Médicaments (7 juin 2007)
La consommation de médicaments
en maison de repos pose question
En moyenne, chaque résident en maison de repos (et de soins) reçoit dix
médicaments différents sur l’année! La consommation élevée
d’antidépresseurs, d’antipsychotiques et de médicaments peu appropriés est
particulièrement interpellante. Tels sont les principaux résultats de
l’étude menée par la Mutualité chrétienne sur base des dossiers de quelque
53.000 membres. Une étude qui confirme aussi la grande variabilité de la
consommation de médicaments entre les établissements.
Il est normal que les résidents des maisons de repos (MR) et maisons de
repos et de soins (MRS) consomment plus de médicaments que les jeunes parce
qu’ils souffrent plus souvent de maladies chroniques et de longue durée, et
cumulent généralement plusieurs affections. C’est d’autant plus vrai que les
résidents appartiennent très majoritairement au quatrième âge, l’entrée en
maison de repos se faisant de plus en plus tardivement.
Cependant, la consommation de médicaments en MR et MRS pose question. Fin
2006, le Centre d’expertise fédéral des soins de santé (KCE) avait déjà
rendu public un rapport faisant état d’une consommation de médicaments trop
élevée et de qualité trop faible en maison de repos, et d’une grande
variabilité entre les différentes institutions (1).
Une récente étude menée par la Mutualité chrétienne, examinant les
médicaments prescrits à plus de 53.000 membres admis en MR ou MRS en 2005,
confirme ces résultats (2).
Ainsi, en 2005, chaque résident d’une MR ou MRS recevait en moyenne dix
médicaments différents et en consommait quatre différents par jour!
Le type de médicaments prescrits est également interpellant. En moyenne, pas
moins de 44% des résidents ont reçu des antidépresseurs durant minimum 30
jours. En outre, quasi un résident sur quatre (23,3%) a reçu des
antipsychotiques alors que ces médicaments sont réservés au traitement de
graves pathologies psychiatriques, comme la schizophrénie!
Par ailleurs, en moyenne, 31% des patients ont reçu au minimum un médicament
de la “liste de Beers”. Cette liste comporte des produits considérés comme
étant moins recommandés pour une population âgée car ils peuvent
potentiellement faire plus de mal que de bien, principalement en raison des
effets secondaires liés à l’âge.
Ce qui frappe surtout, c’est la grande variabilité entre les différents
établissements. On trouve ainsi des institutions où quasi 75% des patients
consomment des antidépresseurs, alors que ce taux n’est que de 14% dans
d’autres. Pour les antibiotiques, les différences sont encore plus
frappantes: le pourcentage de patients recevant au minimum une dose par jour
varie de 11% à 96%! Ces écarts importants ne trouvent pas de justification
objective.
Dans ce constat mitigé, un élément positif concerne l’administration du
vaccin contre la grippe puisque les établissements atteignent, en moyenne,
un taux de couverture de plus de 90%.
Et les médicaments
moins chers?
L’étude de la Mutualité chrétienne s’est également penchée sur la
prescription des médicaments moins chers. En 2005, 25% des médicaments
prescrits étaient, soit des produits génériques, soit des médicaments moins
chers. 15% étaient des spécialités chères avec surcoût pour le patient
(3)
et 60% des spécialités encore sous brevet, donc sans alternative générique.
La variabilité est, ici encore, importante puisque dans certains
établissements il n’y avait que 5% de médicaments moins chers, tandis que
dans d’autres, les médicaments moins chers représentaient 59% du volume
total de médicaments consommés!
Des économies pourraient être réalisées tant pour le patient (en moyenne
30,6 % en moins) que pour l’assurance maladie (15,2 % en moyenne en moins)
si davantage de médicaments meilleur marché étaient prescrits par les
médecins aux résidents des maisons de repos…
La Mutualité chrétienne rappelle à cet égard aux médecins qu’elle a conçu un
module interactif qui leur permet d’avoir un feed-back individuel de leurs
prescriptions et de se situer par rapport à leurs confrères (sur
www.mc.be ).
L’utilisation du module comparatif des prix des médicaments est également à
recommander pour promouvoir la prescription de médicaments moins chers
(également sur le site de la MC: www.mc.be ).
Le rôle crucial
du médecin coordinateur
De nombreuses personnes âgées qui entrent en MR ou MRS restent fidèles à
leur médecin de famille qui continuera à les suivre et à leur prescrire les
médicaments nécessaires. Bien sûr, en cas de déménagement trop éloigné de
leur domicile par exemple, elles choisiront vraisemblablement un autre
médecin généraliste.
Quoi qu’il en soit, chaque MRS doit tenir à disposition des médecins
généralistes ce qu’on appelle “le formulaire pharmaceutique pour les MRS”.
Il s’agit d’un guide pour la prescription rationnelle des médicaments chez
les personnes âgées (4). Comme l’explique le Dr Michel Jehaes, médecin
généraliste et co-fondateur de l’Association francophone des médecins
coordinateurs et conseillers en MRS, le but de la démarche est de réduire
les erreurs médicamenteuses, d’éviter la surconsommation de médicaments, de
limiter la résistance aux antibiotiques et de réduire le coût de la facture
des médicaments pour la patient.
