Travail
(4 novembre 2010)
L’invalidité n’est pas toujours une fatalité
En
raison d’une maladie de longue durée ou d’un handicap, nombreux sont les
travailleurs salariés à devenir invalides et à quitter leur emploi de
manière définitive. Pourtant, éviter la désinsertion professionnelle est
parfois possible. Présentation de bonnes pratiques et pistes concrètes.
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© Marcel Minnée |
En 10 ans, dans le seul secteur des travailleurs salariés, le nombre
d’invalides
– c’est-à-dire de travailleurs ayant plus d’un an d’incapacité de
travail – a augmenté de 30% dans notre pays. Cette augmentation
s’explique par des facteurs objectifs (voir encadré ci-contre). Il
n’empêche : les chiffres sont préoccupants, aussi bien d’un point de
vue sociétal qu’individuel.
Pour la société,
l’incapacité de travail de longue durée représente un coût financier et
social considérable dans lequel nous n’entrerons pas ici. Sur le plan
individuel, on sait que la vie d’invalide est loin d’être rose : le montant
des indemnités constitue une perte importante de revenus par rapport au
salaire antérieur, l’inactivité contrainte est très souvent mal vécue, le
retrait de la vie professionnelle source d’isolement social... Sans parler
des problèmes de santé physique et psychique ou du handicap qui grèvent le
budget, minent le quotidien et risquent de s’aggraver.
Par ailleurs, on observe
que les absences répétitives au travail constituent souvent une étape dans
le processus qui conduit un travailleur vers l’invalidité et la perte du
lien avec l’emploi. L’enquête européenne sur les conditions de travail,
réalisée en 2005, montre qu’un arrêt de travail compris entre trois et six
mois réduit déjà de moitié la probabilité que le travailleur puisse
reprendre son travail chez son employeur antérieur.
Alors, comment prévenir
cette lente dérive du travailleur en situation de désinsertion
professionnelle? Comment promouvoir une politique plus active de réinsertion
des malades de longue durée? La Société scientifique de santé au travail et
l’Association scientifique de médecine d’assurance (dont font partie les
médecins-conseils des mutualités) ont réfléchi à cette question dans un
groupe de travail(1). Leur conviction? Adopter une
politique plus active de maintien au travail ou de réinsertion
professionnelle est possible. Sans modifier fondamentalement la loi ni
déployer des moyens démesurés. Elles plaident, en particulier, pour une
meilleure collaboration entre médecins du travail, médecins traitants et
médecins-conseils de la mutualité pour prévenir la désinsertion
professionnelle.
Evaluer les capacités restantes
Historiquement,
lorsqu’une personne en arrêt de maladie se présentait devant le
médecin-conseil de sa mutualité, celui-ci avait essentiellement pour mission
d’évaluer ses incapacités, ses pertes. Cette conception de la manière dont
le médecin-conseil doit remplir sa mission a été modifiée légalement
il y a deux ans. Plus qu’avant, il s’agit pour lui d’évaluer aussi les
capacités que la personne possède toujours, dans la perspective de voir
comment les valoriser concrètement.
Cette modification
légale témoigne de la volonté de voir évoluer notre système de protection
sociale vers plus de dynamisme, de pro-activité avec l’assuré social, dans
le but de l’aider à maintenir son insertion dans le monde du travail et
cela, dans le respect de sa personne.
“L’expérience montre à
quel point, si des possibilités subsistent, il est préférable de permettre à
quelqu'un de garder une activité professionnelle qui apporte des contacts
sociaux, une reconnaissance sociale et partant une amélioration de l’estime
de soi, plutôt que de lui faire subir un revenu réduit, l’inactivité et
souvent l’isolement social”, insiste Etienne Laurent, médecin-conseil à la
direction médicale de la Mutualité chrétienne et membre du groupe de
travail.
Maintenir le lien
avec l’entreprise
Lorsqu’un travailleur
entre en incapacité de travail, il est important de préserver le lien qu’il
a avec son entreprise. “Ce lien peut être fragile, plus particulièrement
lors de l’installation d’une maladie chronique et surtout si plusieurs
périodes d'incapacité de travail ont déjà eu lieu avec à chaque fois
paiement des salaires garantis”, souligne le groupe de travail qui observe
fréquemment dans ces cas une perte de confiance mutuelle entre l'employeur
et le travailleur. “En pratique, le temps presse pour tenter d'endiguer ce
phénomène qui mène régulièrement à la fin du contrat de travail pour cas de
force majeure” (2).
Les deux sociétés
scientifiques livrent des pistes concrètes pour maintenir ce lien. Ainsi,
elles encouragent l’entreprise à conserver un contact avec la personne
absente afin d’éviter que celle-ci n’ait la conviction que l‘on se
désintéresse d’elle. Pourquoi pas, par exemple, promouvoir l’envoi
systématique par l’employeur d’un courrier personnalisé à tout travailleur
absent depuis plusieurs semaines afin de l’informer des aides possibles à la
reprise du travail dans les meilleures conditions ? Dans le même ordre
d’idées, pourquoi ne pas désigner un coordinateur chargé d’accompagner le
travailleur lors de la reprise du travail et d’établir le contact avec
l’ensemble des partenaires ?
