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Bouger (15 juin 2010)

 

 

Les mirages du football

professionnel en Europe

Chaque année, des milliers de jeunes footballeurs quittent l’Afrique dans l’espoir d’intégrer un club professionnel en Europe. Trompés par des agents escrocs et encouragés par leurs familles, la quasi-totalité de ces adolescents ne voit jamais le terrain d’entraînement et se retrouve à la rue, sans-papiers et sans aucune perspective d’avenir...

© Michel Gouverneur/Reporters

 

 

 

 

 

 

 

Roger Milla,

héros national au Cameroun après le Mondial de 1990,

n'a pas que de bons souvenirs de son passage

dans les clubs français.

 

 

Moussa a 15 ans quand il est repéré à Dakar par un recruteur italien. Sa famille débourse alors près de 3.000 euros dans l’espoir de le voir signer un contrat avec la Juventus de Turin. Mais, le faux agent disparaît dans la nature avec l’argent. Moussa décide alors de partir en pirogue pour l'Europe. Au cours de son périple, il est abusé sexuellement. Il finit par arriver en France où il est repéré par le Paris Saint-Germain (PSG), qui, finalement, ne lui donne pas sa chance, car il est sans-papiers. Moussa se retrouve à la rue et vit de l’entraide de quelques compatriotes. À 18 ans, désormais expulsable, il est dans l’impasse.

A 18 ans, Jacques évoluait, lui, dans un club de première division au Cameroun. A ce moment-là, un agent lui fait miroiter un contrat de 10.000 euros par mois pour jouer en première division au Portugal. Arrivé en “terre promise”, son salaire est divisé par trois, puis, après quelques mois, Jacques est transféré dans un autre club de deuxième division. Là, on le met à la porte et on bloque son argent. Il dort deux jours par-ci, deux jours par-là, errant de ville en ville avec son sac à dos. Aujourd’hui, il est lui aussi sans-papiers en France et fait la manche pour survivre.

“Ces jeunes sont détruits. Tant qu’ils sont obsédés par le foot, ils gardent espoir, mais après, certains se prostituent, d’autres deviennent dealers. Une fois, j’ai été appelé à deux heures du matin par un jeune qui voulait me vendre une Mercedes volée…”, raconte Jean-Claude Mbvoumin, ex-international camerounais. En 2000, cet ancien professionnel, “halluciné” par ces histoires véridiques auxquelles il avait déjà été confronté au cours de sa carrière en Europe, crée “Culture foot solidaire”. En France, destination favorite de ces jeunes, l’association a, ces dernières années, écouté, dépanné et orienté plus de 850 footballeurs mineurs, originaires pour la plupart de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Cameroun.

 

“Dès que vous commencez à payer, vous êtes morts”

C’est au début des années 90, quand ont été rendus publics les salaires des meilleurs du continent qui évoluaient en Occident, que les jeunes ont commencé à partir. Depuis, l’exode a pris de l’ampleur. En 2003, chaque fédération africaine délivrait en moyenne entre 500 et 1.000 lettres de sortie par an, mais beaucoup de jeunes partent désormais sans ce document. “Les stars africaines sont de plus en plus nombreuses en Europe. Du coup, les familles, qui ne disposent d’aucune autre information, cherchent à y envoyer leurs enfants. C’est une forme d’exploitation”, observe Jean-Claude.

Seul en Europe, il est très difficile pour l’adolescent de faire marche arrière, même si des stars comme le Camerounais Samuel Eto’o fils, ont eu la sagesse de revenir s’aguerrir au pays après une première tentative infructueuse. “En France, ces jeunes, qui représentent un investissement pour toute la famille, ont tellement honte qu’ils ne racontent jamais leurs galères. Je me souviens d’un Ivoirien qui avait acheté un maillot à la boutique du PSG sur lequel il avait mis son nom, puis l’avait envoyé à sa famille…”, raconte Roméo. “Sur 100 qui partent, 99 échouent. Et pour cause, sur 100 propositions, seule une est généralement vraie !”, poursuit-il. Prisonniers de leurs propres mensonges, les jeunes perdent pied, et leurs familles perdent tout contact avec eux…

 

S’aguerrir en Afrique

Une partie de la solution pourrait venir d’anciens professionnels qui connaissent les besoins des clubs occidentaux et ceux de leurs pays d’origine. Équato-guinéen, Boris King Moussambani Ebodo, qui a joué en France, en Allemagne, en Autriche, en Chine et en Israël et a vu bon nombre de talents “ne jamais revenir au pays et terminer clochards à Paris”, envisage par exemple de créer une académie sur sa terre ancestrale pour former au foot, mais aussi préparer les jeunes à un métier: “Le foot ne doit pas être une acrobatie sans filet. Avec plus d’expérience, un vrai contrat entre les mains et une structure d’accueil sûre, ils auront plus de chances de réussir. Et si ça ne marche pas, ils pourront rebondir en tant qu’hommes et transmettre au pays leurs connaissances.”

