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Droits (1er mai 2008)

 

 

1968: Plus qu’une date, des idées

En Belgique, mai 68 n’a pas provoqué de tensions, de violences et de mouvements de grève comparables à la situation de nos voisins français. Il n’empêche qu’autour des années soixante/septante, un courant de rénovation passait dans le monde de la santé comme dans les universités belges.

 

 

Manifestation du personnel infirmier

de la clinique Saint-Luc à Namur.

Les infirmières en avaient assez de

se voir confier par les médecins des actes que la loi leur interdisait de pratiquer.

 

L’éditorial d’En Marche de juillet 68, signé Jean Hallet, évoquait la contestation dans les facultés de médecine, et en particulier “les ondes de propagation” parvenues jusqu’à l’Université Libre de Bruxelles depuis les universités françaises: “Des témoins sagaces m’ont affirmé, écrivait le secrétaire général de la Mutualité chrétienne de l’époque, que demain, les hôpitaux universitaires et les facultés de médecine ne seraient plus ce qu’ils étaient avant mai 68. A côté de maîtres qui savaient faire équipe avec les assistants, les étudiants et les paramédicaux, il en était d’autres qui abusaient capricieusement de privilèges conférés par une organisation désuète des cours et du travail hospitalier. Il semble acquis en France que le mandarinat de certains ‘patrons’ n’a pas résisté à la contestation. En beaucoup d’endroits, les réformes sont élaborées avec la participation tant des étudiants que des enseignants…”

Aux yeux de Jean Hallet, “ce qui se passe apparaît très important”. Certes, les organisations médicales ont mal assimilé l’évolution des techniques. Mais, plus encore, les progrès de la spécialisation ont engendré un enseignement parfois incohérent. Il faut tenter de nouvelles expériences de formation “moins encyclopédique et plus active, moins fractionnée, et plus humaine…” En travaillant davantage en équipe, “c’est toute la pratique de la médecine qui en bénéficiera”: la personnalité du malade sera mieux considérée, comme celle de tous ceux et celles qui participent aux soins. La médecine sera “plus efficace et moins aliénante”.

Et de conclure: “…je crois aussi qu’il serait regrettable que les évènements et le brassage des idées de mai et juin 1968 soient sans lendemain (….) En souhaitant que le lecteur veuille bien pardonner l’emphase de ma conclusion, je voudrais dire qu’il est des rendez-vous de l’histoire qu’on n’a pas le droit de manquer, surtout quand il s’agit d’une renaissance pleine d’espérances.”

L’espoir de rénover en profondeur la formation des médecins s’exprima donc dès la rentrée d’automne et se poursuivit tout au long des années 70 comme une lutte contre l’autorité d’un pouvoir médical considéré comme absolu.

 

Une lente descente des “mandarins” 

A l’époque, les étudiants francophones de l’UCL sont davantage mobilisés par les tensions linguistiques et le “Walen buiten” lancé par le mouvement flamand qui aboutira au déménagement de Leuven vers Louvain-la-Neuve en 1970-71, sauf la faculté de médecine qui, pour disposer d’un territoire suffisant en terme de population, s’établira à Bruxelles. Mais dès 1966, les étudiants louvanistes avaient choisi la voie de la radicalisation en s’opposant... à la guerre du Viêtnam et les étudiants flamands en s’opposant au refus des évêques de scinder l’Université. Plus largement, tous seront eux aussi traversés par la montée du mouvement social étudiant, par la volonté de prendre la parole et de remettre en cause l’enseignement ex cathedra, par le courant féministe et la libéralisation des mœurs. De plus en plus souvent en contact avec des étudiants étrangers, ils seront aussi nombreux  à être saisi par les problèmes du Tiers-Monde. Symboliquement, l’année 68 fut bien plus longue que l’année calendrier… Dans ces années-là, on vit en effet se déplacer lentement mais progressivement certaines frontières considérées comme inamovibles quelques années auparavant.

Le système de santé devait être repensé de manière pyramidale, à partir du premier échelon de soins, la médecine générale.