“Dans les faits, toutes les institutions ne satisfont pas à cette obligation
et ce formulaire est peu utilisé alors qu’il est gratuit”, regrette Michel
Jehaes. Pourquoi cette réticence? Tout d’abord, de nombreux médecins ont
l’impression - à tort - que les recommandations correspondent souvent à des
“vieux traitements” alors qu’en réalité, lorsque les “nouveaux” traitements
ne sont pas recommandés, il s’agit d’une règle de prudence par rapport à des
molécules n’ayant pas encore fait leurs preuves scientifiques ou dont on n’a
pas encore mesuré les effets secondaires. Par ailleurs, les médecins ne
modifient les traitements que s’ils s’avèrent insatisfaisants ou
inefficaces. On ne peut pas nier non plus l’influence manifeste de la
publicité de l’industrie pharmaceutique qui incite les médecins à prescrire
les nouveaux médicaments. En dernière lieu, il existe une certaine méfiance
par rapport aux informations perçues comme provenant des pouvoirs publics.
“Pourtant, le formulaire pharmaceutique est un document de référence
possible pour guider la prescription de médicaments chez des patients
résidant en MR ou MRS. Il n’est pas un outil qui se substitue au libre choix
du médecin généraliste et n’est nullement un carcan assorti de sanctions en
cas de non-respect”, plaide Michel Dehaes qui suggère que l’on instaure des
mesures incitant les médecins à utiliser ce formulaire.
L’étude du KCE déjà citée a mis en évidence le fait que la présence d’un
médecin coordinateur lié à la MRS a une influence positive sur l’utilisation
de ce formulaire et partant, sur la qualité de prescription. En effet, le
médecin coordinateur a souvent suivi une formation spécifique aux soins à
prodiguer aux personnes âgées et peut veiller à l’utilisation du formulaire
et à la qualité de la gestion des médicaments.
Pour la Mutualité chrétienne, il faut renforcer le rôle du médecin
coordinateur pour qu’il puisse détecter et remédier à la polypharmacie,
consacrer plus d’attention aux médicaments de la “liste de Beers” et aborder
avec les généralistes la question de la surconsommation en antidépresseurs
et en antipsychotiques pour aller vers davantage de soins (care) et moins de
médicaments (cure).
Un travail d’équipe
L’étude du KCE avait aussi révélé que la grande majorité des maisons de
repos (83 %) achète ses médicaments auprès d’une pharmacie de quartier.
Elles conviennent du prix des médicaments sur base d’un appel d’offre ou, le
plus souvent, d’un accord informel. Le KCE a constaté que la qualité de la
prescription des médicaments est meilleure si la maison de repos travaille
avec un pharmacien hospitalier ou un pharmacien local impliqué dans la
gestion des médicaments. La Mutualité chrétienne partage cette analyse et
insiste sur le rôle central du pharmacien en tant que conseil concernant le
coût des médicaments et acteur dans le cadre de la prescription en DCI (par
nom de molécule). Elle plaide enfin pour une communication accrue et une
collaboration de qualité entre le médecin, le personnel infirmier, le
pharmacien et le patient et sa famille dans les institutions pour personnes
âgées afin d’assurer une meilleure qualité de la gestion des médicaments et
de la prise en charge des patients âgés.
Joëlle Delvaux
(1) “La consommation des médicaments dans les maisons de repos : trop élevée
et de qualité trop faible” - Rapport réalisé par le Centre fédéral
d’expertise des soins de santé (KCE) en collaboration avec l’INAMI- décembre
2006.- Ce rapport est téléchargeable sur le site
http://kce.fgov.be
(2) “La consommation de médicaments en maisons de repos. Pour un dialogue
entre les maisons de repos et la MC” -Mutualité chrétienne - mai 2007. Infos
: 02/246.49.16.
(3) Il s’agit d’une conséquence de la politique visant à promouvoir la
consommation de médicaments génériques.
(4) Plus d’infos sur le site
www.formularium.be
Un coût élevé
|
Alors que seulement 1,5 % de la population belge réside dans une des 1.700
MR-MRS du pays, les coûts générés par leur consommation de médicaments
représentent plus de 5,6 % du budget total des médicaments remboursés par
l’assurance maladie (chiffres du KCE).
Par ailleurs, les résidents de ces institutions déboursent des montants
importants pour leurs médicaments, en moyenne 50 euros par mois pour les
seuls médicaments consommés pour traiter les maladies chroniques. |
Un feed-back individuel
pour les maisons de repos
Sur base de son étude, la Mutualité chrétienne a conçu, à l’attention des
maisons de repos, un module interactif sur internet, leur permettant de se
situer individuellement par rapport aux autres établissements en général.
L’accès aux données de chaque établissement repris dans l’étude est limité à
la direction et au médecin coordinateur et conseiller) (1).
Pour chaque établissement, un aperçu reprenant les éléments suivants
apparaît:
► le profil des membres MC séjournant dans l’établissement (uniquement les
membres ayant séjourné au minimum 30 jours dans l’établissement et pour les
établissements comptant au minimum 20 membres MC),
► le nombre de résidents qui reçoivent des médicaments,
► le nombre de médicaments différents qu’ils ont reçus sur l’année,
► le nombre de personnes qui reçoivent des psychotropes, des antibiotiques
ou des médicaments pouvant être dangereux pour les personnes âgées,
► le taux de couverture du vaccin contre la grippe,
► la part des médicaments génériques et moins chers et les économies
supplémentaires qui pourraient être réalisées.
(1) Rendez-vous sur www.mc.be (rubrique “Pour les prestataires”)
|