Enfance
(17 février 2005)
Lire des livres aux tout-petits
Prendre le temps de lire des livres avec son bébé, c’est partager avec lui des moments privilégiés. Mais c’est aussi lui donner les clés du monde de l’imaginaire et de la pensée. C’est enfin lui donner durablement le goût du livre et de la lecture.
Lire ci-dessous :
Une multitude d'ouvrages à partager
Charlotte est dans les bras de son papa. Elle lui a tendu le livre
“Le vélo de Jo” . Ce petit bout de moins d’un an connaît l’histoire pas cœur et se régale à chaque lecture. Elle sourit et jubile lorsque Jo et ses comparses roulent trop vite et perdent l’équilibre.
Louis a un grand panier de livres dans sa chambre dans lequel il vient puiser régulièrement. Pour l’instant il se promène toute la journée avec l’ouvrage
“On ne peut pas !”. On ne peut pas tirer la queue du chat, enlever les lunettes de papa, déchirer les pages d’un livre, tirer la nappe et tout renverser… La présence de ce livre qu’il connaît bien rassure ce petit bonhomme en pleine phase de test des choses permises et des interdits. A cinq mois déjà, Judith apprécie ces moments de lecture lovée dans les bras de sa maman. Pour l’instant, les livres avec de grandes images très colorées ou les ouvrages noir et blanc de Tana Hoban retiennent son attention.
Fabienne vient d’arriver à la bibliothèque avec sa caisse de livres et son tapis qu’elle déroule devant elle. Elle commence sa lecture vivante avec l’album “Toutes les couleurs”. C’est l’histoire d’un lapin blanc qui glisse sur l’herbe et se retrouve avec le derrière tout vert, mange des fraises et a la bouche toute rouge… Les bambins écoutent attentivement. “Les enfants raffolent de cette histoire car ils adorent se salir”, explique Fabienne Jacquemin, conteuse, lectrice pour les tout-petits et formatrice à la lecture à des bébés. A la fin du livre, Fabienne sort un vieux lapin en peluche de toutes les couleurs et chante une petite comptine.
“L’important lorsqu’on fait une animation, c’est d’enrichir la relation qu’on a avec les enfants et d’amener d’autres choses au-delà du livre, comme une comptine, une chanson, quelques notes de musique avec un instrument…”
Une caresse auditive
Lire un livre à un bébé… voilà qui peut sembler incongru ! Qu’est-ce qu’un nourrisson de 3 mois peut bien comprendre aux livres ? Bien plus qu’on ne le pense… Depuis le travail de la pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto, on sait que les tout-petits sont réceptifs à la parole, au langage, même s’ils ne parlent pas. Dolto a vulgarisé l’idée que le tout-petit est un sujet en devenir et qu’il est important de s’adresser à lui comme à une personne. Et s’ils ne comprennent bien sûr pas les mots,
“les enfants sont sensibles aux intonations de la voix qui annoncent soit le rire, soit la colère, la peur…”
explique Fabienne Jacquemin. “On appelle cela des caresses auditives. Et ils ont besoin de ces caresses”. Ces caresses se transmettent dans la vie de tous les jours à la fois via la langue des faits et via la langue du récit. La langue des faits, c’est celle qui est utilisée lorsque les interlocuteurs sont en présence l’un de l’autre. La langue du récit est celle de la narration. Elle situe les événements dans le temps et l’espace. C’est la langue que l’on retrouve dans les livres. Grâce à ceux qu’on leur raconte, les enfants vont avoir accès au monde de l’imaginaire et de la pensée.
Pas égaux
devant les livres
Malheureusement, tous les enfants ne sont pas en relation de la même manière avec la langue du récit. Dans les milieux défavorisés, il n’y a en général pas de livres ou très peu. Il y a aussi les familles où les parents ne prennent pas le temps de lire des histoires. Il ne s’agit pas seulement d’avoir des livres dans la maison, il faut aussi et surtout qu’il y ait une lecture accompagnée, une relation.
“L’intérêt pour l’écrit est général chez les tout-petits, dès avant trois ans, avant le début des apprentissages, même s’il n’existe aucune stimulation de l’entourage”, analyse la psychiatre Marie Bonnafé dans son ouvrage
“Les livres, c’est bon pour les bébés”. Des études menées en Argentine, à Genève et à Mexico sur plusieurs groupes d’enfants en milieu défavorisé et en milieu aisé ont montré que les différences entre les enfants se marquent vers l’âge de 6-7 ans. Dans les milieux les plus pauvres, les enfants se désintéressent de tout ce qui est écrit. Par ailleurs des études menées sur des enfants qui deviennent très tôt et spontanément lecteurs, ont montré qu’ils avaient tous été familiarisés très jeunes, sur une longue durée avec les livres et les récits. Il est donc important de développer des animations de lecture à voix haute dans les crèches milieux d’accueil, bibliothèques, et consultations ONE afin de donner accès au plus grand nombre au monde merveilleux de l’imaginaire.
Un moment privilégié
Si les tout-petits de 0 à 3 ans ne comprennent bien sûr pas tout lorsqu’on leur lit une histoire à haute voix, on sait aujourd’hui que bien avant de savoir lire, ils savent que l’écrit a un sens. “Ce premier contact avec l’imaginaire, suscité par la lecture des premiers albums aux bébés, est un appui essentiel pour leur permettre de mieux évoluer, de mieux se situer dans la communauté où ils vont vivre et grandir”, développe Marie Bonnafé.