Ainsi, la grève brutale lancée par les médecins des Chambres Syndicales du 1er au 18 avril 1964, rejetant certaines dispositions de la loi Leburton, surprit l’opinion publique tant par son ampleur que par le recours à des méthodes qui sont habituellement utilisées par les “damnés de la terre”! La tension était maximale. Des médecins partaient vers l’étranger pour ne pas être réquisitionnés. De fausses urgences étaient organisées afin d’encombrer les hôpitaux. Les “collègues” un peu tièdes pour le mouvement de grève étaient vilipendés… En soi, les modifications proposées à la législation sur l’assurance maladie semblaient pourtant bien peu menaçantes pour une médecine qui voulait rester libérale. Elle se terminera par les accords de la Saint-Jean, qui sont toujours à la base du système actuel. Et les Chambres syndicales seront arbitrairement reconnues comme quasi uniques représentantes des médecins jusqu’aux premières élections syndicales médicales de 1998, confirmant ainsi une politique de santé centrée en priorité sur le curatif, l’hôpital et la technologie médicale.

Cet évènement, comme l’explique notre confrère Thierry Poucet (1) “provoqua un ébranlement et parfois un traumatisme profond. Mais surtout, il signa la naissance de deux courants nouveaux, aussi contrastés par leurs orientations que par leur poids respectifs sur l’échiquier politique.”

Le premier, dominant, s’incarne bien sûr dans ce syndicalisme médical de choc, au point de susciter des dissidences précoces dans le milieu professionnel, tout en restant malgré tout l’interlocuteur privilégié des autorités politiques et des mutualités. Un second courant, nettement minoritaire, avait cependant pris forme dès le lendemain de la grève sous la forme d’un club d’échanges et de réflexions baptisé Groupe d’études pour une réforme de la médecine (Germ). Constitué au départ de médecins issus des structures hospitalo-universitaires, le Germ, vite rejoint par des paramédicaux et des profanes, s’est cependant distingué rapidement par l’orientation alternative de ses réflexions s’attachant à penser la médecine de groupe, l’enseignement, l’éducation sanitaire, la prévention, les problèmes des omnipraticiens… Ses réflexions s’exprimèrent dans un ouvrage collectif intitulé “Pour une politique de santé” publié en 1971 (édité par La Revue Nouvelle).

Selon ses auteurs, le système de santé devait être repensé de manière pyramidale, à partir du premier échelon de soins, la médecine générale. On perçoit mieux aujourd’hui la perspective révolutionnaire de cette prise de position quand on sait qu’elle a précédé de sept ans la déclaration d’Alma-Ata (Kazakhstan - septembre 1978) qui définissait la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social impliquant par là l’ensemble de la société à la promotion de la santé. Ainsi, elle donnait la priorité aux soins de santé primaires, prenant le contre-pied des tendances de l’époque misant avant tout sur le prestige des investissements lourds et de la médecine de pointe. Par ailleurs, le Germ pensait que les médecins ne pouvaient régler les questions de santé sans que la population soit davantage impliquée dans la définition d’une politique de santé, ce qui lui valut une opposition féroce de la part du syndicat médical dominant, constate Thierry Poucet, mais aussi une “indifférence polie ou un soutien platonique” du côté du pouvoir politique. Il n’empêche, il n’est pas toujours besoin d’être puissant pour stimuler la circulation des idées.

 

Floraison d’associations

Au début des années 70, les frontières bougent. A la suite des débats relatifs à la santé des femmes, la fin de l’interdiction de la publicité pour les contraceptifs est votée en 1973 et la loi de 1923 qui proclamait l’interdiction de la contraception et de l’avortement est abrogée. Après de longs débats difficiles dans la société belge, la loi Lallemand-Michielsen ne sortira la pratique de l’avortement de l’illégalité qu’en avril 1993, soit 17 ans après la condamnation de Willy Peers (1973) qui avait contribué à faire sortir l’avortement de la clandestinité. Les frontières bougent encore avec le développement du courant antipsychiatrie, lequel considère que le malade mental est plus une victime qu’un malade. C’est encore la contestation publique de l’Ordre des Médecins, à partir de 1974, qui se poursuivra durant plusieurs années.

Vie communautaire et action

“pour le peuple” étaient incontestablement deux traits fondamentaux

des premières maisons médicales.

Le malaise infirmier, qui s’exprima avec force en France, prit la forme d’une importante mobilisation contre le syndicat médical dominant tant les infirmières en avaient assez de se voir confier par les médecins des actes que la loi leur interdisait de pratiquer.

Mais, sans aucun doute, le mouvement le plus marquant des ces années-là, né de la contestation de mai 68, est celui des Maisons médicales que l’on appelait aussi Collectifs de santé ou Centres de santé intégrés.

