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Drogues (16 avril 2010)

 

“Vas-y gamin, tu es le meilleur !”

Loin de se cantonner aux professionnels, le dopage frappe aussi les sportifs amateurs. Contrôler et sanctionner? Oui, sans doute… Mais l'urgence, en Communauté française, réside dans la prévention et l'éducation, particulièrement auprès des jeunes. Tout reste à faire!

© Philippe Turpin/Belpress

 

 

 

 

 

 

 

“Une réelle
prévention anti-dopage doit commencer dans
le sport amateur en Communauté

française”

 

 

Chaque été, lors des courses cyclistes, ou lorsque s'ouvrent les Jeux Olympiques, le dopage refait son apparition tonitruante dans les médias. Ce thème reste pourtant beaucoup plus discret dans le domaine du sport amateur, celui qui se pratique davantage pour le plaisir que pour l'argent. Absents des vestiaires du dimanche, les anabolisants, corticoïdes et autres bêtabloquants? Pas si sûr. En France, 650.000 à 3 millions de sportifs amateurs auraient eu recours au dopage en 2004. Entre 5 et 15 % des amateurs adultes y utiliseraient des produits dopants. Enorme!

En Belgique, il est bien difficile de trouver des chiffres aussi clairs. On aurait tort, néanmoins, de sous-estimer le problème. Ainsi, après avoir interviewé 2.630 jeunes de 12 à 17 ans dans les écoles belges, le Centre de recherche et d'information des organisations de consommateurs (Crioc)(1) a révélé qu'un ado sur six, dans notre pays, admet avoir déjà utilisé un produit pour améliorer ses performances sportives. La moitié de ce groupe reconnaît l'avoir fait plus d'une fois et ces chiffres auraient doublé en deux ans. Inquiétant!

Mais comment connaître l'ampleur exacte du problème? Comment savoir quels produits sont consommés, s'ils le sont régulièrement, par qui et avec quelles motivations exactes? En raison de son caractère illicite, l'ampleur du dopage n'est guère aisée à objectiver. Mais ce flou artistique s'explique aussi d'une autre façon: bien qu'adhérant au Code mondial antidopage qui impose la réalisation de recherches scientifiques sur le phénomène, la Communauté française, compétente dans cette matière, n'a pas repris cette obligation dans sa législation. La même indolence existe en matière de prévention. “Certains sportifs amateurs sont prêts à faire n'importe quoi pour surpasser leur voisin, leur concierge ou leur beau-frère, explique le Dr Jean-Pierre Castiaux, médecin du sport et membre de la Commission antidopage. C'est une question de fierté et de gloriole personnelle. Les contrôles et la répression sont certes nécessaires mais, en orientant davantage les budgets sur la prévention, on pourrait réaliser tellement de choses auprès de ce type de public”.

 

Anabolisants à gogo

Des amateurs prêts à faire “n'importe quoi”? Le médecin du sport pointe prioritairement le cyclisme et le bodybuilding. “Le jeune, naïf et sain, qui entre dans ces milieux est d'office confronté au dopage, quasiment institutionnalisé. Hommes, femmes, adolescents: tout le monde est au courant et, très tôt, confronté à la question de savoir s'il continue à pratiquer son sport en faisant comme les autres…” Dopant numéro1: les anabolisants. Il s'agit principalement d'hormones masculines, telles la testostérone et la nandrolone, mais aussi d'autres produits proches: les bêta-2 agonistes. Consommés parallèlement à un entraînement soutenu et une alimentation très riche en protéines, ils augmentent la masse et la puissance musculaires. Résultat: les tissus graisseux fondent. Le sportif acquiert davantage de force, mais aussi de résistance à l'effort.

Anne Daloze, responsable de la Cellule antidopage de la Communauté française, attire particulièrement l'attention sur les compléments alimentaires commandés via Internet. “Certains de ces produits sont contaminés par des anabolisants, soit que les producteurs ont 'omis' de mentionner ces substances interdites sur l'étiquette, soit que la chaîne de production a été préalablement contaminée par une autre catégorie de produits”. De là, ce conseil donné par les professionnels du secteur: n'acheter des compléments vitaminés ou protéiques que dans les pharmacies et les commerces spécialisés dans le sport. Se méfier, tout particulièrement, des produits d'origine américaine et/ou vendus dans les salles de fitness et de bodybuilding. Quant aux effets délétères des anabolisants, n'en citons que quelques-uns dans une longue liste: dysfonctionnement hormonaux, cancers (foie, rein, prostate), impuissance (chez l'homme), calvitie (chez les deux sexes), etc.

Depuis 2005, le gouvernement de la Communauté française a enjoint aux services antidopage, déjà obligés de travailler “au vogelpick” et avec peu de moyens, d'accorder la priorité des contrôles aux sportifs professionnels. Résultat: les amateurs ne recueillent plus, aujourd'hui, que 10 à 30 % des contrôles selon les années(2). Le résultat de ceux-ci livre quelques surprises. Ainsi, statistiquement, le principal produit interdit retrouvé dans l'urine des sportifs est… le cannabis. Celui-ci, plutôt “amortissant”, n'a généralement rien à voir avec la pratique d'un sport. Etant décelable jusqu'à 6 à 8 semaines après la “fumette”, il traduit plutôt une évolution sociétale faisant la part belle à la consommation régulière de drogues “douces” (marijuana, haschich, tabac, etc.)(3).

