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Consommation (21 décembre 2000)


La fièvre acheteuse

En cette période de fêtes, tout le monde achète un peu plus que de raison.

Mais comme certaines personnes deviennent alcooliques ou dépendantes au jeu, d’autres sont dominées par leurs pulsions à dépenser et à acheter.

Gros plan sur une véritable fièvre qui monte dans notre société de consommation.

Dans notre société d’abondance, nous sommes sans cesse sollicités à acheter. Entre les soldes, les offres promotionnelles, les fêtes et occasions de cadeaux qui se succèdent à un rythme effréné et les nouveautés à ne pas rater, nous ne savons plus où donner du portefeuille et de la carte de crédit. Le marketing transforme nos désirs en besoins et les publicitaires cherchent à nous pousser à acheter de manière impulsive en avivant toutes les tentations. Dans ce contexte, il n’est pas toujours facile de rester "raisonnable". Ainsi, cela arrive à chacun de faire des achats pas vraiment utiles. On se laisse envahir par un désir soudain et urgent d’acheter et on cède au pouvoir de séduction ou de conviction d’une vendeuse, au charme d’un emballage, au titre accrocheur d’un livre ou aux chiffres vertigineux d’une "promotion exceptionnelle". Parfois, on s’achète quelque chose pour se consoler quand on est triste, morose.

L’achat inutile ou "coup de tête" est un caprice auquel on cède avec un plaisir vaguement coupable. Mais cela fait partie des folies nécessaires à la vie si ça ne se répète pas constamment. Fait inquiétant cependant: d’après une étude américaine, 27 à 42 % des achats effectués dans des supermarchés ou des centres commerciaux seraient des achats imprévus, impulsifs…

Une dépendance progressive

Ces comportements deviennent problématiques dès le moment où l’on ne contrôle plus ses achats et qu’on est littéralement possédé par une envie irrépressible de dépenser qui s’apparente au besoin d’alcool ou de drogue des sujets dépendants. "Un peu comme on flambe l’argent dans le jeu, on dépense de manière immodérée, excessive, sans se préoccuper des conséquences, explique Pierre Raucy, directeur de l’asbl "Le Pélican", un service d’aide et de prévention qui propose une approche globale des dépendances (1). "Au moment de la réalisation des achats, la personne éprouve une véritable ivresse, un frisson d’angoisse et de plaisir. Les dépenses répondent à des pulsions et non à des besoins. D’ailleurs, ni le bien en soi ni la possession ne comptent. C’est le fait de dépenser qui est important. Bien souvent d’ailleurs, les objets achetés ne sont pas utilisés, voire jamais déballés".

Comment expliquer le développement de la dépendance à l’achat? "Face aux difficultés, aux conflits, aux contraintes, certains se précipitent sur les achats comme d’autres sur la nourriture, le jeu, la sexualité ou bien sûr l’alcool ou la drogue", répondent Jean Adès et Michel Lejoyeux, psychiatres et auteurs d’un ouvrage consacré à la fièvre des achats (2). "Les dépensiers compulsifs sont généralement des personnes en difficulté, en dépression".

"Le manque affectif et le vide existentiel expliquent le recours à cette assuétude, comme aux autres d’ailleurs", précise Pierre Raucy. "La personne manque de projets positifs, a une mauvaise image d’elle et compense son vide intérieur par un avoir, un paraître. L’achat est aussi un moyen de faire face à la tristesse, à une anxiété, à un mal-être. Dépenser permet de réduire – faussement – la détresse psychologique. L’intolérance à la solitude, à la frustration, à la douleur et la susceptibilité face à l’ennui sont aussi souvent présents". Et Pierre Raucy d’ajouter: "Pour certaines personnes, l’achat est le seul moyen d’exprimer leur agressivité et leur frustration par rapport au conjoint, à un parent. Dépenser, c’est alors se venger".

