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Consommation (8 janvier 2015)

La chasse au gaspi marque des points

© Dieter Telemans

Face au gaspillage de la nourriture, des dizaines d'organisations, associations, entreprises ont décidé de regarder autrement leurs assiettes et leurs cantines, et de modifier leurs habitudes. Il n'y a "plus qu'à" s'en inspirer, y compris à domicile.

De 2012 à 2013, les dons de la grande distribution aux banques alimentaires ont augmenté de 28%. Avec les dons des criées, le tonnage écoulé aux personnes précarisées serait aujourd'hui d'à peu près 5.650 tonnes annuelles(1). Ce chiffre va sans doute augmenter dans les années qui viennent, d'autres dispositions internes au secteur - ou imposées par la loi - étant appelées à entrer en vigueur ou à faire tache d'huile, quittant ainsi le cercle restreint d'initiatives pilotes ou individuelles. L'une des plus emblématiques est l'obligation (encore théorique à ce stade) faite aux grandes surfaces d'une certaine taille, bruxelloises et wallonnes, d’écouler leurs invendus aux banques alimentaires si elles veulent continuer à être en ordre sur le plan administratif. Une autre, à peine plus ancienne, consiste à exonérer de la TVA les entreprises qui font des dons alimentaires.

De bonnes nouvelles sur le front anti gaspi ? L'accueil mitigé réservé à cette récente obligation pour la grande distribution illustre à quel point il est à la fois facile et difficile de lutter contre le gaspillage de la nourriture. Facile, car, en tant que consommateurs, nous n'avons que l'embarras du choix. Entre l'exhumation des recettes de grand-mère pour "ne rien perdre" et les conseils pratiques pour mieux ranger son frigo ou faire ses courses, en passant par la participation à de grands "happenings" festifs dans les quartiers urbains autour des techniques de conservation de la nourriture (500 participants à la "Foire au Savoirs-faire" de Molenbeek en février 2014), le consommateur ne cesse d'être sensibilisé, depuis deux ou trois ans, au scandale que constitue l'abandon à la poubelle de 15 à 20 kilos annuels de nourriture par personne.

En revanche, la lutte contre le gaspillage devient une autre paire de manches dès lors qu'on veut passer du stade de la sensibilisation à celui de l'action durable ; c'est-à-dire apte à perdurer au-delà de l'inévitable rotation du personnel et du public dans les écoles, les entreprises, les cantines, les restaurants, etc. Obliger les grandes surfaces à écouler leurs stocks d'invendus, c'est très bien. Mais comment faire si les associations de dons alimentaires n'ont ni véhicules d'enlèvement, ni installations de stockage, ni formations du personnel suffisamment adaptées pour gérer au mieux ces nouveau flux déboulant à quelques heures de la date limite de consommation ?

Les images d'une équipe de grande surface aspergeant les invendus d'eau de Javel pour éviter leur consommation par des SDF ont évidemment choqué plus d'un consommateur. Mais c'est oublier que les mécanismes expliquant le gaspillage sont complexes et tiennent tant à l'organisation des récoltes dans les pays du Sud (54% des pertes totales, selon l'organisation onusienne FAO) qu' aux représentations mentales autour de la nourriture au Nord (diktats esthétiques, désacralisation de l'aliment, perte de contact avec la terre, etc.), aux stratégies de marketing, à la mauvaise compréhension des dates de péremption des produits, etc. "Sensibiliser le consommateur aux codes culturels sur l'alimentation est indispensable, souligne Elisabeth Taupinart, experte à Bruxelles Environnement (IBGE). Ne fût-ce que pour qu'il comprenne qu'il est lui aussi acteur potentiel de changement. Mais, à un moment, il faut passer à des actions structurelles, avec état des lieux initial, plan d'action, processus participatif et évaluation. On s'aperçoit alors que l'impact des mesures anti gaspi peut être multiplié par dix".

//PHILIPPE LAMOTTE

(1) Chiffre cité lors du Forum du 25 novembre 2014 organisé par le Conseil fédéral du développement durable.

Bonne pratique 1 - Écoles

Moins 20% de gaspi !

Fin 2011, les onze écoles communales de Watermael-Boitsort font un constat qui laisse tout le monde - professeurs, directions, enfants… - abasourdi : 40 % de la nourriture qui entre à l'école finit à la poubelle ! La cause est double : gaspillage en cuisine et aliments boudés par les enfants au moment des repas. Pour arriver à ce chiffre étonnant, on est passé par la pesée, chaque jour pendant six semaines (!), des surplus de production et des "retours assiettes" des élèves. Pour ne pas en rester à des constats superficiels ("les enfants n'aiment pas les légumes", "sont difficiles", "mangent trop de sucreries à la récréation"…), l'équipe scolaire va plus loin. Et, main dans la main avec TCO, l'entreprise qui fournit les repas chauds aux écoles, approfondit l'analyse. On s'aperçoit alors que des erreurs se sont glissées dans les fiches recettes mises en œuvre en cuisine.

Conséquence : des ingrédients sont utilisés sans réelle justification ou dans de mauvaises proportions. On réalise également que les portions servies aux enfants tiennent trop peu compte de leur âge. La réaction ne se fait pas attendre : les erreurs sont rectifiées dans les programmes informatiques régissant les recettes. Du matériel de "portionement" plus efficace (louches adaptées au service dans les assiettes) est acquis.