Et quoi de plus merveilleux que de partager un moment privilégié avec un enfant en lui racontant une histoire alors qu’il est blotti dans ses bras…
Oser vivre le livre
Fabienne Jacquemin distille pas mal de conseils aux stagiaires qui viennent suivre ses formations et sont parfois timides ou gênés de lire à voix haute.
“Il faut aimer le livre, mais l’aimer entièrement c’est-à-dire aimer autant l’histoire que les illustrations pour avoir envie de le donner. Car lire un livre à son enfant, c’est une relation de don où l’émotion domine. Il y a l’émotion de l’écrivain, celle de l’illustrateur de l’album, celle de la personne qui le lit et enfin l’émotion du petit qui écoute. La lecture d’un livre aux enfants procure une relation très riche”, confie la formatrice.
“Autour des livres, adultes et enfants partagent leur capacité à rêver, à penser, à imaginer”, écrit Dominique Rateau. Les enfants aiment s’amuser ; ils comprennent l’histoire grâce aux intonations de l’adulte… Il faut donc pouvoir se lâcher, oser vivre le livre, être soi-même et rigoler avec eux.
“Il ne faut pas non plus changer le vocabulaire utilisé dans le livre même si les mots nous paraissent compliqués. Les enfants aiment les mots pour leur musicalité, continue la formatrice. Surtout ne pas vouloir donner d’explications ou faire de la pédagogie en interrogeant l’enfant pour voir s’il a bien compris. Le but n’est pas d’apprendre mais bien de prendre plaisir avec un livre”… Voilà peut-être la seule clé : lire un livre à voix haute à son enfant, c’est partager avec lui un moment de tendresse, un moment de plaisir et de complicité… tout simplement.
Françoise Robert
Fouiller dans le grenier aux histoires
Il y a aujourd’hui une multitude d’ouvrages de qualité à partager avec les tout-petits. Il serait donc dommage de se limiter aux éternels livres de “Martine”. Les bons livres se trouvent rarement dans les supermarchés.
Histoires
Jeanne Ashbé à l’école des loisirs (Pastel) est la spécialiste des histoires qui touchent la vie quotidienne des tout-petits. “A ce soir” raconte une journée de crèche.
“Bonjour !”, “Au revoir !”et “Coucou” sont parmi les premiers mots que l’enfant comprend. Leur mise en situation en images toutes douces parlent indéniablement aux petits. Avec les personnages de Lou et Mouf, l’auteure explore le registre des petites bêtises :
“T’en as plein partout !” , “Oh ! C’est cassé !” et aussi les premières peurs :
“Ouh! Il fait noir…”
Très vite les tout-petits comprennent des histoires aux phrases et à l’intrigue plus construites. Les couleurs et le texte des livres de Raphaël Fejtö sont dans ce domaine très séduisants. L’histoire de
“Petit Georges” (loulou et Cie/l’école des loisirs) est à croquer ! Du même auteur avec Nadja, les petits aimeront manipuler la grande fleur dont chaque pétale est une variété de fleurs avec ses caractéristiques :
“Petites fleurs” (l’école des loisirs).
Dans “Hou ! hou !” (Jean Maubille, Pastel/l’école des loisirs), Petit hibou cherche qui peut bien l’appeler ainsi. Ce n’est ni la poule, ni le moineau, ni le corbeau car ils dorment…
Fous rires garantis avec “Gare aux Guilis” d’Ophélie Texier (loulou et Cie/l’école des loisirs) où les animaux se font des guilis guilis partout : sur les pieds, dans le cou… On continue l’interaction avec “Tous les bisous”
d’Alex Sanders (loulou et Cie/l’école des loisirs).
Les petits aimeront tourner seuls les pages des livres à trous de la collection “Percimage” chez Nathan. Par exemple avec
“Un petit trou dans une pomme” et “Quand les roues tournent”.
Imagiers
Dès 9 mois, les petits commenceront à apprécier les imagiers. Avec
“Le livre des bruits” de Soledad Bravi (loulou et Cie/l’école des loisirs), les parents s’amuseront à pousser cris d’animaux et bruits de la vie courante… Les enfants raffolent ! Chez le même éditeur, la série des papas :
“Papa Roi”, “Papa conduit”, “Papa dort”… joliment illustrée par Alain La Saux fera office d’imagier également. Sur chaque double page son cher papa chéri est mis en situation… parfois cocasse. Les
“Popimagiers” de Bayard Jeunesse sont également sympathiques. De même “Mon imagier du Père Castor” chez Flammarion.
Comptines
En-dessous de 6 mois, les bébés aiment qu’on leur chante des petites comptines et des berceuses. On peut citer la merveilleuse
“Boîte à comptines” de l’école des loisirs. L’enfant pioche dans la boîte les petits livres cartonnés qui illustrent chacun une mini-comptine telle
“une souris verte”, “une poule sur un mur”… Les éditions Nathan ont un vaste choix de livres de comptines dans la collection “Histoire, comptines et Cie” (avec ou sans CD). Les éditions Didier Jeunesse proposent également plusieurs ouvrages accompagnés de CD, par exemple
“Rimes et chansons des p’tits Loupiots”.
On ne saurait les citer tous… Le mieux est d’aller faire un tour en bibliothèque avec son enfant afin de lui faire découvrir différents ouvrages et voir ceux qui l’attirent. Les librairies spécialisées sont également de très bon conseil.
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