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La santé au travail (3 octobre 2013)

Travailler malgré la maladie

© Matthieu Cornélis

Nombre de travailleurs, qu’ils soient cadres supérieurs ou précaires, salariés ou indépendants, ne se permettent pas d’arrêter de travailler malgré un état de santé dégradé. Denis Monneuse, sociologue français, a mené l’enquête sur ce phénomène en pleine croissance. Il tire la sonnette d’alarme : le surprésentéisme comporte bien des dangers. Pour la santé du travailleur lui-même, pour son entourage et pour les entreprises. Un mauvais calcul, en somme.

Certains se rendent au travail malgré une maladie, une blessure non cicatrisée, des douleurs persistantes. D’autres repoussent des examens médicaux, retardent indéfiniment une opération chirurgicale ou retournent au travail avant la fin d’une période d’incapacité. Certains implorent leur médecin de leur prescrire des médicaments pour tenir le coup et ne surtout pas s’absenter du boulot. D’autres continuent à travailler à distance de chez eux tout en étant couverts par un certificat médical...

Au fil des entretiens et des rencontres avec des travailleurs venant de tous horizons, Denis Monneuse, sociologue français et expert sur les questions d’absentéisme au travail, s’est rendu compte que, pour beaucoup de travailleurs, prendre ou solliciter un arrêt maladie est devenu un luxe. “Qu’est-ce qui interdit un travailleur de s’arrêter le temps de la convalescence ? Et qui sont ceux dont les tiroirs de bureau ressemblent à une véritable pharmacie ?”, s’est-il alors demandé.

Un phénomène négligé

Dans un ouvrage très documenté, alimenté de nombreux témoignages et largement accessible, Denis Monneuse éclaire ce qu’on appelle le surprésentéisme. Selon lui, ce phénomène est sous-estimé. Pourtant, il concernerait un peu plus de la moitié de la population active et il s’élèverait en moyenne à dix jours par an et par personne. “Le suprésentéisme est totalement négligé dans les entreprises au regard du classique absentéisme pour cause de maladie, assure le chercheur. Pourtant, l’un et l’autre ne sont pas à opposer. Ils représentent bien les deux faces d’une même problématique, à savoir un souci de santé.

Ainsi, nombre d’études indiquent que le surprésentéisme est l’antichambre d’un absentéisme de longue durée, voire, dans les cas les plus graves, d’un épuisement professionnel menant au burn-out. “Ce lien de cause à effet s’explique avant tout par l’aggravation des problèmes de santé à cause de l’absence d’un repos salutaire, précise le sociologue. Certains s’accrochent au travail autant que possible puis finissent par lâcher. Ce cas n’est pas rare en ce qui concerne les situations de détresse psychologique (dépression, troubles psychiques...). Mais le déni et la capacité de résistance ne sont pas illimités.

>> Denis Monneuse, Le suprésentéisme – travailler malgré la maladie - éd. De Boeck - coll. Méthodes et Recherches - 2013 - 120 p. - 19 EUR.
Ainsi, aussi surprenant que cela puisse paraître, les absents et les surprésents sont souvent les mêmes personnes. Quand la pathologie est relativement bénigne, ils travaillent ; quand les symptômes sont plus importants, ils sollicitent un arrêt maladie. Le choix de s’arrêter dépend aussi de la temporalité : dans les périodes de haute activité ou lors des moments à ne rater sous aucun prétexte, pas question de “tomber malade”. Mais lorsque l’agenda se libère un peu, se soigner et décompresser peuvent alors être envisagés...

Des comportements dangereux

Or, ne pas s’arrêter conduit généralement à retarder la convalescence, à aggraver l’affection initiale, voire à entraver la guérison en accroissant les séquelles.

Le surprésentéisme peut aussi provoquer une incapacité de travail plus longue que le repos exigé au départ. “Si travailler en étant malade est dangereux, c’est aussi parce que ce comportement tend à provoquer un cercle vicieux, analyse le sociologue. Le travailleur s’épuise, tend à compenser la baisse de productivité par une hausse du temps de travail, des médicaments ou des produits ‘dopants’ tels que café, alcool ou tabac... Dans le même temps, stress et insomnies l’épuisent davantage encore. Les risques accrus d’accident du travail ou de défaut de qualité du travail ne sont pas non plus à négliger.

Travailler tout en étant malade peut nuire aussi à la santé d’autrui. Cette dimension est souvent sous-estimée. L’aspect le plus évident est lié au risque de transmission de maladies contagieuses telles que la grippe, la gastro-entérite ou le rhume.