Les premiers Centres, réunissant des travailleurs médicaux, paramédicaux et sociaux sont apparus au début des années 70 sans obéir vraiment à un schéma imposé. Ces centres s’implantent le plus souvent dans des quartiers modestes. Ils optent pour la mise en place d’une offre de soins et de services de premier échelon. Une motivation importante était aussi la volonté de travailler en groupe plutôt qu’en solo… Vie communautaire et action “pour le peuple” étaient incontestablement deux traits fondamentaux des premières maisons médicales.

La mise en question de toutes les autorités, la forte demande de participation, la recherche de comportements alternatifs… mais aussi l’impuissance de ce mouvement d’idées d’inspiration libertaire à prendre des formes politiques précises  fut sans doute à l’origine d’une floraison d’associations, avec tout ce que cela suppose d’engagements militants et de volonté autogestionnaire… ce qui n’empêcha nombre d’entre eux de se professionnaliser, voire de s’institutionnaliser et de connaître un avenir. Il y a aujourd’hui floraison d’associations qui prennent en charge de nombreux problèmes particuliers, de la naissance à la mort, du tabagisme à l’alcoolisme, de la drogue au sida… Mais ne faut-il pas craindre une nouvelle façon de saisir les questions de santé de manière individuelle? La “crise de l’environnement” est pourtant là pour nous rappeler que l’état de santé ne peut être séparé du cadre de travail, du niveau de formation, du milieu de vie… comme le rappelait encore récemment une enquête de la Fondation Roi Baudouin (2), et que cela demande aussi une approche collective et solidaire.

Christian Van Rompaey

 

(1) Thierry Poucet, rédacteur en chef de Renouer.

(2) Voir En marche N°1384 (page 3) : «La pauvreté n’est pas bonne pour la santé».

http://www.enmarche.be/Actualite/A_suivre/2008/pauvrete_et_sante.htm


 

Changer le monde!”

A bien y regarder, tout a commencé par une histoire de dortoir. A la lecture de Wilhem Reich, psychanalyste autrichien qui prônait la liberté sexuelle, des étudiants ont réclamé l’accès au dortoir des filles. C’était en mars 1968, à l’université de Nanterre. La revendication fait sourire les étudiants de 2008 qui partagent les mêmes classes depuis la maternelle et se retrouvent dans les mêmes kots.

 

 

 

 

 

 

 

Les contestations d’étudiants menées en France

par Daniel Cohn-Bendit et Jacques Sauvageot en mai 68

ont bien vite pris de l’ampleur.

 

Cette revendication est pourtant bien significative d’une époque qui voulait en finir avec les convenances et les conventions et recréer un autre monde, plus ouvert et plus libre.

A l’époque, filles et garçons étaient séparés dès l’école primaire et ne se retrouvaient que sur les bancs de l’université. Les filles y étaient présentes, mais moins nombreuses qu’aujourd’hui et elles logeaient dans des “pédagogies” ou des dortoirs qui leur étaient réservés.

Cette contestation a pris de l’ampleur. Menés par Daniel Cohn-Bendit, de petits groupes d’étudiants ont contesté certains enseignants, l’administration, puis plus largement le pouvoir politique et tous ceux que, dans un mouvement où Mao comptait un certain nombre d’admirateurs, l’on appelait “les Mandarins”.

Les sanctions qui, peu après, ont frappé les étudiants qui militaient pour le retrait des troupes américaines au Viêtnam a définitivement mis le feu aux poudres. Le “Groupe du 22 mars” a été créé, la Sorbonne occupée… Le mouvement gagnait de l’ampleur, touchant tant les intellectuels, Sartre en tête, que les ouvriers… C’était mai 68, une date devenue mythique dans l’imaginaire collectif.

 

Un avenir ouvert

Les étudiants d’aujourd’hui mesurent sans doute mal à quel point la réalité des étudiants d’alors était différente de celle qu’ils connaissent aujourd’hui.

Nés immédiatement après la fin du conflit, dans l’euphorie de la libération, les jeunes qui avaient 20 ans en 68 ont grandi dans la griserie d’un monde qui croyait aux bienfaits de la science et des techniques et à la pérennité de l’expansion économique. L’ascenseur social fonctionnait bien et chacun pouvait croire que ses enfants vivraient mieux que lui. L’avenir était ouvert. Si la guerre froide faisait peser une ombre sur l’Ouest, elle le renforçait aussi dans ses valeurs et dans l’affirmation de l’importance essentielle de la liberté. Dans tous les domaines. “Il est interdit d’interdire”! Le slogan sonnait la mise à mort de tous les carcans.