Le chef cuisinier, de son côté, revoit à la baisse sa marge habituelle de sécurité (prévoir plus "pour être sûr que rien ne manque"). Des "tables découvertes" sont organisées dans les écoles, mettant en œuvre des ingrédients nouveaux présentés sous une forme attractive. Mais, surtout, depuis le début, le personnel de table et cuisinier est associé à toute la remise en question. "Ce processus participatif est fondamental, souligne Elisabeth Taupinart. Ne fût-ce que pour éviter que le personnel de table ne fasse passer aux élèves, par ses attitudes peu ou pas conscientes, un message de défiance envers certains plats (préparations nouvelles, repas végétariens, etc.)".

Le résultat est au rendez-vous : en quelques mois, le gaspillage est réduit de 20%. Et les efforts se poursuivent à l'heure actuelle…

Bonne pratique 2 - Grande distribution

"Vous reprendrez bien un petit jus…"

Les fruits un peu tachés ou de forme bizarroïde, boudés par les clients : dans les grands magasins, tous les gérants connaissent cela. À Templeuve (à deux pas de Lille), Thomas Pocher, un directeur de magasins de l'enseigne E. Leclerc, bien connu pour ses engagements anti gaspi, a pris le taureau par les cornes. Il a acheté une machine à éplucher et une centrifugeuse. Son idée : offrir ces mêmes fruits (17% des rebuts, légumes compris) à ses clients, mais retravaillés, modifiés. Les fruits un peu abîmés sont donc transformés en jus de fruits frais, vendus (à perte) au prix de 99 cents pièce. Puis, il a opté pour une autre formule, présentant ses jus de fruits "maison" sur un lit de glaçons. Avec ce souci constant de bien expliquer sa démarche aux chalands.

Son slogan : "trop bon pour être jeté". Surprise : après un démarrage prometteur, l'initiative ne décolle pas vraiment. Au terme d'un petit sondage interne, Thomas Pocher réalise que le ver est dans le fruit : le slogan choisi est contre-productif car il a le tort d'associer nourriture et déchet. Changeant son fusil d'épaule, le directeur abandonne alors toute référence à l'idée de "sauver" des produits de la poubelle : il crée le concept d'"atelier gourmand", volontairement plus positif. Il y intègre les viennoiseries et puddings en passe d'atteindre la date limite de vente.

Au lieu de tout jeter ou écouler à l'extérieur, il les transforme en smoothies, kits soupe, pudding, bruschettas et autres mini-préparations. Le tout, réalisé sur place (pas de pollution via le transport) et con sommé par ses propres clients contre un paiement modeste. La formule est aujourd'hui pratiquée dans trois magasins Leclerc du nord de la France.

Et, un jour, en Belgique ?

Bonne pratique 3 - Restaurants

La mentalité, ça peut évoluer ?

Et le gagnant est…. le "Rest-O-Pak ". Depuis le mois de novembre, Test- Achats a tâté le pouls de ses sympathisants, leur demandant de choisir parmi six noms pour rebaptiser le Doggy Bag, censé emporter les restes de nourriture après les repas pris au restaurant. Les internautes - près de 6.500 votes - ont donc préféré le Rest- O-Pak aux Ecopack, Antigaspi Pack, Resto-Rest, Emporte Reste et autres Gaspipa.

Voilà donc le Doggy Bag, plus connu dans certains pays anglosaxons, rebaptisé par l'organisation belge de défense des consommateurs. Sauf qu'ici, il ne s'agira plus de nourrir Médor, mais bien de permettre à son maître de récupérer sans gêne ce qu'il n'a pas man gé, pour le déguster plus tard à domicile. Y a pas de raison…

Test-Achats voit grand, puisqu'elle veut s'attaquer de front à cette habitude culturelle ancrée dans nos mentalités : sortir un récipient de récupération au resto, c'est - au mieux - radin ; au pire, faire aveu d'indigence et se taper la honte. Selon certaines études, le gaspillage au resto atteindrait, chez nous, une moyenne de 100 grammes par couvert. L'appellation Rest-O-Pack étant maintenant adoptée, Test-Achats part au front, en 2015, pour tenter d'en banaliser l'utilisation dans les restos des grandes villes. "L'Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) n'y voit aucun inconvénient, déclare sa porte-parole, Julie Frère, pour autant qu'il soit clairement signifié au client que l'ingestion des aliments récupérés est à ses risques et périls".

La précision a pour but de désamorcer les protestations de restaurateurs inquiets du surcoût (temps, personnel, espace de stockage, etc.) et, surtout, des responsabilités juridiques à assumer en cas d'intoxication alimentaire due à une mauvaise conservation ou à une consommation tardive.

Aux États-Unis, récupérer la partie non con sommée de l'assiette serait, dit-on, entré dans les mœurs. "En Grande-Bretagne, le coût du système Doggy Bag a été amorti grâce à la publicité", précise Nathalie Ricaille, d'Espace Environnement, à Charleroi. Et, aux Pays- Bas, une école de design a trouvé "le" truc : s'il veut récupérer ses "restes" tout en restant discret, le client agrafe discrètement une petite cuiller symbolique sur le bord de son assiette, donnant ainsi le signal au personnel de salle : "Le gaspi, je suis contre".

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