Du plaisir à la souffrance

Après les achats, le plaisir fait rapidement place à la souffrance car l’achat-consolation ne résout pas les problèmes. La personne éprouve du regret, de la honte et de la culpabilité. D’ailleurs la plupart du temps, les achats sont réalisés en solitaire et cachés à l’entourage. Des difficultés financières surviennent fréquemment suite aux achats réalisés le plus souvent avec des cartes de crédit et de magasin que l’acheteur accumule dans son portefeuille comme autant de preuves d’un niveau de vie élevé, trop élevé évidemment au regard du budget disponible. C’est alors la spirale infernale des dettes, mensonges, emprunts, conflits familiaux, promesses… Malgré la prise de conscience des effets néfastes de tels achats, l’acheteur compulsif est poussé, malgré toute chose, à acheter. Ses pulsions internes sont renforcées par les nombreuses tentations d’achat et possibilités de crédit "offertes" par la société de consommation. Il perd donc la maîtrise de sa vie et devient esclave de son comportement à acheter. Le temps consacré aux achats devient ainsi énorme et les autres centres d’intérêt disparaissent.

En sortir…

"L’achat compulsif est une conduite morbide, subtilement inscrite dans les comportements sociaux les plus intégrés et les plus encouragés, et à ce titre, méconnue, longtemps niée, peu souvent prise en charge", constatent Jean Adès et Michel Lejoyeux.

Peut-on traiter ce comportement? "Simple dans son principe, complexe dans ses applications, la prise en charge des acheteurs compulsifs ne diffère guère de celle de toutes les pathologies de dépendance, répondent les deux psychiatres. La motivation du sujet, sa prise de conscience du caractère morbide de sa conduite, en est la condition nécessaire".

"Ce choix volontaire doit être soutenu pour éviter que la personne ne "replonge" ou ne déplace sa dépendance (dans l’alcool, la nourriture, le jeu…)", plaide Pierre Raucy. "Le médecin (qui peut être un psychiatre notamment quand des troubles psychiatriques sont associés - ndlr) peut l’aider notamment par un support médicamenteux (antidépresseurs et anxiolytiques, par exemple). L’aide et le soutien psychologiques sont indispensables. On peut envisager ici différentes approches: la psychanalyse (pour faire revenir à la conscience des faits et sentiments liés à l’enfance), l’approche systémique (pour analyser le contexte familial de la relation à l’argent). Mais les approches cognitives et comportementales surtout auront un rôle déterminant. Ce travail peut s’effectuer individuellement ou en groupe d’entraide. Il s’agit de transformer les comportements (comme par exemple supprimer toutes ses cartes de crédit ou se faire accompagner pour faire ses courses) et de modifier les fausses croyances liées à l’achat ". Et de conclure: "Il faut aider les personnes à retrouver la valeur réelle de l’argent, à désacraliser l’achat en le dépouillant de ses significations irrationnelles. Et plus fondamentalement, il faut les soutenir dans leur recherche d’autres sources de plaisir et de nouveaux centres d’intérêt pour compenser leur sentiment de vide".

 

Joëlle Delvaux

(21 décembre 2000)

 

(1) Le Pélican s’adresse aux personnes interpellées et concernées directement ou indirectement par des consommations, abus et dépendances (alcool, drogues, médicaments, tabac, jeu, aliments, achats, affectif et relationnel). L’asbl offre conseils et informations, assure des entretiens individuels (guidance psychosociale, suivi psychologique…) et anime des groupes d’entraide. Services gratuits. Adresse: rue du Président, 55 - 1050 Bruxelles - Tél/Fax: 02/502.08.61.

(2) "La fièvre des achats - le syndrôme des achats compulsifs" - Jean Adès et Michel Lejoyeux - Sanofi-Synthelabo - 1999 - 571F.


D’irrésistibles envies

Tels des "Bidochons" des temps modernes, Thérèse et Jacques se laissent régulièrement prendre par la fièvre des achats. Jeunes pensionnés, ils passent leur temps dans les magasins. Leur truc, c’est les grandes surfaces. Toutes les raisons sont bonnes pour aller faire des courses : une offre super étoile par-ci, un prix sacrifié par-là, des petites douceurs pour un visiteur impromptu, une idée de cadeau pour un anniversaire lointain trouvée dans le dernier toute boîte lu avec soin… Et lorsque Jacques et Thérèse partent avec un objectif précis d’achat, on peut être sûr qu’ils reviendront avec une charrette pleine… de brols. Arrivés à la maison, il n’y a plus assez d’armoires pour ranger tout ce qu’ils viennent d’amasser. Compensent-ils un manque d’amour réciproque, une frustration d’une jeunesse faite de privations ?

