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Enseignement (16 mai 2013)

En classe, par caméra interposée

© Matthieu Cornélis

L’école est un lieu d’apprentissage et d’expérimentation. Les enfants y apprennent à raisonner, à vivre ensemble et à acquérir la confiance nécessaire à leur confrontation au monde. Il arrive parfois que la maladie sépare des enfants de leur structure scolaire. L’invalidité implique-t-elle automatiquement une mise à l’écart de l’élève? Des solutions existent. Reportage.

Institut Saint Jean-Baptiste de Wavre. 11h10. Le cours de français va débuter pour les élèves de 2ème secondaire. Les enfants s’installent à leurs bancs. Madame Degreef entre. Le silence…

Je vous amène les points de vos interros”, dit-elle et, aussitôt, elle énumère les noms des élèves, suivis de leurs cotes. “Quentin, je t’envoie tes points ce soir par mail. D’accord?”. Un d’accord en réponse sort des enceintes installées sur une table contre le mur. En s’approchant de l’installation, on peut distinguer le visage du garçon sur l’écran d’un ordinateur. Il suit les cours comme ses camarades sans être physiquement présent et, cela, grâce à un équipement informatique complet : caméra rotative fixée au plafond de la classe, webcam et micro. Il peut ainsi agrandir certaines parties du tableau, disposer d’une vue large sur la classe et interagir avec les élèves et ses professeurs.

Aujourd’hui, la critique littéraire est au programme. “Quentin, tu es à la bonne page?”, demande le prof. Pour s’en assurer, elle approche le document en question de la webcam. Les élèves bûchent ensuite sur leurs exercices. Au fond de la classe, l’image d’un Quentin studieux est transmise à la classe.

Après quarante minutes de travail, le cours touche à sa fin. Les élèves sont invités à prendre leur journal de classe et à y écrire “critique informative, narrative et argumentation” à la hauteur de la plage-horaire qui se termine. Les cahiers sont fermés. La musique diffusée dans la cour indique que la récréation commence. La classe se vide mais trois garçons restent dans le local.

C’est notre ami. On veut qu’il reste avec nous.

Entre les cours, si les élèves discutent et rigolent ensemble, il n’y a pas de raison que Quentin reste seul. Loïc, Souhaïb et Qassem font l’impasse sur la cour de récréation. Ils s’approchent de l’ordinateur et pianotent, sur le clavier, des mots à destination de leur camarade. Chacun a ses sujets de discussion privilégiés. Loïc parle de jeux vidéos et Qassem, lui, raconte ce qui se passe à l’école, prend des nouvelles de la famille… “C’est plutôt des discussions sociales” dit-il. “C’est notre ami, souligne Souhaïb. On veut qu’il reste avec nous. Il a du mal à venir à l’école, donc on s’investit.

Leur investissement ne se résume pas à leur seule présence durant les récréations. Une multitude de gestes posés par les copains permettent à Quentin de poursuivre sa scolarité à domicile. Hubert fait office de facteur et livre les feuilles de cours à la maison. Qassem, lui, arrive en classe un quart d’heure avant le début du premier cours pour brancher le matériel: allumer le PC, établir une communication sur Skype, régler le son des enceintes. Bref, s’assurer que tout fonctionne tip top. Loïc, pour sa part, s’est vu confier la mission d’expérimenter une journée de cours à côté de Quentin pour en témoigner devant la classe. Constat : “Le bruit est très dérangeant pour lui. Il a parfois du mal à entendre le prof parce que le micro est placé au fond de la classe. Pendant les intercours, il y a un brouhaha insupportable en classe, alors on a trouvé un ’truc’. Pour avoir le silence, on crie ‘le prof est là !’. Tout le monde se tait et Quentin est content.

Mme Degreef, titulaire de classe, est bien placée pour observer l’impact positif du projet sur les jeunes. “Ça leur fait voir le monde différemment, ils prennent conscience de la chance qu’ils ont. Dans cette classe en particulier il y a très peu de jugements sur l’apparence”.

Si l’aide des copains est précieuse, celle des professeurs l’est tout autant. Elle consiste, notamment, à faire parvenir les contenus du cours vingt-quatre heures en avance à Quentin et à lui faire un retour sur ses interros. Malgré leur implication, il y a des limites à leur soutien. Pour la question de l’évaluation, ce sont les règles fixées par la Communauté française. “Malgré tous les efforts qui sont déployés pour que Quentin puisse suivre une scolarité normale, on ne peut pas l’évaluer de manière certificative par souci d’une équité par rapport aux autres. La législation exige qu’il soit en classe pour réaliser les interros.

De l’autre côté de la caméra

Au milieu du salon, le bureau de Quentin est incontournable. Derrière ses deux écrans, l’un propose un gros plan sur le tableau, l’autre un plan large sur la classe, Quentin est installé dans un large fauteuil. Roucky fait la sieste derrière lui. “Le chat le plus intelligent du monde, dit-il. Il assiste à tous les cours avec moi”. Un micro est installé pour interagir avec la classe, et la souris – de laquelle Roucky ne se soucie guère – lui permet de commander la caméra à distance.