Un message qui rappelle celui d’un autre grand frère, Roger Milla, qui ne rate jamais une occasion de conseiller aux jeunes de “d’abord prouver ce qu’ils valent en Afrique avant de risquer l’aventure en Europe”.

// Emmanuel de Solère Stintzy,

Infosud-Syfia

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Les prénoms sont des prénoms d'emprunt

 

 

Jouer en Afrique plutôt qu'échouer en Europe

Face aux fausses promesses que leur font de pseudo recruteurs, et désormais informés de la misère dans laquelle ont sombré des grands frères partis jouer en Europe, des jeunes footballeurs choisissent désormais de rester en Afrique. Exemple au Sénégal.

Magadou Baraye, 24 ans, libéro talentueux et discipliné, a fait un choix courageux. Celui de faire ses preuves comme footballeur dans son pays, le Sénégal, plutôt que partir en Europe dans n'importe quelles conditions. Depuis cinq ans, il évolue à Dakar en D1, à l’Union sportive de Gorée. Grâce au foot, il gagne près de deux fois plus que le Smic (47.700 Fcfa, soit 70 euros environ). C'est certes nettement moins qu’un professionnel africain évoluant en Europe, mais il ne regrette pas son choix. “J'arrive à aider ma famille”, se félicite-t-il. “Si je pars, poursuit-il, ce sera sur des bases claires avec de vrais agents reconnus par la Fifa (Fédération internationale de football association)”.

 

Au Sénégal et ailleurs en Afrique, les initiatives se multiplient localement pour permettre aux jeunes de se construire un avenir chez eux et d'éviter de tomber entre les griffes de faux recruteurs avec leurs belles promesses. Ainsi, depuis 2009 à Dakar, 32 jeunes joueurs sénégalais, âgés de 14 à 18 ans, ont été sélectionnés par Smash (Société de management et d'accompagnement sportif et humain). Dans le cadre de ce projet, des techniciens doivent les suivre avant de les orienter vers des centres de formation de clubs français ou anglais.

Petit à petit, la parole se libère et, dans certaines écoles de foot de Dakar, des jeunes qui voulaient aller en Europe, se mettent à dévoiler les noms de faux agents qui les ont bernés. Un premier pas vers une prise de conscience des dangers et la fin de l'impunité. Un ancien joueur sénégalais expatrié en France, qui disait travailler pour un pro dans ce pays et avait promis à une quinzaine de jeunes des visas et des invitations de clubs européens pour des tests, a ainsi été mis en prison en avril dernier, à Dakar. Le faux recruteur attend depuis son procès.

 

Tricher sur l’âge

Beaucoup reste cependant à faire pour endiguer le flux de ces jeunes, prêts à tout ou presque pour devenir les Drogba ou Eto'o de demain. “Il y en a qui réduisent leur âge avec la complicité de leurs parents et de faux agents recruteurs”, affirme Alpha Sylla, spécialiste en droit du sport, à la tête d’une école de foot à Dakar.

Au Sénégal, lors d’audiences foraines dans les campagnes, il suffit pour un jeune ou ses parents d’avoir trois témoins. La corruption fait le reste. Avec ce nouvel “acte de naissance”, les faux recruteurs établissent une pièce d’identité, un passeport, avant d’aller à la recherche d’un improbable visa ; les conditions d'obtention de ce précieux sésame s'étant considérablement durcies ces derniers temps en Europe...

Peu importe aux faux managers qui réclament, pour chaque joueur, 2 à 3 millions de Fcfa (3.000 à plus de 4.500 euros) “sans assurance de réussite aux tests footballistiques et médicaux qui garantissent au candidat un premier contrat professionnel dans un club européen”, déplore Alpha Sylla. Des tests de plus en plus sélectifs, car les clubs professionnels européens connaissent les tricheries sur l'âge et sur les papiers et disposent d'un nombre de places de plus en plus réduit pour les joueurs extra-européens. À tel point que certains d'entre eux préfèrent envoyer leurs recruteurs en Afrique et développer leurs réseaux sur place plutôt que de donner à des jeunes de faux espoirs.

Moins le jeune est armé intellectuellement et sportivement, plus il représente une proie facile… “Les 'agents' recrutent dans les écoles ou centres de foot et les associations sportives de quartiers. Nous ne considérons pas ces jeunes comme des footballeurs”, explique Mbaye Diouf Dia, vice-président de la Fédération sénégalaise de football (FSF), faisant référence aux conditions fixées par la Fifa. Notamment, que les clubs africains et européens soient affiliés à une fédération nationale.

Devant cette quasi-impossibilité de venir jouer en Europe sans prendre de risques inutiles - comme ce footballeur ivoirien qui mangeait dans les poubelles à Paris, après son échec aux tests dans un club français – le choix de Magadou Baraye semble raisonnable.

// Madieng Seck,

Infosud-Syfia


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