Consommation
(2 février 2012)
Ressourceries : des valoristes professionnels
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© La Ressourcerie
Namuroise
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De la collecte des encombrants à la vente de biens
en seconde main, en passant par le tri, le recyclage, la réparation, la
valorisation… : les ressourceries offrent un service global. La création
d’emplois pour un public précarisé et la logique de réutilisation des objets
sont centrales. Tout comme la viabilité économique. Reportage à Namur.
Un camion vient d’entrer dans
le centre de tri et de stockage de la Ressourcerie Namuroise,
situé dans un hangar de 3.000 m2 à St- Servais(1). Trois
chauffeurs reviennent de leur tournée de ramassage des encombrants. “La
Ville de Namur et quelques communes avoisinantes nous ont confié la gestion
de la collecte et du traitement des encombrants auprès des particuliers et
des professionnels, explique Nathalie Schadeck, chargée de projets à la
Ressourcerie. Chaque jour, nous recevons une cinquantaine d’appels et
assurons trois tournées. Nous reprenons tous les objets du quotidien, qu’ils
soient en bon ou mauvais état (2), et cela gratuitement
pour les particuliers. On demande aux gens de placer les objets au
rez-de-chaussée de leur habitation. Cela facilite le travail des hommes et
évite d’encombrer et de salir les trottoirs. Une formule qui satisfait
autant les citoyens que les services communaux de nettoyage”, dit-elle.
Le camion vient d’être pesé. Aussitôt, l’équipe au sol
s’emploie à le décharger. Commence alors le premier tri entre ce qui semble
en bon état et pourra être valorisé en seconde main, ce qui est destiné au
recyclage et ce qui est complètement inutilisable.
De part et d’autre du camion, de grands containers
accueillent les matériaux à recycler dans des filières spécifiques, le cas
échéant après démantèlement des objets et décomposition en matières : bois,
métal, frigolite, carton et papier, verre, mousse, tissus... Le dernier
container de la rangée est déjà à moitié plein d’objets irrécupérables qui
seront pris en charge par le BEP, l’agence de développement économique
durable en Province de Namur. “Les vélos, nous les réservons au CPAS de
Namur qui se charge, via une entreprise de formation par le travail (EFT),
de les remettre en état pour les revendre, précise notre guide. Quant aux
équipements électriques et électroniques, ils retournent à l’asbl Recupel
qui gère cette filière”.
Détecter le potentiel des objets
Aux alentours immédiats des containers, les objets qui
pourront trouver une seconde vie sont entreposés par zones en attendant
d’être examinés de plus près. Ici: les meubles, lits, canapés et autres
grandes pièces. Là, dans des caisses et caddys, les bibelots et objets de la
vie quotidienne. Plus loin, des montagnes de livres, jeux et jouets... Dans
un coin du dépôt, de petits ateliers en mécanique, électricité,
menuiserie... permettent d’effectuer des contrôles de fonctionnement et de
menues réparations. Au fur et à mesure que l’on avance dans le hangar, le
réemploi se précise, au rythme de l’examen et du traitement des objets.
“Le tri met en valeur un nouveau métier
multi-facettes, celui de valoriste, explique Nathalie Schadeck. Dès le
premier coup d’oeil, il faut pouvoir juger si un objet pourra être réutilisé
puis, si tel est le cas, proposer ce qu’il y a lieu d’en faire dans la
perspective d’une mise en vente. Certains objets nécessitent ‘uniquement’ un
nettoyage ou un shampooinage. D’autres exigent, au préalable, une
réparation, une restauration, un réassortiment de pièces dépareillées, un
regroupement avec des objets similaires... Le valoriste devra aussi évaluer
le prix de l’objet.”
La plupart de ces tâches sont réalisées par une équipe
d’ouvriers de la Ressourcerie, épaulée par une vingtaine de personnes
handicapées mentales encadrées par l’asbl Handicap et Participation.
Quelques bénévoles assurent le tri spécifique des livres et jeux. Un
partenariat étroit s’est aussi noué avec des artisans, des écoles ou des EFT
pour des restaurations spécifiques : rempaillage de chaises, réparation de
fauteuils, patine de meubles...
Un objectif social
L'insertion socio-professionnelle des demandeurs d'emploi
précarisés constitue l’un des principaux objectifs d’une Ressourcerie. A cet
égard, la Ressourcerie Namuroise, société commerciale à finalité sociale,
affiche un bilan plus que satisfaisant avec une occupation de 23 personnes
dont 15 sont salariés sous contrat à durée indéterminée. Le restant est en
stage “article 60”(3). Cet effectif devrait encore
augmenter en 2012, vu le nombre croissant de communes faisant appel aux
services de l’entreprise. “La plupart des personnes sont d’abord
engagées sous contrat “article 60” en fonction de leur motivation, en
collaboration avec les CPAS, précise Marc Detraux, initiateur et
directeur de la Ressourcerie Namuroise depuis 2005. Chacune peut suivre
des formations (techniques de déménagement, permis C, assertivité, école du
dos, valoriste...) avec des partenaires de formation agréés. En fin de
compte, la personne disposera des compétences lui permettant, soit un
engagement à durée indéterminée en interne, soit des perspectives d’emploi à
l’extérieur”.
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© La Ressourcerie
Namuroise |
Du dépôt à la boutique
En progressant vers la sortie du hangar, l’impression
domine de se trouver au coeur d’une véritable caverne d’Ali Baba. “Tout
cela est destiné à Ravik Boutik, notre magasin de bonnes affaires, assure
Nathalie Schadeck. Sur les quelque 1.500 tonnes récoltées en 2010, 10% ont
été dirigées vers le réemploi (vente), près de 73% ont été mises en filière
de recyclage et seulement 17% sont parties en décharge. Nous ne sommes pas
peu fiers de ce résultat qui prouve notre utilité dans le domaine
environnemental”.
