enseignement secondaire, où la dyslexie est souvent considérée comme « un problème qui doit avoir été réglé par le fondamental ». Erreur ! On ne règle pas une fois pour toutes le problème d’un enfant ou d’un ado dyslexique : on l’accompagne tout au long de son parcours d’apprentissage.

Dans les cabinets ministériels se prépare, depuis un an, un Pass inclusion, destiné à reconnaître les aménagements spécifiques (pour tous les apprenants à difficultés, pas seulement les dyslexiques !) comme des droits et non comme des ‘faveurs’ accordées au cas par cas selon le degré d’intérêt et les moyens des établissements, comme le souligne Murielle Sack, psychologue à l’UCL. Pas sûr, à ce stade, paradoxalement, que ce Pass inclusion dépassera le stade du secondaire…

A l’inverse de ce qui se passe dans l’enseignement anglo-saxon (mais aussi en Flandre), la reconnaissance de la dyslexie comme trouble majeur de l’apprentissage reste difficile. « S’il ne reste plus grand monde pour l’assimiler à de la paresse ou de la mauvaise volonté, une certaine conception de l’excellence et de la méritocratie conduit encore à estimer que les difficultés d’apprentissage n’ont pas droit de cité dans l’institution », regrette Marie-Anne Schelstraete. De même, certains établissements se montrent ouverts aux dispositifs spéciaux, mais… pas pour certaines disciplines : les futurs enseignants et logopèdes, par exemple, censés avoir une orthographe irréprochable. Et si, là aussi, l’enjeu était le contraire ? Former des pédagogues qui savent et sentent, de l’intérieur, ce que vivent les étudiants en difficulté pour compenser au mieux leur malchance de départ ?

// PHILIPPE LAMOTTE

(1) Auteure de « Accompagner l’enfant atteint de troubles de l’apprentissage » , éd. de la Chronique sociale, 2012, 262 p.

Quand les lettres dansent la sarabande…

Trouble de l’apprentissage mieux connu qu’autrefois, la dyslexie ne mène pas nécessairement à l’échec ou à l’humiliation. Loin de là !

Quel est le point commun entre Steven Spielberg et Winston Churchill ? Bill Gates et Nathalie Baye ? Walt Disney et Thomas Gunzig ? Ils étaient ou sont dyslexiques. Ceux-ci ont des talents multiples: une imagination et une créativité au-dessus de la norme, une curiosité et une intuitivité aiguës, une hyper-conscience de leur environnement, une pensée à plusieurs dimensions (beaucoup adorent la 3D) qui leur permet de mettre du mouvement dans les choses statiques. Voilà pour quelques « plus ». Car il y a aussi les revers de médaille. Parfois cocasses mais le plus souvent synonymes de grandes difficultés, voire de véritables souffrances pendant l’enfance : acquisition tardive du langage, déchiffrage fastidieux, orthographe très laborieuse, inversion et confusion de lettres ou de chiffres, qui « dansent » devant les yeux. Les dictées sont des cauchemars.

Autres signes qui, s’ils ne prouvent rien pris isolément, doivent mettre la puce à l’oreille des parents : leur enfant confond dans la durée ses chaussures (droite/gauche), déteste les vêtements à boutons et les chaussures à lacets, est mal à l’aise avec le rythme. Plus tard, dans le secondaire, sa prise de notes est fastidieuse, son vocabulaire et son expression orale pauvres et son journal de classe… un champ de bataille.

Gare aux antécédents familiaux

Une maladie ? Non ! Ni un déficit intellectuel. Une intelligence différente, tout simplement. A l’origine, une particularité génétique - et souvent héréditaire - dont la base est neurobiologique : pendant la grossesse, des amas inhabituels de neurones (cellules nerveuses) se sont formés sur certaines zones du cortex qui, de ce fait, s’activent face aux tâches d’une façon différente de la population non dyslexique. On ne « gué rit » pas de la dyslexie, pas plus qu’elle ne « s’arrange avec le temps » comme on l’espère parfois à l’école en évoquant la patience.

Confronté aux exigences préscolaires et scolaires, l’enfant dyslexique mettra en branle divers mécanismes d’adaptation et de compensation, par exemple une mémoire visuelle aiguisée. Mais ces mécanismes peuvent masquer les difficultés. De là, l’importance des professionnels. Ceux-ci peuvent par exemple canaliser et renforcer les capacités d’adaptation de l’enfant ; et veiller à ce qu’il ne se cantonne pas dans les stratégies d’évitement, dommageables tôt ou tard et menant à de fausses interprétations par l’entourage (« il est paresseux », « pas attentif », « n’étudie pas », « n’a aucun intérêt pour l’école »).

Cruel ! Car, s’il veut réussir, l’enfant ou l’ado dyslexique sait confusément qu’il doit travailler trois ou quatre fois plus que les autres. Non soutenu par l’école et la famille, il finit par avoir une piètre image de lui-même, par détester l’école et toute forme d’apprentissage. Certains spécialistes parlent d’une « mort cognitive » : « je suis incapable d’apprendre », « l’école n’est pas pour moi ». De là, le risque de développer des troubles du comportement, voire de décrocher.

Témoignage d’une jeune adolescente concernée(1): « Quand tu es dyslexique, il faut vraiment beaucoup, beaucoup travailler pour arriver à un résultat. Moi, cela m’a appris à ne jamais baisser les bras à la première difficulté. Je me relève toujours. Et, même si je tombe cinquante fois, je finis toujours par m’en sortir ». Quand la difficulté fait l’opportunité…

// PHL

(1) Tiré du remarquable DVD de la Fondation Dyslexie « Maux de lettres, mots de l’être ». www.fondation-dyslexie – 02/375.70.72.

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