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Drogues (18 octobre 2001)


Jeunes et santé

De la techno au rêve… et à la drogue ?

Dans les médias, techno et drogues de synthèse sont fréquemment associés. Les “mégadancings” sont régulièrement pointés comme des lieux où se retrouvent les jeunes dépendants de l’ecstasy, des amphétamines ou du LSD.

Des travailleurs sociaux de Tournai et de Lille sont allés au-devant de ces milliers de jeunes qui viennent “s’éclater” chaque semaine dans les “boîtes” qui fleurissent sur le versant belge de la métropole lilloise. Récit d’une action de prévention et d’une réflexion sur l’usage des drogues.

Dès l’approche de ces discothèques, le mot méga s’impose : des parkings dignes des hypermarchés, des projecteurs dont les faisceaux troublent la nuit, des néons multicolores qui appellent les clients. Une longue file s’allonge à l’extérieur, les jeunes attendent sagement de pouvoir entrer dans le “temple”. L’entrée elle-même est imposante, gardée par des “sorteurs” impressionnants, et pas toujours sympathiques. L’organisation elle-même étonne par son ampleur : un guichet où il faut accepter de se laisser photographier, où votre carte d’identité est scannée, avant de se voir délivrer une carte magnétique, sésame qui ouvre les portes de la discothèque. Rapidement, votre tête s’imprimera sur un écran vidéo que vérifiera un autre préposé. Déjà, à ce niveau, la technologie s’impose et anticipe le style techno…”

Vertiges et sensations fortes

L’accès à la première salle amplifie le sentiment de gigantisme, donne le vertige et produit des sensations fortes : “… Dimension respectable des lieux, immense bar tournant, une fontaine comme celles qui décorent les jardins publics et une nouvelle file de quelques dizaines de mètres pour accéder aux caisses... Nouveau sas de contrôle gardé par des ‘sorteurs’ à la carrure respectable, donnant sur un vaste forum et une nouvelle fontaine illuminée. Dès cet instant, des milliers de points lumineux contribuent à accroître ce sentiment d’immensité. Des murs de miroirs prolongent cette sensation de vertige. Mais déjà cette débauche lumineuse laisse la place à la puissance acoustique. La musique, bien que lointaine, vous envahit par les basses assourdissantes. La salle de danse principale, temple pharaonique, vous attend, vous engloutit. Des milliers de danseurs vous entourent. Les amplificateurs déversent leur flot de décibels. Vous êtes au cœur du mégadancing.”

Communion et solitude

Mais que cherchent les jeunes dans ces discothèques géantes ? Ce sont, bien sûr, des lieux de rencontre. Les jeunes qui les fréquentent en parlent en termes positifs : convivialité, communication, amour, tolérance… Tout à l’encontre des images choquantes véhiculées par les médias. Mais, “si le jeune en fréquentant le dancing a des aspirations de rêve, il ne semble pas toujours les trouver” constate cependant un patron de dancing.“C’est un monde de paillettes” dit l’un des serveurs. “Lorsque les spots baissent d’intensité, lorsque les couleurs des lasers perdent de leur éclat, le rêve laisse place à la désillusion”. La même jeune fille, souriante et virevoltante au milieu de la nuit, laissera pointer son désarroi au petit matin. A la question : “Tu es seule?”, elle répond, laconique : “Comme d’habitude”.

Musique techno et drogues de synthèse

Selon la gendarmerie, plus de 10.000 jeunes s’éclatent ainsi chaque semaine dans les discothèques de la région de Tournai, et tout particulièrement dans ces “mégadancings” capables d’accueillir plus de mille clients simultanément (1). L’une après l’autre, les directions de ces établissements sont devenues des “adeptes de la techno”. Les sons sont créés au moyen de synthétiseurs, amplifiés par ordinateurs. Cette musique, basée sur des rythmes répétitifs, s’appuyant sur les basses profondes et assourdissantes, permet au public de vibrer dans son corps, de ressentir des sensations fortes à partir desquelles il peut se laisser aller. Le DJ (disc-jokey) n’assure pas seulement le bon enchaînement des plages musicales. Il est responsable de l’adéquation entre la musique et les sensations du public. Et, constatent les observateurs, “cette recherche de sensations peut donner sens à l’association musique techno et drogues de synthèse”.

Les jeunes disent qu’effectivement ils sont nombreux à consommer, non seulement de l’alcool ou des boissons énergisantes, mais aussi de l’ecstasy, du speed et du cannabis. Mais il est difficile d’apprécier le nombre de ceux qui touchent à la drogue. Les estimations vont de 80% (selon les membres du personnel) à 20% (selon les jeunes). Tous les clients de ces dancings ne sont pas pour autant des consommateurs habituels de drogue. Pour tenir la route une nuit entière, le rythme effréné imposé par la musique techno, il est nécessaire de disposer d’une condition physique impeccable ou alors d’avoir recours à “un remontant” (coca, boisson énergisante, alcool, amphétamine…) qui - comme pour des sportifs de haut niveau - permettra de se déhancher toute la nuit sans éprouver trop de fatigue.

300 heures de rencontres

Les travailleurs de Canal J, service tournaisien d’aide aux jeunes dans leur milieu de vie, ont été interpellés par cette particularité du Hainaut occidental qui voit venir chaque semaine dans les dancings et mégadancings de la région des milliers de jeunes originaires de France, de Flandre et de Wallonie. Le constat, selon lequel le mégadancing faciliterait l’offre de drogues de synthèse, a conduit l’équipe de Canal J à investir ces lieux et à construire un projet particulier dans le cadre européen transfrontalier avec un partenaire français, l’AIDE, un service de soin aux toxicomanes établi à Lille.