Quarante ans plus tard, avoir 20 ans n’est pas plus confortable, au contraire.

 

Plus dociles

Certes, ils ont gagné bien des libertés, bien des droits importants. Désormais, majeurs à 18 ans (et non plus à 21 ans comme alors), ils ont acquis une certaine indépendance. Dans les universités, ils sont officiellement représentés et leur parole est écoutée. Les jeunes filles sont de plus en plus nombreuses dans les auditoires, elles bénéficient de la maîtrise de leur corps durement gagnée par leurs aînées. L’égalité entre garçons et filles a progressé.

Pourtant, l’heure n’est plus à l’euphorie. La crise économique est passée par là. La chute du Mur de Berlin et l’expansion du capitalisme ont dopé le libéralisme qui a viré à l’ultralibéralisme. Une majorité de gens estiment que leurs enfants ne vivront pas mieux qu’eux…  Arrivés sur les bancs de l’université, ces enfants sont donc devenus moins contestataires, plus dociles. Obtenir un diplôme est moins vécu comme une chance que comme une nécessité. Et, dans certaines facultés, la concurrence exacerbée par des formes injustes de numerus clausus place les étudiants en situation de rivalité, dans des universités elles-mêmes en concurrence.

 

Démocratisation?

C’est que l’université, elle aussi, a bien changé. Elle accueille bien plus d’étudiants que par le passé et ils sont formés tout autrement que leurs aînés. Ils savent des choses que ceux-ci ignoraient, en ignorent d’autres qui paraissait évidentes alors. De plus, en quarante ans, les connaissances ont explosé. Alors, qu’enseigner et comment? La question n’est pas simple, la pression est forte. Ceci explique sans doute en partie le caractère “scolaire” des étudiants que les profs dénoncent et l’effrayant taux d’échec en 1ère Bac. La réforme de Bologne a porté à 5 ans minimum la durée des études universitaires. Cela n’aide pas à une réelle démocratisation des études.

Aujourd’hui comme hier, à vingt ans, les étudiants sont capables d’enthousiasme et d’engagements intenses et sérieux. Simplement, ceux-ci n’ont plus les mêmes formes: “La dimension affective de l’existence semble bien la grande affaire d’étudiants d’aujourd’hui, celle par rapport à laquelle le reste s’ordonne (…) Ils se gardent des cadres extrapersonnels et des mots d’ordre, fussent-ils généreux” explique Françoise Hiraux dans “Etudiants du 21e siècle”. Au contraire de leurs aînés, les jeunes doutent qu’ils peuvent changer le monde.

Anne-Marie Pirard


 

 

Né en 1968

Prague, le Mexique, le Biafra, le Brésil, les assassinats de Luther King et Robert Kennedy…: il n’y eut pas que mai, en 1968, pour éveiller une conscience.

Je suis né en 1953. Et une seconde fois en 1968. J’avais 15 ans. Aujourd’hui, quarante ans après, on va inévitablement s’interroger sur ce qui reste de cette année-là. Et beaucoup, pensant aux seules révoltes étudiantes, vont faire allusion aux ex-soixante-huitards devenus bourgeois-bohèmes. Ou encore, s’alignant sur Nicolas Sarkozy, ils vont décréter que l’esprit de 1968 est définitivement mort.

Et pourtant, c’est un peu court. Car cette année-là n’a pas eu que des effets spectaculaires. Elle a aussi marqué en profondeur bien des évolutions individuelles.

Imaginez en effet un adolescent quelque peu ouvert au monde, qui lit les journaux, mais sans plus. 1968 va se révéler une année exceptionnelle pour sa socialisation.

 

’68 dans le monde

Cette année-là a marqué en profondeur bien des évolutions individuelles.

Le 4 avril, Martin Luther King est assassiné aux Etats-Unis, alors que César Chavez y mène une grève de la faim pour la défense des droits des ouvriers mexicains. L’image de ce “grand pays démocratique” en sortira définitivement écornée, tandis que la persistance du racisme y saute aux yeux. Le 5 juin, c’est au tour de Bob Kennedy d’être tué. L’absurdité de la guerre au Vietnam devient alors peu à peu une évidence, tout comme la vanité d’un  pays présenté comme modèle.