A Ravik Boutik, situé derrière la gare de Namur dans les
bâtiments de l’ancienne douane, le contraste avec le hangar surchargé que
nous venons de quitter est impressionnant(4). Le magasin
est lumineux, spacieux ; le mobilier et les divers objets, impeccablement
propres, sont mis en valeur dans des espaces thématiques soignés. “Seconde
main mais première qualité, telle est notre devise, s’enthousiasme Marc
Detraux. Nous voulions nous distinguer des magasins de types bric-à-brac
ou dépôt-vente qui croulent sous une quantité d’objets pas toujours en bon
état. Nos articles, très bon marché, partent tellement vite qu’on a acheté
un camion pour réapprovisionner le magasin quotidiennement”. Carine
Oger, responsable du magasin, poursuit : “Chacun peut venir s’équiper à
prix sympa, s’offrir un article coup de cœur ou une pièce unique de création
à partir de matériaux de réutilisation. On joue aussi un rôle social
important en offrant aux bénéficiaires du CPAS de Namur une réduction de 50%
sur le mobilier dont ils ont besoin”.
Inscrite dans une démarche sociale et d’éco-consommation,
la Ressourcerie n’en est pas moins une entreprise qui se doit d’être viable
économiquement. Nathalie Schadeck décrit l’exercice rigoureux que cela
représente : “Nos recettes proviennent pour 50% des collectes des
encombrants, facturées aux communes à la tonne. 30% viennent de subsides. La
vente en seconde main constitue 10% de nos rentrées tout comme la revente
des matériaux destinés au recyclage. Côté dépenses, les charges salariales
représentent le poste principal (60%). Le coût payé au BEP pour l’évacuation
des déchets ultimes avoisine les 10%. Nous avons donc tout intérêt à
diminuer au maximum leur quantité."
Pour l’heure, l’équipe de la Ressourcerie Namuroise voit
l’avenir avec sérénité : en pleine expansion, l’entreprise ouvrira d’ici un
an un second magasin dans un bâtiment en construction juste à côté du dépôt.
Et compte bien créer de nouveaux emplois locaux.
// JOËLLE DELVAUX
(1) La Ressourcerie Namuroise –
081/26.04.00. – www.laressourcerie.be
(2) Ne sont pas repris les déchets de
construction, les pneus, les petits déchets spéciaux et dangereux, les
déchets verts, les chaussures et vêtements en bon état. Tous ces biens
possèdent leurs propres filières de dépôt.
(3) L’article 60 permet à des personnes
émargeant au CPAS de retrouver leurs droits à la sécurité sociale par
l’emploi.
(4) Ravik Boutik - Boulevard d’Herbatte,
8a – 5000 Namur – 081/26.03.10.
Un label de qualité
Les Ressourceries®
sont une marque déposée. Elles doivent remplir un certain
nombre de conditions relatives à leurs objectifs et activités. Actuellement,
six Ressourcerie s’activent en Wallonie(1). Une dizaine
d’autres pourraient voir le jour dans des zones géographiques non encore
couvertes. En Région bruxelloise, hélas, la logique du tout à l’incinérateur
prévaut toujours en matière d’encombrants collectés par l’Agence
Bruxelles-Propreté, et aucune Ressourcerie n’existe. Un vaste projet est à
l’étude mais le lieu de l’entreposage semble l’un des obstacles à surmonter
en plus des traditionnelles divergences politiques.
“Idéalement, les Ressourceries devraient couvrir
l’ensemble du territoire belge pour collecter chez les gens tous leurs
déchets multi-matériaux et opérer ensuite un tri(2),
plaide Arabelle Rasse, responsable de le communication à la Fédération
Ressources (qui regroupe une soixantaine d’entreprises d’économie sociale
actives dans la collecte, le tri et le recyclage) (3).
C’est la solution la plus simple et la plus efficace. Certaines communes
restent frileuses. Pourtant, cette activité économique se professionnalise
et crée de l’emploi local pour des personnes moins qualifiées. L’expérience
nous montre que les citoyens sont très satisfaits et sensibles au fait que
ce qu’ils donnent pourra en partie être remis dans le circuit économique non
marchand”.
A l’autre bout de la “chaîne”, les magasins des
Ressourceries rencontrent un succès certain. Et pas uniquement auprès de
personnes précarisées. “La clientèle est fort diversifiée, témoigne
Matthieu Bonaventure, coordinateur de la Ressourcerie de la Dyle – qui
possède deux magasins, l’un à Ottignies, l’autre, plus récent, à Genappe.
Il y a les habitués, le voisinage, les gens à l’affût de bonnes
affaires, les brocanteurs. On voit aussi venir des éco-citoyens en recherche
d’authenticité, d’objets et de vêtements moins standardisés que ce qu’on
trouve dans le neuf”. Les magasins sont labellisés REC’UP. Ce label,
accordé par la Fédération Ressources, reprend 120 normes destinées à assurer
aux consommateurs la qualité du service (livraison...) et des objets mis en
vente (les électroménagers ont une garantie de six mois, par exemple).
// JD
(1) Ressourcerie de la Dyle (Ottignies et
Genappe), Ressourcerie Namuroise, Ressourcerie Le Carré (Lessines, Ath et
Tournai) Ressourcerie du Pays de Liège, Trival-IS (Ressourcerie du Pays de
Charleroi) et Rcycl (Verviers et Eupen).
(2) Certaines Ressourceries excluent
l’une ou l’autre filière (textile, électroménager…), selon les priorités et
le réseau de récupération existant.
(3) Plus d’infos au 081/39.07.10. ou sur
www.res-sources.be
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