Eléonore, elle, achète par crise ce qu’elle voit dans des magasins de luxe et des librairies, robes, chaussures, chapeaux, cravates qu’elle ne sait à qui offrir, livres d’art qu’elle n’ouvre pas, guides touristiques de pays où elle n’ira jamais. Elle contracte de plus en plus de dettes auxquelles elle n’arrive plus à faire face malgré l’aide de ses parents. Elle finit par se faire expulser de son logement impayé depuis des mois. Elle n’arrive pas à lutter seule contre ses pulsions d’achat et tente de se suicider. Par la suite, elle entreprend une psychothérapie et prend conscience que les cadeaux renvoient au souvenir des récompenses que lui faisait sa mère très sévère. La séquence "rigueur éducative, punitions, cadeaux" marquait l’ambiguïté de l’affection de ses parents.

Pierre est ingénieur dans une société d’informatique. Célibataire, sa vie est organisée autour de son travail qu’il fait avec sérieux et rigueur. Lorsqu’à 45 ans, il apprend son licenciement, Pierre perd soudain tous ses repères. C’est le vide. La quasi-totalité de son indemnité de rupture passera dans l’achat de cravates et d’antiquités. Les compliments des vendeurs sur son bon goût le flatte. Un sentiment de bien-être et de satisfaction le remplit. Une fois sorti du magasin, Pierre regrette ses achats, culpabilise. Pierre aura besoin de se faire aider pour faire face à son état de manque.

F.R.

(21 décembre 2000)

Les cas d’Eléonore et de Pierre sont résumés de l’ouvrage, "La fièvre des achats, le syndrôme des achats compulsifs"- Jean Adès et Michel Lejoyeux - Sanofi-Synthelabo - 1999 - 571F.


 

Profils et attitudes

On estime que 5 % de la population souffrirait de la boulimie d’achats. Les acheteurs compulsifs sont plus fréquemment des femmes, ont un bon niveau scolaire (niveau supérieur ou universitaire). Parmi les professions les plus représentées, se retrouvent les étudiants, les professions médicales et paramédicales, les cadres moyens. La moyenne d’âge varie entre 30 et 40 ans. Le trouble commence habituellement vers 18 ans. Une période de 10 à 15 ans peut s’écouler entre les premiers symptômes et la dépendance.

Comme l’alcoolique se rend à son café habituel, l’acheteur compulsif a ses magasins préférés dans lesquels il est connu et flatté par les vendeurs. Il se rend aussi dans les centres commerciaux à la mode ou dans les magasins branchés pour s’identifier à une classe sociale qui n’est pas forcément la sienne. Sensible aux ambiances et contacts créés par l’intermédiaire de l’achat, l’acheteur compulsif dédaigne généralement les téléachats et autres ventes par correspondance, trop impersonnels et peu séduisants.

Les objets acquis sont le plus souvent des vêtements ou des chaussures. Viennent ensuite, pour les femmes, les bijoux, les cosmétiques, la décoration et, pour les hommes, les voitures, l’électronique, les disques… Les achats sont le plus souvent multiples et désordonnés, sans véritable choix (ce qui les distingue des collectionneurs). Ces objets sont parfois des cadeaux que la personne offre aux autres pour se déculpabiliser autant que pour être valorisés et aimés.

La grande majorité des acheteurs compulsifs présentent à un moment donné de leur existence un autre trouble psychiatrique, le principal étant le trouble de l’humeur (1) et plus particulièrement la dépression. Les autres troubles fréquemment associés sont les troubles de l’anxiété, la névrose obsessionnelle et les troubles du contrôle des impulsions.

J.D.

(21 décembre 2000)

(1) Les achats directement provoqués par un trouble mental tel qu’un accès maniaque (dans la maniaco-dépression notamment), un état délirant ou une démence ne sont pas des achats compulsifs typiques.

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