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Enfance (4 janvier 2001)


 

Construire le bonheur, envers et contre tout

Nous connaissons tous, ou nous avons tous entendu, ces histoires d’enfants qui en dépit de conditions de vie très difficiles résistent aux épreuves de la violence familiale, de la guerre ou de la misère. Ils poursuivent, envers et contre toute espérance, une trajectoire de vie qui fait d’eux au bout du chemin des adultes responsables et heureux. Ils n’ont pas oublié leurs souffrances. Mais ils ont appris à vivre avec elles.

"Sale garce, je te déteste…” Ce soir là, le ton monte entre Kevin et sa mère. L’adolescent pose de nombreux problèmes à la maison comme à l’école au point que, exaspérés, la mère et son beau-père, demandent à la justice de prendre en charge ce garçon de 15 ans. Envoyé dans un centre pour délinquants, il refuse de coopérer dans le programme d’aide qui lui est proposé. Kevin était né d’une mère encore adolescente, mariée à un autre homme que son père. Il connaît ce dernier, mais celui-ci refusait de voir son fils. Abandons, hostilité, violence faisaient partie de son univers quotidien. Considéré comme “inéducable”, Kevin est ballotté d’un centre à l’autre jusqu’au jour où il rencontre un éducateur qui se montre plus amical et qui semble comprendre sa souffrance. Il fait ensuite la connaissance d’un enseignant et d’un travailleur social qui dira-t-il, l’écoutent vraiment. “Contrairement aux éducateurs connus précédemment, commente Stefan Vanistendael, responsable de Recherche et développement au BICE (Bureau Catholique International de l’Enfance) dans son livre Le bonheur est toujours possible (1), ”ces trois hommes n’ont pas focalisé leur attention sur ces comportements problématiques, mais ont cherché à combler son intense besoin de reconnaissance et d’autonomie.” Les conflits ne vont pas s’éteindre aussitôt, mais, même dans les pires moments Kevin reconnaîtra plus tard qu’il se sentait alors respecté. Progressivement, Kevin s’est ouvert aux autres. Il a détruit les murs qu’il avait construit pour se défendre. Il a même retrouvé sa famille, repris des études et trouvé un emploi stable.

Pourquoi donc certains jeunes réussissent-ils à se sortir des pires épreuves, alors que tant d’autres sont brisés par la vie ? Michel Angelo, seul enfant d’un couple italien, est hospitalisé en 1970 en coma diabétique. Il est alors âgé de 11 ans. On apprend à ses parents les bases du traitement à domicile du diabète. Mais le père travaille comme maçon sur des chantiers éloignés tandis que la mère pleure sur son malheur. Heureusement, l’enfant réussit à se prendre en charge. Il peut lui-même faire ses analyses d’urine et calculer ses besoins en insuline. Ce garçon, jusque là peu motivé par ses études, poursuivra des études brillantes. Il s’est donné un nouveau projet de vie.

“Nous connaissons tous, personnellement ou professionnellement, explique Michel Manciaux, professeur de pédiatrie sociale et santé publique, de tels enfants et aussi des familles qui, en dépit de conditions de vie difficiles, surmontent les obstacles, “tiennent le coup” et poursuivent, envers et contre tout, une véritable “trajectoire existentielle” qui fait d’eux des personnes bien insérées socialement, alors que beaucoup d’autres, placés dans les mêmes conditions, perdent pied et s’enfoncent. Mais nous sommes ainsi déformés que nous avons tendance à remacher ce qui ne va pas, à voir ceux qui “tournent mal” et à ignorer ceux qui s’en sortent bien. Il est temps, ajoute-t-il, de reconnaître la valeur et les compétences de ceux qui nous entourent, de les aider à faire émerger ces qualités souvent latentes, de positiver notre regard sur eux…” 

Ce n’est pas l’exception…

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, il ne s’agit pas seulement de cas exceptionnels. De nombreuses études, menées depuis une trentaine d’années, montrent que cette capacité de surmonter des difficultés graves est largement distribuée au travers de nombreux pays et de nombreuses cultures. Enfants de la guerre en Afrique, enfants des rues en Inde ou en Amérique du Sud, enfants malades et gravement handicapés, enfants maltraités… beaucoup d’entre eux sont capables non seulement de résister à l’adversité mais en plus d’entrer dans une nouvelle vie. Il s’agit bien d’une dynamique d’adaptation positive que les professionnels du monde médical, social, éducatif tentent aujourd’hui de comprendre.

Pendant des années, en effet, on a estimé que des drames personnels ne pouvaient que conduire à une psychopathie. Or, de nombreux faits viennent contredire cette vision pessimiste et ce regard déterministe. De plus en plus de chercheurs s’intéressent au processus qui permet à ceux qui ont souffert de mener malgré tout une vie relativement normale. De ces enfants, on dit qu’ils ont fait preuve de résilience.