Drôle de classe, en somme, pour un élève de 14 ans. Mais quel confort pour ce garçon qui éprouvait depuis des mois des difficultés énormes à prendre le chemin de l’école. Quentin souffre d’une polyarthrite juvénile. Ses articulations sont abîmées, rendant douloureux et difficiles chacun de ses déplacements. L’affection des yeux, seconde séquelle de la maladie, implique l’utilisation d’une vidéo- loupe pas facile à transporter. Enfin, confiné à la maison, il évite de s’exposer aux microbes qui, en cas d’infection, entraîneraient une longue convalescence doublée d’une crise de rhumatismes. “Il est à 100% à la maison depuis un an et demi, se souvient sa maman. Il n’a jamais été régulièrement à l’école, ça dépendait toujours de son état. Dans l’enseignement primaire, ça allait encore mais, dès le secondaire, avec les changements de classe, les intercours… il était souvent bousculé et se sentait extrêmement fatigué.

L’école lui manque-t-elle? “Plutôt les copains. Pour le reste, c’est beaucoup plus confortable à la maison”, répond l’intéressé. A-t-il l’impression d’être un élève comme les autres? Son avis est partagé… Les professeurs ne sont pas toujours en mesure de répondre à ses demandes spécifiques. Si certains enseignants lui envoient les cours bien en avance, ils sont peu nombreux à coter ses interrogations. “Même si mes points comptent pour du beurre, j’aimerais bien pouvoir les passer et être coté comme les autres.

Deuxième souci : la technique. Lorsque la ligne Internet est trop chargée, il arrive que Quentin éteigne la caméra qui transmet son image en classe pour privilégier le son qui lui en revient. Résultat, les profs pensent qu’il n’est pas intéressé par les cours et qu’il se déconnecte. A cela, le garçon malicieux répond: “C’est normal, je les comprends. Ils veulent juste m’admirer”.

Notre rencontre touche à sa fin. Dans la classe, les camarades de Quentin ont déconnecté l’ordinateur. L’école terminée, il ouvre une session du jeu vidéo qui l’occupe ces derniers jours. Un jeu dans lequel il construit sa propre ville. Une balade virtuelle dans un monde qu’il se construit et qui lui convient davantage.

//MATTHIEU CORNÉLIS

Des informaticiens engagés

En 2006, Francesco Amato, fraîchement retraité, est en quête d’un projet de bénévolat. Une rencontre et un échange d’idées avec un pédiatre toulousain lui font réaliser la détresse et le manque vécus par des enfants que la maladie isole de leurs amis et de leur école. Il ne faut pas davantage d’arguments pour motiver l’homme...

Quelques uns de ses ex-collègues d’IBM sont mobilisés pour mettre leurs compétences (gestion, communication, pédagogie…) au service du projet. Leurs missions : briser la solitude de l’enfant malade, éviter le décrochage scolaire et susciter la solidarité entre les enfants de la classe et leur compagnon. Des sponsors sont approchés puis séduits par l’initiative. Take Off prend son envol.

Patrick Scheuer, administrateur bénévole, revient sur l’originalité du projet: “Lorsqu’un enfant apprend qu’il souffre d’une maladie grave ou invalidante, une de ses premières questions est ‘Et l’école?’. Take Off propose la visualisation de l’enfant dans son lieu de vie qui est l’école et sa classe”. Pour y parvenir, l’ASBL équipe gratuitement la chambre de l’enfant d’un ordinateur, une webcam, un micro, une ligne Internet… Tout ce qui lui permet de s’imaginer dans la peau d’un élève ordinaire.

Take Off a aussi un pied dans les hôpitaux. Sylvie Vankerckhove et Joy Assenmaker sont psychologues au service de néphrologie, dialyse et transplantation de l’Hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Huderf). Elles accompagnent au quotidien des enfants sujets à des traitements médicaux lourds. “Le projet Take Off nous intéresse car il permet à des patients qui sont en isolement de garder le lien avec leur famille, leurs amis, leur école dont ils sont séparés et de poursuivre leur scolarité malgré un grand absentéisme, et donc de rester dans la continuité des apprentissages.” Parfois, un enfant malade chronique refuse d’utiliser le système “car il est vécu comme une intrusion dans son espace de ‘normalité’. L'enfant pourrait courir le risque d'y être stigmatisé, repéré comme enfant malade”. Autre situation de refus : “il pourrait créer un groupe d’appartenance avec les autres patients et refuser d’ouvrir cet espace à leur école”.

Selon les psychologues, ces connections sont une “fenêtre ouverte sur le monde” et donnent à l’enfant de ne pas se sentir totalement exclu de ses environnements. Est-ce que le lien social permet de “mieux guérir”? “Nous pensons que ces connexions, parmi d’autres facteurs – capacité à verbaliser, à exprimer ses affects, à se défendre face à ses angoisses… –, peuvent avoir un impact sur le moral des enfants malades, et donc aussi sur leur capacités à supporter, à faire face aux soins et aux traitements parfois lourds ou intrusifs.

En Communauté française, Take Off est la seule structure qui propose à un enfant hospitalisé de rester en contact avec ses camarades de classe à l’aide des nouvelles technologies. Depuis sa création, 300 enfants ont été accompagnés par l’association.

// MaC

>> Take Off ASBL : 02/339.54.48 - www.takeoff-asbl.be

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