Mais la ‘contamination’ concerne aussi les esprits. “Par son comportement, insidieusement, le travailleur modifie les normes de présence et d’absence sur le lieu de travail”, explique Dennis Monneuse, qui ajoute que la surprésence peut aussi avoir des effets néfastes sur les relations de travail. “Sans qu’il s’en rende toujours compte, le travailleur en mauvaise santé est moins patient, plus irritable, voire carrément insupportable. Les relations se dégradent d’autant plus que la maladie n’est pas visible”.

On peut être tenté de voir le surprésentéisme comme l’antidote de l’absentéisme, la preuve d’un engagement et d’une motivation sans faille des travailleurs. Les entreprises peuvent aussi avoir l’impression d’être gagnantes : mieux vaut une productivité moins grande que nulle. “Il s’agit d’une vision à court terme. En définitive, le surprésentéisme coûte nettement plus cher aux entreprises que l’absentéisme”, affirme le sociologue. Et de plaider pour que les travailleurs, les entreprises et les pouvoirs publics prennent conscience de ce nouvel enjeu de santé publique. Pour prévenir le surprésentéisme et proposer des alternatives constructives(1).

// JOËLLE DELVAUX

(1) Outre le renforcement des effectifs, le remplacement des absents et la délégation des tâches, Denis Monneuse propose de diminuer le contraste entre l’absence et la présence en réfléchissant par exemple à des formes progressives de retour au travail ou aux possibilités qu’offre le télétravail, à condition qu’elles soient bien encadrées.

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La santé du dirigeant

Le capital-santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME“ : tel est le message central de l’ouvrage d’Olivier Torrès, professeur à l'Université de Montpellier. En abordant la question cruciale de la santé des dirigeants de PME et des entrepreneurs, ce livre récuse des clichés tenaces : le patron n’est ni inhumain, comme se complaisent à dire ceux qui le diabolisent, ni surhumain, comme se plaisent à croire ceux qui le divinisent. “L’absence de préoccupation sociétale concernant la santé patronale résulte d’un double déni, de la société dans son ensemble, mais aussi des premiers concernés, accuse l’auteur. Pourtant, le moindre souci de santé peut perturber fortement une entreprise, surtout si elle est de petite taille“.

Cet ouvrage collectif éclaire une “zone sociale pratiquement aveugle“ et apporte des réponses inédites à de multiples questions : pourquoi parle-t-on si peu du burn-out des dirigeants et des indépendants ? Qu’est-ce qui semble affecter le plus leur santé ? Quels sont les événements qui les stressent ? Comment les dirigeants dorment-ils et se nourrissent-ils ? Entreprendre est-il bon pour la santé ? Au sein d’Amarok, l’Observatoire sur la santé des travailleurs non salariés qu’il a créé, Olivier Torrès poursuit ses recherches sur la voie d’une meilleure compréhension des rapports entre santé et entrepreneuriat dans la perspective d'un entrepreneuriat durable.

>> Olivier Torrès, La santé du dirigeant - de la souffrance patronale à l'entrepreneuriat salutaire - éd. De Boeck - Coll. Petites Entreprises & Entrepreneuriat - 2012 - 224 p. - 20 EUR

Docteur, je vais craquer !

Dans cet ouvrage, Hans Krammisch et Staf Henderickx, tous deux médecins généralistes à Médecine pour le peuple, le premier à Seraing (et aujourd’hui décédé) et le second à Lommel, ont voulu faire part de l’évolution des problèmes de santé qu’ils ont observée au cours de leur longue carrière. Dans leurs consultations, ils partagent le même constat : troubles musculo-squelettiques, insomnies, épuisement professionnel, dépression... Les deux médecins montrent le vrai visage du stress au travers de portraits d'hommes et femmes, ouvriers, routiers, secrétaires, manutentionnaires, commerciaux, facteurs, cadres et même managers qui souffrent de maladies causées par le stress subi sur leur lieu de travail. Ils dénoncent les nouvelles méthodes d’organisation du travail et la dégradation des conditions de travail, qui se généralisent au détriment de la santé physique et psychique des travailleurs. Enfin, ils plaident pour que soit menée sur tous les fronts une lutte contre les maladies liées au stress.

>> Staf Henderickx et Hans Krammisch, Docteur je vais craquer ! Le stress au travail - éd. Eden - 2010 - 263 p - 20 EUR

De multiples pressions

Rationnellement, on pourrait dire que la décision de travailler ou de s’absenter en cas de maladie relève - sauf exceptions - du travailleur et repose donc avant tout sur un choix individuel. Mais de nombreux facteurs extérieurs s’immiscent dans ce processus de décision.