Rencontrer
le médecin du travail
En tant que conseiller
tant vis-à-vis de l’employeur que des travailleurs, le médecin du travail a
un rôle essentiel à jouer pour promouvoir le maintien à l’emploi de ceux qui
ont des problèmes de santé. Pour rendre la réintégration au travail plus
efficace, le législateur a récemment introduit deux dispositions
complémentaires. La visite de “pré-reprise” tout d’abord, qui peut avoir
lieu pendant l’incapacité de travail si celle-ci dure plus de 28 jours. Elle
permet au médecin du travail de faire un bilan de la situation de
santé du travailleur et de proposer les dispositions qui faciliteront la
reprise du travail, par exemple un aménagement du poste de travail,
l’adaptation des conditions de travail, la réorientation interne à
l’entreprise…
L’examen de
réintégration, quant à lui, permet de préparer un reclassement du
travailleur à une autre fonction ou dans une autre entreprise, lorsque la
reprise de travail dans les conditions habituelles est jugée, par le médecin
traitant, définitivement impossible pour des raisons de santé.
“La plupart des
travailleurs en incapacité de travail ne savent pas qu’ils peuvent demander
à leur employeur de rencontrer le médecin du travail, assure Etienne
Laurent. Ils ont pourtant tout intérêt à saisir cette opportunité. Par
ailleurs, il faut encourager les médecins-conseils et les médecins du
travail à collaborer étroitement et ce, le plus tôt possible”.
Si l’adhésion volontaire
du travailleur est indispensable, le soutien actif du médecin traitant l’est
tout autant.
Des incitants
pour les employeurs
A l’heure actuelle, peu
d’incitants existent pour favoriser la réinsertion des travailleurs en
incapacité de travail de longue durée dans leur job. Bien entendu, les
employeurs soucieux du bien-être au travail et attentifs à développer un
climat positif dans l’entreprise veilleront à accueillir au mieux le
travailleur, à lui laisser un peu de temps pour retrouver ses marques, à
adapter aussi dans la mesure du possible les exigences, les horaires… Mais
le contexte économique est difficile et les exigences de productivité
reviennent vite à l’avant-plan, y compris dans le secteur non-marchand.
Pourquoi ne pas envisager par exemple, que la reprise du travail en douceur,
de manière partielle, ne coûte rien à l’employeur pendant une courte période
permettant à la confiance de se réinstaller? Pendant ce temps, le
travailleur continuerait à percevoir son indemnité complète d’incapacité de
travail. “Plus largement, on propose d’établir une sorte de “bonus social”
qui permettrait d’accorder des incitants aux entreprises responsables,
volontaristes qui investissent dans la prévention de l’invalidité et dans le
bien-être au travail”, conclut Etienne Laurent.
// Joëlle Delvaux
(1) Le groupe de travail réunit des représentants des
deux sociétés scientifiques et de l’AWIPH. Des consultations ont eu lieu
avec le monde des entreprises, les organisations syndicales et des services
de prévention et protection du travail.
(2) Lorsqu’un travailleur en incapacité de travail est
considéré définitivement inapte à exécuter son contrat de travail,
l’employeur peut mettre fin à celui-ci pour cause de force majeure, sans
préavis ni indemnité. Le travailleur est ainsi rayé des listes du personnel.
L’invalidité sous la loupe |
Entre 1999 et fin 2008, dans le régime des salariés, le nombre
d'invalides est passé de 178.570 à 232.153. Cette forte augmentation
(30 % en 10 ans) s’explique par différents facteurs.
>
Le relèvement progressif de l’âge de la pension chez les femmes
induit notamment que la durée de l’invalidité des femmes est plus
longue.
> La
population qui risque d’être invalide a énormément augmenté en
raison de la participation accrue des personnes - et des femmes en
particulier - au marché du travail.
>
En raison du vieillissement de la population, de plus en plus de
personnes se situent dans les catégories d’âges plus avancés où le
risque d’invalidité est plus important.
Des glissements
importants s’opèrent dans les pathologies entraînant une invalidité.
Grâce, entre autres, au progrès de la science médicale, certaines
maladies peuvent être correctement traitées. C’est le cas pour les
maladies cardio-vasculaires pour lesquelles le nombre d’invalides a
diminué ces dix dernières années (un peu plus de 8 % des invalides
en 2008).
A l’inverse, le
nombre d’invalides souffrant de troubles psychiques (psychoses,
troubles de la personnalité, dépression, etc.) a fortement augmenté
(près de 34% des invalides). Il en va de même pour les affections
musculo-squelettiques (les maux de dos, par exemple) qui concernent
26 % des invalides.
// JD
Sources : “Facteurs explicatifs relatifs à l’augmentation du nombre
d’invalides - travailleurs salariés” - Etude de l’INAMI – 2010 –
Rapport annuel 2009 de l’INAMI. Ces publications sont consultables
sur le site
www.inami.fgov.be |
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