 

Privés de sport

Ce genre de constat pose la question de l'efficacité et de la finalité des contrôles opérés dans les milieux sportifs amateurs. En effet, beaucoup d'athlètes décelés positifs sont sanctionnés par leurs fédérations, par exemple via une suspension de compétition. Avec cet effet paradoxal de voir des jeunes, utilisateurs de cannabis mais nullement tricheurs dans leur sport, éloignés du terrain pendant de longs mois. Autre type de couac, relaté par une éducatrice (4): “On a un jeune à l'école qui faisait de la boxe. Son entraîneur a appris qu'il fumait du cannabis. Il lui a dit qu'il ne pourrait pas revenir tant qu'il n'aurait pas arrêté. Le jeune n'y est pas retourné. Mais, depuis, ça ne va plus. Il est trop nerveux. Il pète les plombs et nous, les éducatrices, on ne sait plus que faire. Il faudrait qu'il retourne à la boxe. Il en a besoin pour rester à l'école”…

Un autre effet pervers des contrôles consiste à stigmatiser des sportifs amateurs qui, loin de vouloir tricher, sont essentiellement coupables d'être… peu informés. Tel ce coureur de fond qui, il y a quelques années, s'est vu interdire toute compétition et infliger une amende de 400 euros parce qu'il avait utilisé des gouttes nasales destinées à soigner un rhume peu avant une épreuve de jogging. Il est vrai que ce type de médicament est parfois utilisé sciemment à des fins de dopage anabolisant. Théoriquement, de tels dérapages sont facilement évitables via le régime des dérogations thérapeutiques. Encore faut-il en être informé et en faire bon usage. Encore faut-il, également, qu'un travail d'éducation et d'information tous azimuts soit mené auprès des sportifs, mais aussi des médecins, des entraîneurs, des professeurs d'éducation physique, etc. Las! En matière de campagnes de sensibilisation, sur le site www.dopage.be de la Communauté française, l'information reste désespérément bloquée sur l'année… 2003 ! Depuis lors, rien. “De telles campagnes sont pour ainsi dire inexistantes en Communauté française”, déplore Miguel Rwubusisi, de l'Observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Communauté française. Pire: une brochure existe depuis plusieurs années et n'a jamais été distribuée dans les milieux concernés, chaque nouveau ministre des Sports remettant en question sa diffusion…

 

Les entraîneurs au parfum

Une telle brochure ne serait évidemment qu'un premier pas. Certaines voix proposent de la compléter par un numéro vert “Ecoute dopage” comme en France. Les inspecteurs sont bien conscients que, si la prévention est bel et bien nécessaire, elle passe en réalité par un travail d'accompagnement et de proximité rapprochée des jeunes sportifs et des entraîneurs: expliquer sans relâche les risques de certains médicaments mal utilisés, sciemment ou par méconnaissance; sensibiliser aux dangers présentés par les substances qui sont interdites mais trop facilement disponibles sur le Net ou via des réseaux semi-clandestins; ouvrir les œillères sur les risques à long terme de produits aussi banalisés par les jeunes que le haschich, lorsqu'ils entraînent l'accoutumance; répondre aux demandes d'informations des écoles, des clubs sportifs et des fédérations, etc. “Je sens un climat plus positif, explique le Dr Jean-Pierre Castiaux. Il y a quelques années, dans les compétitions que nous contrôlions, nous étions accueillis comme des empêcheurs de tourner en rond. Aujourd'hui, cette hostilité tend à disparaître. Boxe, volley…: beaucoup de secteurs veulent un sport plus propre, plus éthique. Reste à voir si ce souci percolera jusqu'à la mentalité des sportifs eux-mêmes”.

 // Philippe Lamotte

 

6.

(1) www.crioc.be

(2)En 2009, 1487 contrôles ont été opérés en Communauté française, dont 30 % auprès des amateurs. 6,12 % ont été déclarés “positifs”.

(3) Par crainte des contrôles, rares sont les sportifs professionnels à consommer du cannabis, expliquent les praticiens de terrain.

(4) Lire Prospective Jeunesse N°53, Décembre 2009. www.prospective-jeunesse.be – 02/512.17.6

 

Connaître ses limites

Un travail préventif anti-dopage? Celui-ci pourrait pousser les jeunes sportifs amateurs, notamment, à s'interroger sur le rapport au corps et le culte de la performance. Le sport n'en est qu'un des reflets, après tout, dans un monde où chacun se doit d'être constamment au meilleur de sa forme, jeune, beau et résistant au stress et à la contrariété.

“Et si on en revenait à ce qu'on appelait autrefois l'éducation physique?, interrogent Pascale Anceau et Philippe Bastin, d'Infor-drogues (1). (…) Une telle éducation suppose qu'on se penche sur l'apprentissage de la persévérance, la reconnaissance des limites et le respect de celles-ci (…). Cela signifie apprendre à entendre la fatigue et à l'accepter, le plaisir de la performance et son coût, le sens de la mesure et de l'excès (…).. Revenir aussi à la responsabilité. Réconcilier peut-être l'être et l'avoir, l'esprit et la chair. Promouvoir la santé, en fait”.

// PhL

(1) Lire Prospective Jeunesse N°53, Décembre 2009. www.prospective-jeunesse.be – 02/512.17.66.

 


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