Le point commun entre les salariés et les indépendants qui pratiquent le surprésentéisme est d’être sous pression, explique Denis Monneuse, auteur de l’ouvrage qu’il a consacré au surprésentéisme. Exposés aux regards d’autrui (managers, collègues, collaborateurs, clients...), ils craignent que les conséquences de leur absence leur soient préjudiciables, à la fois pour leur portefeuille et pour leur image”, résume le sociologue. A cet égard, le surprésentéisme en dit long sur l’évolution du monde du travail.

Dennis Monneuse a identifié et analysé différentes formes de pression et de contrainte. La pression financière est la plus évidente du fait du manque à gagner, voire du coût direct que peut représenter une absence. Sans surprise, les indépendants sont les premiers concernés et constituent ainsi la population la plus touchée par le surprésentéisme.

Mais ils ne sont pas les seuls : les travailleurs qui connaissent des baisses de rémunération en cas d’absence, à l’instar des commerciaux et autres salariés percevant des primes diverses, hésitent moins que la moyenne à travailler malgré la maladie. “Pour lutter contre l’absentéisme, de plus en plus d’entreprises mettent en place des incitations financières à la présence (intéressement, primes d’assiduité, avantages en nature... ). Ces politiques contribuent en fait à accroître le surprésentéisme”, accuse Denis Monneuse.

La crainte de perdre son emploi ou de voir sa carrière stagner constitue une seconde forme de pression sur l’assiduité des travailleurs. Cette pression managériale est plus insidieuse. Mais non moins forte. Les premiers concernés ? Les ‘précaires’ c’est à-dire les travailleurs en intérim, sous contrat temporaire ou à durée déterminée. Mais aussi les salariés insécurisés par leur période d’essai. Au-delà du type de contrat de travail, c’est surtout le sentiment d’insécurité par rapport à son emploi et sa carrière qui semble faire monter le surprésentéisme. “La pression managériale s’exerce à tous les niveaux hiérarchiques, y compris dans les plus hautes sphères où la santé s’apparente à une compétence et la maladie à un signe de faiblesse, précise le sociologue. On voit de plus en plus de cadres faire du banc solaire pour avoir bonne mine et se montrer en forme”, illustre-t-il.

La forte charge de travail, supérieure à la moyenne, est un autre élément explicatif du surprésentéisme. Combien de travailleurs ne disent-ils pas que s’ils s’absentent, personne ne fera leur boulot à leur place, qu’ils n’ont pas le temps d’être malades, que la surcharge au retour d’un arrêt maladie sera pire encore... Le travail en urgence et la pression du court terme rendent la charge encore plus pesante. Cette pression, bien réelle, est sou vent renforcée par la conscience professionnelle qui caractérise bon nombre de surprésentéistes passionnés par leur métier et soucieux du travail bien fait. “Il s’agit souvent d’une attitude ancrée dans les traditions familiales, observe Denis Monneuse. Certains travailleurs m’ont confié n’avoir jamais vu leurs parents arrêter de travailler, même malades. Et eux-mêmes, enfants, ne manquaient jamais l’école.

S’ajoute aussi, chez certains, l’impression d’être irremplaçable. Celle-ci est particulièrement prégnante chez les médecins et plus globalement dans les métiers pour lesquels il est difficile d’être remplacé. Mais la difficulté de déléguer ou l’ambition personnelle ne sont pas pour autant absentes de ce tableau.

Il n’y a pas que les contraintes hiérarchiques et la charge de travail qui pèsent sur le travailleur : les collègues, l’entourage professionnel ou plus largement la culture d’entreprise créent une pression sociale en normalisant la présence au travail même quand on va mal. “La crainte d’être stigmatisé comme un tire-au-flanc, le souhait de cacher une pathologie mentale ou encore la volonté de montrer l’exemple sont alors autant d’explications au surprésentéisme”, précise le sociologue. “Le poids du collectif est particulièrement fort dans les groupes soudés au sein desquels existent de bonnes relations entre collègues, voire des liens quasi familiaux, remarque- t-il. Dans ces situations, les salariés ne souhaitent ni occasionner de surcharge pour les collègues ni leur donner le sentiment de les abandonner. Dans ces petites équipes, culpabilité, solidarité et pression sociale s’entremêlent pour favoriser la surprésence”.

//JD

 

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