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Dépendances (19 janvier 2012)

 

Quand l’autre boit trop...

© Christophe Smets

Partager sa vie avec une personne dépendant de l’alcool s’avère souvent difficile, voire infernal. Compatible avec la consultation d’un professionnel de la santé, le recours à un groupe d’entraide peut constituer une voie salvatrice. Qui, pour beaucoup de parents et d’amis d’alcooliques, permet de découvrir le buveur et sa maladie d’une façon neuve. Et, surtout, libératrice !

Peu de temps après mon arrivée dans le groupe Al-Anon, j'ai réalisé que l'alcoolisme était une maladie. Aussitôt, je me suis sentie mieux, beaucoup mieux. J'étais dégagée de toute responsabilité, de toute culpabilité envers mon conjoint. J'ai alors décidé que je pouvais redevenir heureuse, tout simplement. Quel changement! Avant, j'étais persuadée que, s'il buvait, c'est parce que je faisais quelque chose de travers. Pire : plus il buvait, plus j'avais l'impression que ma dépression en était la cause. Que de souffrances pendant toutes ces années perdues…

Droite et digne, Marie, la soixantaine, assise dans ce petit local d'une ville brabançonne, a fini son récit. Autour d'elles, une dizaine de visages graves trahissent pourtant – miracle du non-dit – une atmosphère chaleureuse et bienveillante. Certains participants connaissent ce récit. D'autres, les oreilles grandes ouvertes, le découvrent pour la première fois. Et ressentent, déjà, un début de complicité, un lien de fraternité avec celle qui vient de confier un pan douloureux de sa vie. A la suite de Marie, chacun se présente au petit groupe (juste par le prénom) et, à demi-mots ou sans détours, en une simple phrase ou avec moult détails, raconte sa descente aux enfers.

L’enfer à la maison

Le mari doux et charmant qui, les soirs de saoulerie, se transforme en être violent, menteur et manipulateur. Le compagnon qui promet, garantit, jure ses grands dieux, à genoux devant sa partenaire de vie, qu'il ne boira plus jamais… et qui recommence dès le lendemain. La femme qui soutient mordicus devant son compagnon et ses grands enfants qu'elle ne consomme qu'un ou deux verres par jour, alors que les bouteilles, mal cachées dans les armoires, se vident à un rythme effréné. Etc, etc.

Quand je suis arrivée ici, je suis tombée sur des visages accueillants et radieux, raconte Claudine, la quarantaine. Je me suis dit que je m'étais trompée de porte, que ces gens-là ne connaissaient rien de mon quotidien. Ils ne pouvaient pas savoir ce que j’avais enduré : la brutalité de mon mari ivre, la tentative de suicide de mon fils… Et puis, j'ai senti que quelque chose se passait. Oui, ils savaient! Eux aussi avaient tout essayé avec leur conjoint : la gentillesse, la tendresse, la surveillance, la menace… En vain!

Admettre son impuissance

Il faut parfois bien du courage pour frapper à la porte d'Al-Anon la première fois. Tous ces conjoints, pères, épouses, mères, enfants ou amis d'alcooliques sont le plus souvent persuadés que leur démarche revient à trahir leur proche malade de l'alcool. A trahir des secrets familiaux, à risquer l'infamie (“on va savoir que Papa boit”) alors que bien souvent, tout le quartier est déjà au courant depuis belle lurette. Certains ont peur des reproches, des injures, des menaces. Ou, plus simplement, de remettre en cause un équilibre.

La première étape, c'est d'admettre notre impuissance, confie Martial, dont l'épouse boit depuis quinze ans. On vient ici, en général, dans l'espoir de découvrir des trucs et ficelles pour éviter que “l'autre” se remette à boire. En réalité, des trucs, il n'y en a pas! Tout au plus une manière de parler, de réagir, de regarder l'autre qui peut parfois éviter que la situation s'envenime. Mais rien d'autre. Car on ne peut rien faire contre – ou, plutôt, pour – l'alcoolique. C'est lui, et lui seul, qui doit décider s'il arrête de boire. Nous, on peut juste tenter de vivre mieux avec lui et avec l'alcool. Ou s'en séparer…

Mieux vivre avec l'alcool de l'autre. Pas simple! Et d'autant plus déroutant que le soulagement lié à ce constat d'impuissance amène souvent au remodelage des relations dans la famille ou le couple. “Quand j'ai commencé à aller mieux grâce aux réunions d’Al-Anon, mon mari a senti que quelque chose se passait. Il était perturbé. Il a vu que je surveillais moins ses consommations, ses allées et venues. J'ai recommencé à sortir, à voir des gens alors que nous en étions arrivés à vivre complètement repliés sur nous-mêmes. En somme, je repensais à moi. Même si ma souffrance persistait, au moins je revivais! Mais lui, déstabilisé, buvait davantage!

Une complicité involontaire

C'est là que l'effet du groupe d'entraide joue pleinement. “En se parlant, on dédramatise, explique une autre participante, on se trouve des points de convergence. Chacun trouve des idées, des inspirations, des réconforts dans les paroles de l'autre. Jamais sur le mode du “tu devrais faire ceci ou cela…”. Le “tu” tue! Y compris avec l'alcoolique”.

Autre vertu du groupe de pairs : en arriver à comprendre petit à petit que masquer le problème, protéger l'alcoolique, cacher les bouteilles, téléphoner au patron ou aux amis pour signaler qu'il est grippé (alors qu'il cuve ou est abruti par l'alcool) ne sont que de mauvais services à lui rendre. “Dans les familles et les couples, on se sent souvent imprégné d'une mission quasiment divine : sauver l’alcoolique, souligne le Dr Raymond Gueibe, psychiatre à la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies, alcoologue et familier de la collaboration avec les groupes d'entraide de type Alcooliques anonymes ou Al-Anon. Mais cette attitude les mène presque irrémédiablement à la déprime, à l'épuisement, à la rupture des liens sociaux”.