C’est la psychologue californienne Emmy Werner, et son équipe de chercheurs, qui a donné vie à ce nouveau concept de résilience. Depuis 1955, Emmy Werner a suivi le devenir de 698 nouveau-nés dans une île hawaïenne. Ceux-ci présentaient tous des risques élevés de développer des troubles pour être né dans des familles pauvres, alcooliques, violentes... A l’âge de 10 ans, ces enfants rencontraient de nombreux problèmes d’apprentissage et à 18 ans apparaissaient des problèmes de délinquance. Mais par contre, observe-t-elle, plus du tiers de ces enfants à haut risque arrivent à l’âge adulte sans problèmes particuliers. Elle constate que ces enfants qui, de 10 à 18 ans, avaient été très altérés physiquement, psychologiquement et bien sûr socialement, avaient pu, à l’âge de 30 ans, développer des relations stables, s’engager dans un travail et se mettre au service des autres. Ils avaient su tirer avantage des occasions apportées par les circonstances pour s’améliorer.

Emmy Werner et son équipe tentèrent alors de comprendre les caractéristiques de ces enfants. Comment l’éducation avait-elle pu compenser les difficultés connues dans les premières années de la vie ? En général, ils constatèrent que ces enfants avaient pu bénéficié à un moment de leur vie d’une rencontre et de l’attention d’une personne qui avait su les comprendre. A partir de là, ils avaient pu donner un sens à leur vie et prendre leur destin en main. Pour qualifier ces enfants, Emmy Werner utilisa le mot de résilience. Emprunté à la physique, celui-ci désigne la résistance d’un matériau à la pression et aux chocs. Transposé dans le domaine psychologique il exprime la capacité de résistance et d’adaptation des enfants à des situations difficiles, et pas seulement exceptionnelles. En latin, le verbe resilio ajoute une notion de ressaut, de revenir en sautant, de capacité de rebondir après avoir subi le recul du coup.

Depuis, de multiples études ont confirmé ce constat. Des enfants, mal partis dans la vie - enfants de réfugiés, enfants de parents maltraitants, enfants de santé fragile - ne sont pas déterminés au point qu’on les croit généralement à vivre malheureux pour le restant de leurs jours. Ce phénomène n’avait pas encore été étudié car les enfants qui réussissent dans la vie malgré un passé difficile ne fréquentent que rarement les services d’aide. Ils sont en quelque sorte statistiquement invisibles. Ainsi se serait installée cette loi implacable qui veut que les enfants martyrisés ne peuvent que devenir à leur tour des parents maltraitants. Cette vérité ne serait que partielle parce que les enfants qui s’en sortent bien sont écartés des statistiques !

Il s’agit de sortir d’une perspective purement déterministe de la souffrance qui nous laisse croire qu’il n’y a rien à faire... Comme le fait remarquer le neurologue et psychiatre Boris Cyrulnik : “quand les blessés de l’âme vivent dans une culture pétrifiée qui les juge d’un seul regard et n’en change plus, ils deviennent victimes une deuxième fois.” (B. Cyrulnik. Un merveilleux malheur. Odile Jacob, 1999)

Christian Van Rompaey

( 4 janvier 2001)

(1) Stefan Vanistendael, Jacques Lecompte, Le bonheur est toujours possible. Construire la résilience. Préface de Michel Manciaux. Collection Psychologies. Editions Bayard 2000.

La résilience en question

Si la culture contemporaine accorde une large place aux déterminismes biologiques, génétiques, économiques et sociaux, un courant humaniste puissant continue à défendre l’idée qu’il reste de grandes possibilités de manœuvres et de libertés personnelles. La liberté n’est pas totale, bien sûr. Elle est toujours “façonnée” par les échanges entre la personne, le vécu antérieur, l’environnement politique, économique et social. La théorie de la résilience n’est donc en rien une invitation aux responsables politiques et sociaux de se désengager de toute action politique ou sociale. Autrement dit, ce n’est pas parce que certains enfants survivent après la guerre, la misère ou la violence qu’il faudrait arrêter le combat contre la guerre, la pauvreté ou la protection de l’enfance !

La théorie de la résilience veut favoriser une action sociale qui veillerait à développer davantage qu’on ne le fait souvent les facteurs de protection et non plus seulement les facteurs de risques. En ce qui concerne le sujet résilient on cite le plus souvent l’estime de soi, la sociabilité, le don d’éveiller la sympathie, un certain sens de l’humour, le développement d’un projet de vie… En ce qui concerne l’entourage, on (re)découvre l’importance de la famille ou la présence d’un ou plusieurs adultes qui éveillent la conscience de l’enfant et lui font confiance. Plus largement, on évoque encore l’importance du soutien social. Autrement dit, la résilience cherche à mobiliser toutes les ressources (matérielles mais aussi philosophiques, morales…) des personnes, de leur entourage, des réseaux sociaux, sanitaires, éducatifs afin de dégager pour les personnes concernées un nouveau chemin de vie.

(C’était le thème du colloque le réalisme de l’espérance organisé à Paris par la Fondation pour l’enfance en mai 2000)

( 4 janvier 2001)

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