A la mi-août, c’est l’intervention des chars soviétiques à Prague. Voilà que les régimes communistes, alternative potentielle au capitalisme US, en perdent eux aussi leur crédibilité. Mais la résistance non violente des Tchécoslovaques impressionne. De quoi faire réfléchir à la faiblesse des armes face à la lutte pacifique… et asseoir définitivement l’option, quelques années plus tard, pour l’objection de conscience.

Le 2 octobre de la même année, la police mexicaine massacre une centaine d’étudiants sur la place des Trois Cultures de Mexico. De quoi rendre à jamais sensible, après la rébellion et la famine au Biafra, à la justice sociale et à la répression dans les pays du Sud. Puis, toujours à Mexico, aux Jeux Olympiques, c’est le poing levé des athlètes noirs. De quoi ancrer la conviction que les puissants peuvent être aussi défiés par des gestes simples. C’est aussi la répression au Brésil, dont quelques images furtives s’inscrivent encore dans la mémoire.

C’est dans ce contexte que viendront se greffer les mouvements étudiants de contestation en Europe qui, malgré des aspects discutables, ont été essentiellement le refus d’une société prêt-à-porter basée sur des valeurs matérialistes.

 

Une naissance

Si certains soixante-huitards se sont laissé récupérer, d’autres y ont trouvé la motivation d’un engagement social, politique, culturel, féministe…

Dans le cas de cet adolescent, alors que rien dans son éducation ne sortait de la banalité, c’est la curiosité pour les choses du monde et l’aide probablement inconsciente d’un professeur de religion ouvert sur la vie qui ont fait de l’année de ses 15 ans celle d’une naissance. C’est en 1968 qu’il a appris à se méfier de tous les pouvoirs, de la terre et du ciel, quelle que soit leur idéologie; une méfiance à la base du regard critique qui fonde, aujourd’hui, son métier de journaliste. C’est cette année-là qu’est née son allergie à l’autoritarisme, qui détermine probablement aujourd’hui sa volonté de responsabiliser ses étudiants ou les collègues qu’il dirige.

C’est de 1968 qu’est issue sa préoccupation pour les peuples du Sud, qui le mena à s’engager dans la coopération au développement. Plus fondamentalement, c’est dans le terreau de cette année-là que sont enracinées les convictions profondes qui l’animent: que rien ne va de soi; qu’un modèle de société, surtout dominant, peut et doit être contesté; que le confort matériel étouffe plus qu’il ne libère; que l’économie est au service de l’humain, pas l’inverse. Et surtout, que la personne se grandit dans la résistance, non dans l’obéissance; dans l’originalité, non dans le conformisme.

 

La liberté de l’individu au centre du jeu

Bien sûr, tout cela ressemble à une manière de parler de soi. Mais il s’agit moins de mettre un individu en évidence que de montrer l’importance d’un moment que l’on a tendance à présenter, aujourd’hui, comme une parenthèse folklorique rapidement fermée. L’histoire est dynamique et conflictuelle, faite d’allers et de retours. Au moment où la société de consommation à la mode US apparaissait comme modèle obligé, des gens ont refusé de s’y soumettre et ont voulu remettre la liberté de l’individu au centre du jeu. Ils ont en même temps refusé les recettes cadenassées offertes par la gauche traditionnelle.

Sans doute, l’individualisme féroce des années 1980 en fut une des conséquences. Si certains soixante-huitards se sont laissé pleinement récupérer, d’autres, connus ou anonymes, y ont trouvé la motivation d’un engagement social, politique, culturel, féministe… qui dure. Sans oublier les acquis sur le plan de la liberté individuelle dont les adolescents d’aujourd’hui imagineraient mal se passer, mais qui ne sont pas tombés du ciel.

1968, une révolution, le grand soir, un paradis perdu? Ou au contraire une vaine gesticulation? Des analystes de haut vol peuvent en disserter. C’est à coup sûr une étape dans une évolution, dont il n’y a pas lieu d’avoir la nostalgie, mais qui n’est pas à négliger non plus. Et, à supposer même que l’impact macrosocial en soit considéré comme nul aujourd’hui, cette année reste certainement un moment-clé dans bien des évolutions individuelles.

André Linard, InfoSud

 


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