Ce phénomène porte un nom: le coalcoolisme. Il consiste aussi à permettre à l'autre, sans que l’on en soit le plus souvent conscient, de s’alcooliser. En fin de compte, le conjoint souffre lui-même d’un alcool qu'il ne boit pas. Si l'on songe au nombre de personnes ayant une consommation problématique d'alcool dans la population belge (environ 500.000 personnes), les co-alcooliques sont infiniment plus nombreux. “A ces conjoints et à ces proches, j'explique qu'à côté des deux voies les plus spontanées dans la vie avec un alcoolique (le divorce ou le statu quo épuisant : masquer le mal, panser les plaies, arranger les bidons…), il existe une troisième voie : apprendre à vivre autrement avec celui qui boit, cesser d'être co-alcoolique. Et cela, sans avoir la prétention d'amener l'autre à se soigner. Un peu comme une famille où vit un diabétique : personne ne peut le guérir, mais chacun peut mettre en place, à son niveau, des conditions favorables pour que le principal concerné se prenne en charge et lutte contre sa maladie”.

// PHILIPPE LAMOTTE

>> Adresses utiles

Al-Anon (02/216.09.08 – www.al-anon.be) n’est pas le seul groupe d’entraide lié à l’alcoolisme et destiné aux proches et familles. On peut également contacter “Vie Libre”, qui fonctionne selon d’autres principes et sensibilités, mais poursuit des objectifs similaires (061/41.45.09 - www.vielibre.be).

A noter que les Alcooliques anonymes, Al-Anon et Vie Libre se présentent ensemble au public intéressé chaque jeudi à 20 heures à l’initiative du service de Psychiatrie de la Clinique Saint-Pierre d’Ottignies (Brabant wallon) (niveau -1, entrée par les urgences). Infos : 010/43.72.63.

Il existe aussi un groupe d’entraide spécifique pour les jeunes et enfants d'alcooliques (Alateen). Les prochaines conférences “tout public” ou orientées “adolescents” du Dr Gueibe se déroulent à Namur le mercredi 29 février à 20 h (Infos: 081/42.00.81), à Ixelles à 20 h (02/511.53.49) et à Hannut à 14 h (019/51.90.63).

Al-Anon, Dieu et les Etats-Unis

Venus des Etats-Unis et créés dans la foulée des Alcooliques anonymes, les groupes Al-Anon sont présents dans la plupart des villes belges. L'anonymat y est une règle absolue.

“Rien ne sort d'ici”, explique Lucien, marié à une alcoolique depuis douze ans. Ce principe est soigneusement rappelé à l'ouverture et à la clôture des soirées de discussion, rythmées par la lecture de textes thématiques. Quelques exemples : “sarcasme”, “sagesse”, “manipulation”, “estime de soi”, “honte”, “un jour à la fois”, etc. Ce rappel de confidentialité n’est pas le seul rituel des groupes, habitués à travailler selon 12 “étapes”, “traditions” et “concepts”, destinés à cimenter les participants autant que le mouvement Al-Anon dans son ensemble.

Héritier de l’école comportementaliste américaine, ce formalisme peut ébranler, voire irriter certains participants car il se nourrit très clairement de références religieuses et de prières ou de références explicites à la divinité. Les membres d’Al-Anon, groupe apolitique et dégagé de toute appartenance idéologique ou religieuse, en sont bien conscients et insistent : derrière les prières, il faut plutôt entendre des textes philosophiques à partager, commenter et critiquer selon les vécus spécifiques de chacun.

Quant à Dieu, évoqué avec plus ou moins d’insistance selon les groupes locaux, chaque “Al-Anon” y attribue le sens qu’il souhaite. “Libre à chacun de zapper les prières, commente ainsi Thomas, qui, après avoir remis en cause son éducation chrétienne, avoue avoir mis du temps à dépasser ”l’agacement” provoqué par ces références au divin dans son groupe Al- Anon. Moi, j’y vois plutôt une puissance supérieure, comme la force du groupe. Mais d’autres y mettront Shiva ou Bouddha… De toute façon, nous ne faisons aucun prosélytisme: si quelqu’un ne vient plus aux réunions, nous ne le relançons jamais. Comment le pourrions-nous, d’ailleurs, sans nom ni fichier téléphonique… ?” Seule exception: le parrainage. Facultatif et basé sur des affinités personnelles entre membres du groupe, ce système permet de nouer des relations de plus grande confidentialité entre deux “Al-Anon”. En cas de coup dur, surtout, il permet, comme chez les AA, de compter sur un membre du groupe 24 heures sur 24. Là aussi, c’est le groupe qui, via ses discussions thématiques et ses 12 “traditions”, véritables garde-fous pour le bon fonctionnement du groupe, régule ses éventuels excès. Comme celui de vouloir s’ingérer dans la vie d’autrui ou de son couple, même bardé des meilleures intentions. “Certains voient dans les groupes d’entraide et, particulièrement, dans le fait qu’on y reste parfois très longtemps voire toute sa vie, une nouvelle forme de dépendance après celle de l’alcool, explique le Dr Raymond Gueibe. Et alors? Où est le mal, lorsqu’on connaît la pénibilité de cette maladie, si des hommes et des femmes réussissent à s’entraider, en toute humanité, en dehors de la sphère médicale ou psychanalytique?

// PH.L.


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