Cette expérience, relatée dans un livre d’Alain Vanthournhout “Techno, rêves… et drogues?” (voir encadré) témoigne d’une approche originale de l’usage de drogues dans un contexte festif.

Les principes qui ont guidé l’action de l’équipe d’intervenants de Canal J témoignent de la volonté de respecter les jeunes. Au lieu de proposer, comme on le fait souvent, des messages de dramatisation, dont le but (louable) est de décourager la consommation de stupéfiants, ces travailleurs sociaux ont d’abord proposé aux jeunes un maximum d’informations sur les produits consommés. Plus encore, l’équipe s’est attachée à offrir aux jeunes adeptes de la musique techno et de la drogue un espace de rencontre et d’écoute, afin qu’il puisse exprimer leur vécu, lié de près ou de loin à ces consommations, dans une atmosphère positive et non stigmatisante. En cherchant continuellement la bonne distance, les travailleurs sociaux se sont donné des repères pour se faire accepter par ces jeunes et éviter des réactions de rejets, mais aussi pour trouver la place la moins inconfortable possible pour eux.

Réduction des risques

La philosophie qui sous-tend tout ce travail est particulièrement intéressante, surtout lorsqu’on se rappelle l’inefficacité des campagnes d’éradication de la drogue avec des slogans du type “Dites non à la drogue !”.

“Le concept de réduction des risques, affirme l’auteur (2), s’est construit sur la base de l’existence de ces produits et de leur consommation. Il prend en compte les effets recherchés par ceux qui les utilisent. Aborder la question des effets se situe dans un autre champ que celui de l’interdit qui est l’essence même de la loi…” Dans cette expérience, les travailleurs sociaux se sont avant tout préoccupés de donner une information correcte et détaillée sur les effets des drogues, les plaisirs vécus mais aussi les dangers : leur composition, leur mode de fabrication, le manque de contrôle de qualité, le caractère illégal de leur consommation et les risques d’une enquête judiciaire, leurs effets à long terme sur la santé (largement inconnus pour les nouvelles drogues de synthèse…). Autrement dit, il s’agissait d’attirer l’attention sur les risques sans apparaître comme des donneurs de leçons.

Bien sûr, si ces précautions ont l’avantage de la clarté, on voit tout de suite les limites ou les risques de cette approche consensuelle. Ces informations n’auraient-elles pas en fin de compte un effet inverse à celui attendu d’une limitation de la consommation ? Ces informations ne pourraient-elles pas être comprises simplement comme un catalogue de recettes permettant de consommer de la drogue sans risques ? En effet, “Réduire les risques, c’est tenter de diminuer les effets négatifs des consommations, ce qui suppose de les accepter.”

Alors, s’agit-il seulement de tolérer et reconnaître que la consommation de drogues est un fait irréversible et qu’il suffirait d’en apprivoiser la consommation ? Toute l’équipe des travailleurs sociaux a beaucoup réfléchi à cette question.

La frontière entre l’objectif de “réduction des risques” et le “bon usage” des drogues est ténue et l’équipe des travailleurs sociaux a tenu à placer des garde-fous (rappel de l’illégalité, pas de distribution sauvage des brochures de documentation…). Mais l’expérience aura surtout montré qu’une philosophie de réduction des risques auprès des jeunes concernés par la consommation de drogues, est le seul moyen de leur donner à réfléchir sur leur consommation. C’est ouvrir un dialogue avec ces jeunes et, cette simple présence des adultes, est une voie pour le changement. Cette approche s’inscrit donc plus largement dans une perspective éducative et même thérapeutique.

Christian Van Rompaey

(18 octobre 2001)

(1) La Bush, par exemple, à 10 km de Tournai, 12 km de Lille et 15 km de Courtrai peut accueillir 6.000 clients.

En bref…

Des travailleurs sociaux de Tournai et Lille sont allés à la rencontre des milliers de jeunes qui viennent “s’éclater” dans les boîtes du Hainaut occidental. Ils ont essayé de comprendre le phénomène techno associé à l’usage de drogues. Ces rencontres ont abouti à des actions de prévention, en mettant à leur disposition des informations objectives sur les effets de l’ectsay et des autres drogues de synthèse. Ce message de “réduction des risques” à l’usage des drogues a rendu crédible la présence d’une équipe sur ces nouveaux lieux d’extase. Loin d’une recherche théorique, cet ouvrage relate cette action de terrain mais aussi les réflexions et les doutes qui l’ont accompagnées. Les forces de police, le personnel des dancings et leurs patrons s’y inscrivent également. Il se dégage de ce travail les conditions nécessaires d’un travail efficace de prévention en matière d’usage de drogues. Cet ouvrage intéressera particulièrement les intervenants sociaux, mais aussi les parents, les magistrats, les policiers, les médecins impliqués dans l’éducation et la prévention.

Vanthournout A., Techno, rêves… et drogues ? Bruxelles, De Boeck & Belin, 2001 (Collection ‘Comprendre’) 224 pages, 425 F. Cet ouvrage bénéficie du soutien de la Communauté française Wallonie-Bruxelles.

Pour rappel, on trouvera aux mêmes éditions 3 autres ouvrages importants sur le même sujet :

Drogues de rue. Récit et styles de vie. P. Jamoulle. 740f.

Pour en finir avec les toxicomanies. Psychanalyse et pourvoyance légalisée de drogues. J.-P. Jacques. 1.195f.

Les drogues dans l’histoire. Entre remède et poison. Archéologie d’un savoir oublié. M. Rosenzweig. 710f.

Ces ouvrages peuvent être commandés au Service librairie d’En Marche, 579 chaussée de Haecht, BP 40 1031 Bruxelles - Fax: 02/246 46 30. E-mail: enmarche@mc.be  10% de réduction sur le prix indiqué. Frais de port en sus.

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